Prison de Parc (UK) : Une contribution du compagnon Toby Shone pour une initiative anticarcérale

Dark Nights / samedi 21 mai 2022

Une contribution du compagnon anarchiste Toby Shone pour une initiative anticarcérale, reportée, dans le cadre de la Campagne contre la répression, de Bristol

Cette déclaration de Toby Shone sur l’abolition des prisons a été enregistrée et puis transcrite depuis la prison de Parc, Bridgend, dans le Pays de Galles. Il s’agit de sa contribution à un débat sur l’abolition des prisons, organisé par la Campagne contre la répression, de Bristol, qui devait se tenir le 8 mai 2022, mais qui a été reporté à une date ultérieure, à définir.

Bonjour à tou.te.s.
C’est Toby Shone. Je suis un anarchiste emprisonné à la prion de Parc, gérée par la société G4S. Il s’agit d’un camp d’esclavage qui enferme 1 800 hommes, dans le sud du Pays de Galles, géré par cette multinationale de la sécurité, dans le cadre d’un contrat avec le gouvernement pour fournir une main-d’œuvre bon marché à des entreprises privées.

J’ai été capturé par la police anti-terroriste lors de l’opération Adream, en novembre 2020. Je tiens tout d’abord à vous remercier de votre écoute et de l’opportunité qui m’est offerte par la Bristol Anti-Repression Coalition. Des moments comme celui-ci brisent l’isolement que nous ressentons, en tant que prisonnier.e.s, et ils nous donnent également une chance de participer et de nous exprimer. Il y a de nombreuses raisons de s’opposer aux prisons et au système judiciaire actuel et, en tant qu’anarchiste, je ne peux pas séparer la lutte anticarcérale de la lutte contre l’État et la civilisation ; je vais y revenir après. Mais maintenant, je vais faire un bref compte-rendu de certaines des luttes collectives à l’intérieur des prisons.

En étant ici, je n’ai jamais essayé de cacher mes idées et à cause de cela j’ai été l’objet de beaucoup d’intimidations et d’une surveillance accrue de la part de l’État, mais je n’ai jamais reculé. Les prisons, au Royaume-Uni, sont pour la plupart sales et surpeuplées, elles manquent de ressources fondamentales, elles sont dégradantes et en ruines.

A Londres, j’ai été détenu dans une prison dans la prison, aux côtés de djihadistes, de mafieux russes, italiens et ukrainiens, de membres de bandes de quartier en guerre entre elles, de blanchisseurs d’argent de haut niveau, etc. En général, nous nous entendions tous bien, malgré des niveaux élevés de violence et une moyenne d’un décès ou un suicide par mois. Là-bas, on avait une buanderie où on pouvait se rencontrer, jouer aux cartes et discuter. Nous échangions des livres et des idées, ainsi que nos espoirs et nos peurs. Et à cause de cet espace social, l’administration de la prison a décidé de fermer notre buanderie et de la déplacer en dehors de notre aile. Du coup, nous avons mené une petite lutte pour la garder ouverte, ce qui a crée une certaine unité entre tous les groupes, on a recueilli 200 signatures pour notre pétition, et en plus presque tous les hommes du quartier H l’ont signée. Cela peut sembler une lutte mineure, mais en prison tout, même ce qui est petit, prend une importance énorme, parce qu’on n’a presque rien d’autre que sa dignité et on est les seul.e.s à pouvoir la laisser tomber. Et il est important pour notre décence d’avoir des vêtements, des draps de lit, des taies d’oreiller, etc., propres. Et si la buanderie allait être déplacée hors de l’aile, cela ne pouvait plus être garanti et personne ne voulait se faire voler ou abîmer ses vêtements, car il est presque impossible d’en avoir d’autres. Et cela aurait signifié aussi que nous aurions dû faire face à l’impossibilité de laver nos vêtements plus d’une fois par semaine et ce, même si le système fonctionnait correctement. En pratique, en prison, rien ne fonctionne comme il devrait et c’est prévu comme-ça, pour rendre la vie le plus difficile possible. Il suffit de dire que notre pétition a été complètement ignorée par les autorités et que le détenu responsable de la buanderie a perdu son boulot et a été transféré de prison, comme une sorte de punition parce qu’on lui reprochait de semer le trouble. Dans les prisons, les administrations ont très peur de tout ce qui peut remettre en cause leur pouvoir, même un petit peu. Nous devons considérer positivement ces luttes intermédiaires, mais nous ne devons jamais abandonner nos positions.

Quand j’ai été transféré à Bristol, nous avons pu mettre en place un comité informel de prisonniers de l’aile G, en dehors de toute structure officielle de médiation, étant donné qu’en prison il y a des rôles désignés pour les représentants, qui alimentent le système. Dans notre groupe informel, on parlait et on jouait aux cartes. On a réussi à obtenir une table pour nous asseoir – même de petites choses comme celle-ci sont vues comme subversives. Nous avons contribué à améliorer la situation dans l’aile la plus violente de la prison, en essayant d’empêcher les agressions et de décourager le flux de drogue synthétique. L’une des premières choses que l’on remarque en prison, c’est le niveau élevé de drogues et de médicaments, qui aident le système à maintenir les prisonniers dociles. Pendant la pandémie, il était clair que la seule façon pour les drogues de se frayer un chemin jusqu’aux couloirs, c’est par le biais du personnel lui-même. Du coup, nous avons changé l’atmosphère de l’aile G, en favorisant une cohésion entre les différents groupes de prisonniers et nous l’avons fait simplement grâce à nos amitiés.

Mais la façon principale est de favoriser la conscience de classe, l’entraide et la solidarité et cela doit être fait sans aucune forme d’arrogance ni signe de faiblesse. Les anarchistes emprisonné.e.s ont la responsabilité d’agir avec cohérence, sinon personne ne les prendra au sérieux et sur le long terme ils/elles nuiront à notre mouvement. Dans notre comité informel, nous nous sommes exprimés contre le racisme, et parmi les prisonniers de l’aile et parmi le personnel de la prison. Nous avons demandé de l’eau chaude et du chauffage, car nous n’avions ni l’une ni l’autre, pendant les mois les plus froids, de janvier à mars, et nous avons partagé des livres au sein de notre groupe. J’ai pu parler du Rojava, de la guerre civile espagnole et du mouvement anarchiste contemporain, faire des comparaisons, des critiques et lancer des discussions sur l’insurrection anarchiste et les luttes sociales en général. Au final, nous avons rédigé un texte qui dénonçait le racisme du personnel de la prison de Bristol, bien illustré par le Senior officer des matons de notre aile et par sa manière de traiter les Asiatiques du deuxième couloir. A cette époque, je recevais déjà des menaces de mort de la part d’un autre Senior officer, cela en raison de mes opinions révolutionnaires et du fait que je ne me repente pas. Cette situation a attiré le regard des médias locaux et, comme forme de vengeance, j’ai été transféré à la prison de Parc (toujours gérée par G4S).

La dispersion est un outil utilisé pour isoler les radicaux.ales emprisonné.e.s. Notre dernier texte a montré l’évolution et la pensée de notre comité, dans un laps de temps très court. C’est un appel à une réunion nationale sur les prisons et sur la nécessité de s’opposer au nouveau plan de construction de prisons. En prison il y a tout le temps des protestations individuelles et de petits groupes, à propos des conditions de vie et des problèmes des détenus et ici il faut être solide pour survivre, sinon on ne s’en sort pas. On souffre, et c’est pourquoi nos communautés de résistance doivent se préparer à la prison, pour ne pas être intimidé.e.s ou accablé.e.s ou encore, dans le pire des cas, se retourner les un.e.s contre les autres. Déjà, nous devons choisir nos compas et nos affinités en fonction de nos propres choix et parcours. La rébellion doit devenir notre réalité quotidienne, à l’intérieur et à l’extérieur, dans la mesure de nos propres capacités. Mais nous ne devons pas commettre l’erreur de chercher un nouveau sujet révolutionnaire à l’intérieur des murs des prisons. Tout comme à l’extérieur, de nombreux prisonnier.e.s coopèrent volontiers avec l’ennemi, se rabaissent eux/elles-mêmes et font partie d’une hiérarchie insidieuse, imposée par des coups de pression, par la délation, l’intimidation et la violence.

Notre rôle ici est de garder notre critique, sans commettre le même genre d’erreurs que les libéraux ou les socialistes. L’intérieur d’une prison est un microcosme de la communauté dehors. Des luttes intermédiaires sont nécessaires pour obtenir des avancées, mais nous ne pouvons pas en rester là, nous devons continuer à combattre. Nous devons dépasser les pièges réformistes et les luttes pour un but unique, qui ne mènent nulle part et qui sont tous trop faciles à récupérer par l’État, qui cherche toujours à résoudre les contradictions qu’il génère lui-même. Il ne suffit pas de viser l’abolition des prisons. Notre monde tout entier ressemble de plus en plus à une immense prison, où nous sommes tou.te.s enfermé.e/s. Emprisonné.e.s et aliéné.e.s dans nos maisons, dans nos emplois, dans nos relations et nos familles. Nous sommes asservi.e.s par des appareils électroniques, par nos habitudes de consommation, par des désirs fabriqués de toutes pièces et de faux choix dictés par des applis de style de vie et une vie dématérialisée. Nous vivons dans une société-prison. Du coup, je pense que nous devons aller plus loin et détruire la société, qui est la racine de la maladie. Cette civilisation est en tension entre la sur-socialisation et l’atomisation solitaire. Nous devons créer une insurrection sociale vers la révolution permanente – pour les gens, les animaux et la terre.

En conclusion, je reconnais que ce que vous entendez là n’est pas nouveau, mais cela reste essentiel à transmettre et je vous remercie pour votre temps et votre attention.

Enfin, je tiens à exprimer mes remerciements à tou.te.s celles/ceux qui ont participé au rassemblement devant le tribunal de Bristol, pour mon audience pour l’Ordonnance de prévention du crime, le 6 mai, et à tou.te.s ceux/celles qui sont venu.e.s dans la salle d’audience. Ça a été vraiment bien de vous voir tou.te.s. Et je veux aussi remercier toutes les personnes qui ont participé aux rassemblements avec feux d’artifice devant la prison de Bristol. Je veux vous remercier – vous tou.te.s – et je sais que la meilleure solidarité est la continuation de la lutte. Le fait de voir le fourgon de police en feu et le poste de police détruit, pendant les émeutes de Bristol, l’année dernière, nous a provoqué une joie indicible, à moi et aux autres prisonniers des cachots de la prison londonienne de Wandsworth !

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