Milan (Italie) : Un compte-rendu du 26 octobre sur le piazzale Loreto

Round Robin / jeudi 19 novembre 2020

Nous essayons, avec un peu de retard, de racontar ce que nous avons vu lundi 26 octobre, sur le piazzale Loreto, à Milan, dans le but d’esquisser une évaluation, dans les grandes lignes, de ce qui a été cette journée, de ses motivations, sa composition et ses conséquences les plus immédiates.

L’appel a tourné sur le réseaux sociaux et via des listes, avec différents affiches qui appelaient à descendre dans la rue, avec des mots d’ordres génériques tirant leur inspiration de ce qui s’était passé à Naples quelques jours auparavant. A des yeux attentifs, il était évident que derrière cela il y avait le milieu de l’extrême droite : l’utilisation de mots comme « les milanais », la prolifération de drapeaux tricolores sur les flyers de l’appel, le manque de revendications claires pouvant indiquer une catégorie de travailleurs déterminée – des secteurs qui, pourtant, s’étaient déjà mobilisés pendant les jours précédents, avec des rassemblements devant le palais de la Région – ainsi que, et n’est pas la moindre des choses, les canaux utilisés pour sa diffusion, liés au milieux des ultras de foot, tout cela renvoie directement à un terrain réactionnaire et populiste.

Le choix d’une place comme Loreto, qui est de facto un grand rond-point pour voitures, a rendu difficile un rassemblement initial visible par tous ceux qui voulaient y participer. On voyait plusieurs petits groupes à différents endroits de la place, qui attendaient que quelqu’un prenne l’initiative. L’arrivée d’un gros groupe organisé, qui s’est mis sur la chaussée du corso Buenos Aires [grande artère commerciale, cossue, de la ville ; NdAtt.] a fait démarrer la manifestation, rassemblant les nombreux petits groupes éparpillés. En plus de l’absence de banderoles et de tracts, on remarque le manque de discours de tout type. Les seuls mots d’ordre rythmés durant tout le parcours ont été le cri « liberté » et des insultes génériques à l’encontre du chef du gouvernement. A ce point il est nécessaire de rentrer dans les détails du rôle des fascistes dans la contention et la gestion de la manifestation.
Depuis le début, ils se sont distingués comme la seule force organisée, ayant bien en tête ce que le cortège devait être. La présence de membres des deux groupes d’ultras les plus importants de la ville, qui, à Milan, sont dans les mains de l’extrême droite, s’est faite remarquer dès tout de suite, par l’utilisation massive de fumis et pétards. Pour le reste, le rôle des fascistes pendant la manifestation a été celui d’un service d’ordre, reconnaissable et équipé, autour du cortège et aux carrefours les plus importants. Un service d’ordre qui a bien fait son travail, en évitant que les vitrines des boutiques de corso Buenos Aires se fassent prendre d’assaut par les manifestants. Depuis le début, l’ambiance était pétillante, avec des jeunes qui ont commencé à renverser des poubelles et à s’en prendre au mobilier urbain. Dès que quelqu’un a essayé de toucher à une vitrine, le service d’ordre s’est présenté et a immédiatement clarifié que des telles actions n’auraient pas été tolérés. Les explications données au pourquoi il n’aurait pas fallu attaquer les vitrines allaient dans le sens de l’équipartition des motivations des manifestants et de celles des propriétaires des boutiques du corso Buenos Aires.

Si l’extrême droite locale, arrivée directement des stades de foot, a ostensiblement joué un rôle de frein et de contrôleur, d’autre part le cortège a été animé par des jeunes et des très jeunes venant des quartiers de la périphérie et de la banlieue milanaise, dont des nombreux fils d’immigrés, nés en Italie. Notre hypothèse est que leur présence, ainsi que celle des compagnons, ait été tolérée à cause de la volonté, de la part de ceux qui ont lancé cet appel, de montrer et de se montrer en tant que mouvement de rue, à un niveau national, après Naples et Rome, où Forza Nuova [micro-parti néofasciste ; NdAtt.] est même descendue dans la rue sans s’en cacher, avec ses propres militants et symboles.
La limite a été mise sur la façon de participer à la manifestations, plus que sur qui avait le droit d’y participer.

Le cortège s’est déroulé suivant en général les ordres de sa sécurité intérieure, jusqu’au palais de la Région, sans entrer en contact avec la police, qui se tenait à distance, mis à part quelques attaques ponctuelles contre des voitures de police isolées, menées par des personnes qui se lançaient de manière non organisée.
Un doute surgit spontanément et, même si difficilement on pourra le vérifier, il faut quand-même le mentionner, afin d’avoir un cadre de la réalité le plus adhérent possible. On a eu la sensation que la manifestation ait été informellement autorisée, jusqu’au palais de la Région, et que les ultras organisés aient garanti aux autorités qu’on n’aurait pas dépassés certains limites, en assumant leur le rôle de défenseurs de l’ordre.
Cela fait des années qu’une manifestation sauvage ne peut pas passer sur le corso Buenos Aires sans s’affronter frontalement avec la police.

Arrivés devant le palais de la Région, on a trouvé les camionnettes de l’anti-émeute postées à sa protection ; elles ont été la cible de jets de bouteilles, de pétards et de quelques rares cocktails Molotov. La police a répondu avec une pluie de lacrymos et avec quelques petites charges d’allégement, sans toutefois aller au contact avec les manifestants. Il faut signaler que la composante d’extrême droite est disparue tout de suite, ce qui confirmerait la thèse d’un accord entre ultras et Direction de la police. Le cortège s’est donc dispersé en des nombreux petits groupes, qui ont continué à errer à travers la ville, poursuivis par les lacrymos de la police, sans trop savoir où aller, chose qui met en lumière un manque de connaissance concrète sur la manière de prendre la rue et de se défendre tous ensemble.

Ensuite, la soirée s’est petit à petit éteinte. La police, une fois dispersé la manifestation, en a profité pour interpeller des nombreuses personnes, pour la plupart des jeunes mineurs étrangers, qui sortiront de garde à vue seulement le lendemain matin, avec des plaintes pour rébellion et manifestation non autorisée.
Après cette journée-là, la sensation que quelque chose encore pouvait arriver a grandi et des nombreux appels se sont suivis, en essayant de calquer et de rappeler la soirée du 26 octobre, avec l’utilisation des mêmes slogans génériques et en appuyant plus sur un imaginaire protestataire que sur des contenus précis. Nous pensons cependant que la répétition de ce qui s’est passé ce jour-là sera difficile, étant donné qu’il s’est agi du résultat de différents conditions spécifiques à ce moment là, entre autre le comportement « tolérant » des forces de l’ordre, qui ont décidé de maintenir un comportement radicalement opposé déjà le samedi suivant, quand, en réponse à un appel semblable sur le piazzale Loreto, la direction de la police a répondu en plaçant 10 camionnettes de police, en contrôlant quiconque se rapprochait, empêchant donc un rassemblement et occupant préventivement l’espace urbain.

Essayons maintenant d’esquisser quelques réflexions, qui pourront sûrement être démenties, n’étant pas possible de pas tirer une théorie à partir d’un seul événement.
La présence des fascistes comme premier trait caractéristique non seulement de la manifestation milanaise, mais aussi de nombreuses autres manifestations dans toute l’Italie devrait, à minima, nous faire méditer. C’est indéniable qu’il y a une meilleure adhérence entre les discours de l’extrême droite et les intérêts des catégories professionnelles qui demandent à l’État le retour à la normale, ce qui se concrétise surtout dans la tranquillité pour l’économie et dans la possibilité de gagner.
Malgré le fait qu’à Milan, le 26 octobre, ces personnes n’aient pas été présents, nous devrions, en tant que compagnons et compagnonnes, cogiter sur l’existence de possibles points de contacts (et lesquels) entre notre discours révolutionnaire concernant la situation actuelle et ces personnes, expression d’une petite bourgeoisie qui est en cours d’appauvrissement et essaye, par ses appels à l’État, de résister à la chute dans la misère économique. En plus du problème de la pénétration des discours fascistes dans le cœur du mécontentement sociale actuel, il existe aussi, pour nous, une question urgente d’espace d’action, non seulement pour nos discours, mais aussi pour nos pratiques. Dans plusieurs villes italiennes, les compagnons et les compagnonnes se sont trouvés obligés a faire face de façon « militaire » à la présence fasciste dans les rues, jusqu’à en arriver, dans certains cas, à des vraies bagarres,.

L’autre élément que nous voulons souligner est, justement, la présence de très jeunes gens venants des quartiers les plus populaires de Milan, peut-être motivés à descendre dans la rue par les images de la protestation de Naples et par l’imaginaire crée par les révoltes qui, à un niveau global, ont touché différents pays, ces dernières années.
Cette composante, qui n’a pas de mots d’ordre ni de revendications, a montré de ne pas avoir une grande pratique des émeutes de rue, quelque chose qui peut naître seulement de situations qui, malheureusement, à Milan n’ont pas été si fréquentes.
Pour ce qui en est du manque de revendications, on peut supposer que ce soit difficile d’imaginer quelque chose à demander à l’État (qui les a toujours considérés comme invisibles ou comme des délinquants) de la part de gars très jeunes, dont beaucoup de fils d’immigrés, issus de familles avec des problèmes économiques, et pour lesquels décrire l’avenir comme catastrophique est un euphémise. De plus, l’extranéité augmente pour ceux qui, encore mineurs, n’ont pas encore une réponse à la question s’ils pourront rester en Italie, étant donné que la loi prévoit que l’enfant d’immigrés qui naît en Italie, lors de ses dix-huit ans, doit mériter la nationalité par sa bonne conduite sociale, ou, en cas contraire, il va recevoir un permis de séjour temporaire. On peut imaginer le malaise de quelqu’un qui, grandi dans un pays occidental, est en permanence considéré comme étranger et est continuellement soumis au chantage de l’enfermement dans un CRA et de l’expulsion vers un endroit décidément méconnu.
Il serait intéressant pour nous de trouver des points de contacts avec ces gars, qu’ils nous paraissent plus de notre coté de la barricade que le propriétaire d’une discothèque qui demande à l’État de pouvoir travailler.

Le pari pour le futur nous semble être celui d’une rencontre des segments de la société qui pourraient créer des ruptures plus ou moins durables, qui mettent définitivement en crise la narration du « on est tous dans le même bateau » et qui posent, dans ce moment exceptionnel de pandémie, la question de la classe. Les segments qui peuvent donner vie à ces fractures sont ceux qui ne sont pas récupérables par le capitalisme, ces gars qui vivent de travail au black, ceux qui n’ont pas les bons documents et ceux qui, en général, sont expulsé de ce système social. Il y a aussi ceux qui sont laissés sur le seuil entre inclusion et exclusion, comme les livreurs à vélo ou les travailleurs de la logistique, utiles pour être exploités par le capital et les grandes villes, mais à qui on nie toute participation.

Le dernier élément qui, à contrecœur, nous devons souligner est que, par rapport à d’autres manifestations en Italie, la réponse de Milan a été peux chaleureuse. Cela est attesté avant tout par le nombre de participants, environs 300, décidément peu pour une grande métropole.
Cela est réaffirmé aussi par l’échec des appels suivants, tous plus ou moins anonymes, qui n’ont pas réussi à devenir visible ni à avoir un quelconque impact, aussi à cause du travail de prévention effectué par la police.

Pour l’instant, ce qui s’est passé le 26 octobre semble quelque chose d’exceptionnel, qui s’est peut-produit suite aux images et aux nouvelles venant d’autres villes, mais c’est sûrement une expression d’un mécontentement vraiment ressenti.
L’avenir de crise et de misère qui nous attend laisse supposer que ce n’est pas fini. La grève longue et sauvage des livreurs à vélo, ces derniers temps, le démontre.
Comme toujours, c’est à nous de savoir saisir les ruptures qui se présenteront.

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