Trente (Italie) : Déclaration des inculpés du procès pour l’opération Renata

Il Rovescio / mardi 22 février 2021

La déclaration des inculpés du procès pour l’opération Renata, diffusée lors du procès en appel.

« Dans quelles conditions, en quel sens l’histoire se déroulera-t-elle par la suite ? Ces questions sont insolubles. Ce que nous savons d’avance, c’est que la vie sera d’autant moins inhumaine que la capacité individuelle de penser et d’agir sera plus grande. »

Simone Weil
[« Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », 1934 ; NdAtt.]

Deux ans sont passé, depuis l’opération qui a mené à nos arrestations et depuis que, quelques mois plus tard, on a écrit noir sur blanc ce qu’on avait à dire à ce propos. Encore aujourd’hui, trois d’entre nous sont soumis à des mesures de contrôle judiciaire, dans l’attente du procès en appel ; il s’agit de mesures qui ne sont même pas prises en comptes dans les calculs des peines purgées. Des « interdictions de quitter le territoire » de la commune de son domicile, qui apparaissent comme une sorte de « relégation », étant donné que nous sommes séparés et éparpillés dans différents coins de la Péninsule. Il est encore plus remarquable, cependant, est ce qui s’est passé entre-temps. Nous pouvons dire sans trop de détours que le monde (encore ce monde dehors, pour ce qui concerne certains et certaines de nous, mais à ce qu’il paraît ce n’est pas seulement notre cas) est littéralement bouleversé. L’épidémie de Covid-19 nous a jeté au visage non seulement les conséquences possibles de l’organisation sociale capitaliste (avec la dévastation de la nature, deux siècles de guerre industrielle contre la planète où nous habitons, des irresponsabilité scientifiques visant à des solutions pour un profit toujours grandissant), mais aussi celle qui peut être la réponse des États, afin de faire rentrer les possibles dissidents dans ces logiques de résignation qui ont permis que l’on se retrouve dans cette années 2021.

Voilà ce qui a porté, pendant les massacres d’État dans les prisons, au haussement d’épaules de la « société démocratique », qui, étant donné qu’elle se situe de cette côté du mur, a laissé étouffer les cris des détenus qui ont levé la tête en premiers. Ces cris de désespoirs on trouvé une société capable d’« accepter » le quotidien du couvre-feu, une société capable de s’adapter elle-même à la logique de l’emprisonnement. Nous devons en faire le constat : c’est de là, de l’habitude à une normalité de plus en plus monstrueuse, qui naît cette indifférence qui se transforme peu à la fois en incapacité à avoir un esprit critique, également en ce qui concerne tout le reste : à prendre soin les uns des autres, à une solidarité concrète, rendue « illicite » ou « criminelles » par les opérations répressives, certes, mais peut-être encore plus par la résignation à reconnaître la Vérité seulement dans les slogans de l’État (comment oublier les drapeaux accrochés aux balcons, les « distants, mais unis », les « nous sommes tous sur le même bateau » et, pour finir, la confiance dans la Science comme seul « dieu sauveteur »). Tel un coup d’éponge sur l’affrontement réel et de classe, la numérisation du monde se présentant comme la fuite d’une réalité qu’il vaut « mieux ne pas voir », ne peut qu’accélérer ce processus de détachement du monde. Il s’agit de messages que cette époque qui est la notre nous envoie et que nous devons commencer à voir avec clarté.

Mais, en plus d’essayer d’y voir clair, nous sommes parmi ceux qui essayent de regarder au loin, pour trouver la force de se battre ici, parce que le camp internationaliste est ce qui donne leur sens à toutes les luttes pour la liberté. Et il ne nous a pas échappé que, à des nombreux endroits du monde, des centaines de milliers d’opprimés sont en train de se battre contre des mesures de confinement qui ont un caractère très militaire et peu sanitaire, contre les violences policières systémiques, contre des régimes de plus en plus autoritaires.

C’est peut-être pour cela que la série d’opérations policières qui se sont abattues contre les anarchistes, ces deux dernières années, montrent des mesures et des stratégies de plus en plus répressives. Des arrestations ouvertement préventives, pour éviter que l’on « souffle sur le feu » du mécontentement social, des accusations de terrorisme pour ceux qui ont résisté à un passage à tabac en prison, l’ignoble accusation de « tentative de massacre indiscriminé » comme nouvelle arme répressive pour enterrer des compagnonnes et des compagnons sous des dizaines d’années de prison (avec les très lourdes condamnations de l’opération Scripta Manent et le procès, en cours, contre Juan).

Mais il faut lire tout cela dans le cadre de l’époque que nous traversons. Si, par exemple, on décrit comme « complotiste » (si on ne le taxe pas de « négationnisme », ce qui vide le sens historique de ce terme [en Italie les médias appellent « négationnistes » les personnes qui nient l’existence de l’épidémie de Covid-19 ; NdAtt.]) toutes les personnes qui n’acceptent pas entièrement l’interprétation toute prête de l’État, qui impose le seul chemin du silence-consensus, ce n’est pas étonnant qu’un groupe d’anarchistes soit inculpé de « provocation aux crimes et délits » ou passe sous procès pour « association subversive » parce qu’il a, entre autres choses, souligné (parce qu’il ne s’agit pas d’une quelque théorie nouvelle, il suffit de regarder par sa fenêtre) comment et pourquoi l’organisation sociale capitaliste est la cause effective de la naissance et de la diffusion de cette épidémie et d’autres, ainsi que des guerres, de l’exploitation.

On peut lire cela aussi dans le dossier de police qui nous amène au procès en appel pour l’opération Renata : une revue anarchiste deviendrait le lieu pour exprimer « les finalités déclarées de l’organisation » – une prémisse sûrement utile dans le but de nous accuser de « terrorisme » – parce qu’on y affirme le fait évident qu’un processus révolutionnaire ne peut pas « exclure des formes de lutte violente ». Ces messieurs, avec leur obstination têtue à vouloir faire rentrer l’anarchisme dans les logiques hiérarchiques d’un procès pénal, essayent de rendre coupables ceux qui expriment l’évidence que… « tôt ou tard, quelqu’un finira pour y croire » : si cela n’était pas une dramatique tentative de trouver des arguments pour condamner des personnes à la prison, il pourrait sembler du moins grotesque.

Comme cela pouvait être deviné, notre déclaration à l’occasion du procès en première instance, « Aux cœurs brûlants », n’a pas tardé à atterrir sur les bureaux de plusieurs Parquets. Mais nous ne cherchons certainement pas de Justice là où on peut pas en trouver et nous sommes conscients que c’est avant tout la grande disproportion des forces qui permet l’arrogance répressive étatique. Ce n’est que lorsque les luttes arrivent à prendre de l’essor que les rôles de cette société deviennent clairs, cela vaut aussi pour le théâtre juridique, et que les armes de la répression deviennent moins efficaces. C’est pour cela que nous pensons que cette années deux-mille-vingt-et-un est aussi le fruit d’un esprit révolutionnaire inconsistant et rendu muet, voir complètement incapable de se projeter. Mais nous savons aussi qu’il y a des chemins (im)possibles qui peuvent changer les choses. Bakounine écrivait, à l’aube de la Commune de Paris : « c’est en cherchant l’impossible que l’homme a toujours réalisé le possible ». Nous le savons, tout comme le savent tous et toutes les anarchistes qui sont en ce moment enfermés derrière des barreaux, partout dans le monde. C’est à eux que nous envoyons notre salutation, notre complicité, la solidarité fervente qui nous anime dans l’action. Nous le faisons aujourd’hui, comme nous le rappellerons demain, si nous nous retrouverons à nouveau enserrés dans les murs d’une cellule.

Oui, nous continuerons à être têtus, parce que nous savons que c’est seulement avec un tel esprit que l’on peut regarder vers l’avant, pour continuer à se battre pour la liberté avec les moyens que nous considérons les plus adaptés, et parce que nous savons que nous avons en face de nous un ennemi qui ne fera pas de pas en arrière, de sa propre volonté. La vibration que nous ressentons ne saura jamais être perçue par une organisation sociale qui est fille du profit et de la compétition. Nous regardons au-delà pour voir plus clair. Mais pour cela, il ne suffira pas de tourner notre regard vers nos mains et nos esprits.

Il faut le tourner avant tout vers nos cœurs.
Nos cœurs brûlants.

Trente, 22 février 2021
Stecco, Agnese, Rupert, Sasha, Poza, Nico et Giulio

 

Pour télécharger ce texte, mis en page, en italien, cliquer ici.
Pour télécharger la brochure, en italien, sur l’opération Renata, cliquer ici.

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