Trentino (Italie) – Énième enquête pour 270 bis : le parquet demande 12 mesures préventives (non accordées)

Il Rovescio / vendredi 4 août 2023

En avril dernier, les procureurs Raimondi et Ognibene ont demandé 9 détentions préventives et 3 interdictions de territoire des communes de Trente et Rovereto, pour 12 compagnons et compagnonnes. Étant donné que le juge d’instruction a refusé, le Parquet a fait appel : d’où la notification de cette audience à certains des inculpés et inculpées ; l’audience, prévue à l’origine pour le 1er août, a été ensuite renvoyée au 12 septembre, faute de notification aux autres inculpés.

Cette énième enquête pour « association subversive avec la finalité de terrorisme » – appelée, à ce qu’on a compris, « Diana » – a été ouverte en 2019, mais a démarré à partir d’une enquête pour « apologie du terrorise » ouverte par le Parquet de Brescia (par rapport à un texte dans la publication anarchiste Beznachalie) et ensuite elle est passée au Parquet de Trente. L’enquête trentine s’est étendue, en arrière dans le temps, jusqu’à 2013, l’année de publication du premier numéro de Beznachalie.

En allant dans une direction qui ressemble de plus en plus à celle des « loi scélérates », par lesquelles, à la fin du XIX siècle, le gouvernement français avait déclaré « malfaiteurs » les anarchiste en tant que tels, cette nouvelle enquête veut avant tout considérer « la création, la préparation, la rédaction, l’impression et la diffusion, aussi par le biais d’instruments numériques, des publications appelées Beznachalie, I giorni e le notti, Dietro le quinte, ainsi que du site internet www.ilrovescio.info » comme l’expression d’une « entente terroriste ». Les « lieux de concertation du programme criminel, de collecte et gestion des fonds, d’appui logistique et de rencontre des participants à l’entente » seraient les espaces anarchistes El Tavan de Trente et La nave dei folli de Rovereto, en plus que quelques maisons.

Les « délits-finalités » d’une telle « entente » seraient la production de faux documents d’identité, afin de faciliter « la clandestinité ou la cavale des participants », la réalisation d’attentats, l’organisation de manifestations non autorisées et violentes, l’« imposition et la diffusion de leurs idées politiques de déstabilisation, par la violence et l’intimidation, aussi à l’égard d’entreprises privées ».

Plus précisément, il s’agit des faux documents pour lesquels Agnese et Stecco ont été condamnés à 2 ans et Rupert à 1 an et 10 mois, dans le procès Renata ; de ceux trouvés sur Juan au moment de son interpellation (pour lesquels Agnese a été condamnée à 2 ans au procès en premier degré de l’« opération sans nom ») ; de l’« appui opérationnel » à la cavale de Juan (pour lequel Manu a été condamné à 10 mois, après avoir passé plus d’un an en détention préventive) ; des actions directes contre le tribunal de surveillance de Trente (qui a eu lieu en 2014 et pour laquelle Juan a été condamné à 3 ans et 6 mois au procès en premier degré de l’« opération sans nom »), contre le local de la Lega de Villorba (Trévise), en 2018 (pour laquelle Juan a été condamné à 28 ans en premier degré et à 14 an en appel) et contre un train Frecciargento à Bolzano en 2015 (une tentative d’incendie que les procureurs voudraient attribuer à un compagnon, sur la base de traces d’ADN retrouvées sur l’engin incendiaire, pour lequel le chef d’inculpation est « acte avec finalité de terrorisme ») ; de la manifestation du Brennero de 2016 contre les frontières (pour laquelle, lors de deux procès différents, les cours d’appel ont distribué plus de 130 ans de prison) ; de la tentative de lire à l’antenne d’une radio commerciale un communiqué contre le massacre dans les prisons, au printemps 2020 (pour laquelle Massimo a été condamné à 1 an et 1 mois au procès en premier degré de l’« opération sans nom ») ; de la tentative de bloquer un forage dans le chantier du TAV, à Trente, en janvier 2022 (pour laquelle un autres procédure pénale est en cours). Mis à part l’épisode du train Frecciargento, il s’agit donc d’actes qui font déjà l’objet d’autres procès ou enquêtes. L’intention du Parquet est de réutiliser ces mêmes épisodes pour justifier cette accusation en vertu de l’article 270 bis, qui est toujours tombée lors des enquêtes précédentes. Une intention qui arrive à être une vraie métaphysique de la répression : les « délits-finalité » expriment et donnent de la substance à l’action subversive, qui, par contre, dans sa dimension « ontologique » (précisément) fait abstraction des différentes actions. Un simple intellect terroriste (d’où la centralité des publications), qui, même quand il ne se concrétise pas en actes subversifs, néanmoins les incite ou en fait l’apologie.

L’aspect le plus dangereux – en plus de l’attaque aux publications en tant que telles – est sans doute la définition de « terrorisme » employée par la DIGOS et les procureurs : « intimider la population ou contraindre les pouvoirs publiques à effecteur ou à s’abstenir d’effectuer un acte quelconque ». Il s’agit du bien connu art. 270 § 6, introduit par le « décret Pisanu » de 2005. Comme cela a été dit et répété plusieurs fois, « intimider la population » est une activité caractéristique de l’État, certainement pas des anarchistes, tandis que « contraindre les pouvoirs publiques à effecteur ou à s’abstenir d’effectuer un acte quelconque » est le but de chaque lutte. Arrêter la construction de la ligne à grande vitesse ne revient pas à contraindre le gouvernement et l’entreprise qui gère le réseau ferré à s’abstenir de réaliser ce projet ? Bloquer un port ne revient pas à vouloir contraindre le gouvernement à retirer le passe sanitaire ou à ne pas envoyer d’armes en Ukraine ? La possible explosion de rage sociale provoquée par l’abolition du revenu de base n’aurait pas le but de contraindre le gouvernement à s’abstenir d’appliquer des décisions déjà prises ? Et prétendre qu’un compagnon sorte du régime de détention 41-bis ?

Bien que cette définition de « terrorisme » transpose – avec une formulation encore plus large et malléable – une définition-cadre adoptée à l’échelle de l’Union européenne, l’Italie est le seul pays où celle-ci est systématiquement utilisée contre le mouvement anarchiste (mais non seulement, comme nous le verrons). L’extension quantitative et qualitative de son utilisation est un marqueur clair de quelque chose dont on ne peut pas faire abstraction : nous sommes en guerre.

 

Sur le plan général

Rien qu’en ces deux derniers mois, il y a eu des notifications d’enquêtes, aussi accompagnées par des perquisitions et parfois par des mesures de contrôle judiciaire, à Milan, à Trieste, à Bologne, à Potenza, à Turin, à Palerme et à Pérouse. Au delà des épisodes spécifiques qui sont reprochés, il est évident que la Direction nationale anti-mafia et antiterrorisme est en train de faire le tour des Parquets avec un message explicite : « Débarrassez-vous d’eux, peu importe le prétexte utilisé ». Mais le saut qualitatif est également évident : ils ont demandé une mesure de détention préventive pour un compagnon à cause d’un discours tenu en public, pendant une manifestation contre le 41-bis, à Turin ; les enquêtes de Bologne et Potenza disent clairement que la campagne en solidarité avec Alfredo Cospito est « terroriste » en soi, étant donné que l’on veut contraindre l’État à accomplir un acte qu’il ne veut pas accomplir : lui révoquer le 41-bis. Qu’une telle intention soit poursuivie en faisant des tags sur des murs, en accrochant des banderoles, en provoquant des dégâts à quelque multinationale, en interrompant une messe, en montant en haut d’une grue, en incendiant des poubelles au milieu de la chaussée ou des camionnettes d’une entreprise impliquée dans le business de l’enfermement est, au fond, chose de secondaire importance. En effet, à Pérouse le Parquet a récemment ouvert une enquête pour « incitation à la violence et apologie du terrorisme » pour un drap avec une phrase en solidarité avec Alfredo et contre le 41-bis. La même logique est employée bien au-delà du milieu anarchiste. En effet, il y a quelques semaines, des militants du media en ligne Antudo ont été perquisitionnés et mis sous enquête pour « apologie du terrorisme » et pour « acte avec finalité de terrorisme », pour avoir publié sur leur site internet une vidéo et un communiqué de revendication d’une action contre l’entreprise Leonardo-Finmeccanica. Frapper le plus important producteur d’armes italien ne signifie pas pas vouloir contraindre l’État à s’abstenir de mener ses politiques de guerre ? Et ceux qui diffusent les raisons de ces pratiques de lutte ne font pas, pour cela même, l’apologie du terrorisme ? Il n’y a pas besoin d’un dessin pour comprendre où mène une telle logique inquisitoriale.

 

Sur le plan local

Il s’agit de la cinquième, au moins, enquête pour « association subversive avec la finalité de terrorisme » contre des compagnonnes et des compagnons du Trentino, en moins de vingt ans, en considérant celles dont nous sommes à connaissance, car ayant été notifiées aux inculpés. Si on y ajoute la kyrielle de procès et de condamnations pour d’autres infractions, les compagnons en prison, aux arrestations domiciliaires ou en cavale, les surveillances spéciales et le fait que certains compagnons et compagnonnes passent d’une mesure à l’autre sans interruption pratiquement depuis 2019, l’opération Diana poursuit une stratégie précise : en finir avec la présence anarchiste dans le Trentino, en finir avec ses idées, les luttes qu’elle exprime et dont elle fait partie, ses espaces, ses publications. Et, pour faire un exemple, cela ne nous semble pas un hasard que, alors qu’à Trente les travaux pour le TAV commencent, et aussi les blocages et les contestations, ils insèrent dans une enquête pour « terrorisme » une initiative publique de contraste d’un forage et qu’ils ressortent, grâce à l’utilisation policière-judiciaire de la génétique, la tentative d’incendie d’un Frecciargento, le 25 avril 2015. (Étant donné que cela gêne à tel point la DIGOS et le Parquet, que l’on publie les communiqués de revendication, voici les mots diffusés à cette époque-là par les saboteurs anonymes : « En souvenir des sabotages des partisans. Liberté pour les compagnons en prison. Au revoir, Guccio. La fortune ne sourit pas toujours aux audacieux »*). D’ailleurs, la première tentative (ratée) d’appliquer l’article 270 § 6 a été celle du Parquet de Turin, contre les compagnons et la compagnonne arrêtés et condamnés pour l’action incendiaire contre le chantier du TAV, à Chiomonte, en 2014 (l’ainsi-dit procès «du compresseur »).

 

La morale de l’obéissance

Dans les mêmes jours où l’enquête « Diana » (par laquelle le Parquet voulait kidnapper en prison et enlever des lutte 12 compagnons et compagnonnes) était notifiée, les procureurs Raimondi et Ognibene ont placé sous scellé une portion du chantier du TAV, à Trente Nord (sans que cela n’arrête les travaux dans leur ensemble). Une mesure en lien avec une enquête pour « désastre environnemental » – pour l’instant contre le directeur général et un cadre de RFI – ouverte à la suite d’une main-courante déposée par des militants No-TAV. Même si les travaux pour le TAV continuent, la saisie judiciaire de quelques terrains pollués par les anciennes usines Sloi et Carbochimica (notamment à cause du plomb tétraéthyle et de plusieurs solvants chimiques) et la réalité d’un possible empoisonnement de masse, qui devient une « possible infraction », tout cela nie les perpétuelles assurances de RFI et expose la complicité évidente de la Mairie et du Conseil de la Province de Trente. Les mêmes magistrats qui reconnaissent formellement le bien-fondé des alarmes contre le TAV frappent ceux qui, à partir de ces alarmes, tirent la conséquence logique sur le plan éthique et pratique : contraindre par l’action le gouvernement et les entreprises à ne pas réaliser ce projet. Quelle est la morale de cette histoire ? Nous pensons que c’est celle-ci : si, face à un désastre environnemental, on fait appel à la Justice, on est des « citoyens » ; si on s’organise pour bloquer ou, pire encore, pour saboter les moyens de ce désastre, on est des « terroristes » – plus encore : on est des « terroristes » rien que si on défend ou on diffuse seulement les raisons de l’action directe. Cela s’appelle une morale de l’obéissance.

De notre côté de la barricade, chaque jour d’obéissance, chaque jour de paix sociale est un jour en plus de guerre et de répression.

 

anarchistes de Trente et Rovereto

 

* Note d’Attaque : le 25 avril est l’anniversaire de la libération de l’Italie de l’occupation nazie et du gouvernement fasciste collaborationniste. L’action des groupes partisans a été déterminante, du moins pour la libération du centre-nord de la péninsule.
Guccio était un compagnon très impliqué dans la lutte contre le TAV en Val Susa ; il s’est ôté la vie le 24 février 2014.

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Mise à jour du 17 septembre : toutes les mesures de CJ rejetées

Il Rovescio / dimanche 17 septembre 2023

Dans l’attente de pouvoir lire les motivations, nous informons que le Tribunal des libertés de Trente a rejeté, le 12 septembre dernier, les 12 mesures de contrôle judiciaire (9 détentions préventives et 3 interdictions de territoire des communes de Rovereto et Trente) que le Parquet avait demandé pour autant de compagnons et compagnonnes du Trentino.

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