Bologne (Italie) : Si on ne meurt pas, on va se retrouver

Si on ne meurt pas, on va se retrouver
Des considération sur l’opération « Ritrovo »

Round Robin / dimanche 14 juin 2020

Vers 2h du matin de mercredi 13 mai 2020, les ROS [Raggruppamento Operativo Speciale des Carabinieri, qui s’occupe de criminalité organisée et de terrorisme ; NdAtt.] de Bologne, Florence et Fidenza, avec 200 Carabinieri, font irruption dans la vie de 12 compagnonnes et compagnons anarchistes. Le juge d’instruction Panza, sur demande du procureur Dambrouso, a disposé l’arrestation de sept d’entre eux/elles et, pour cinq d’autres, l’interdiction de sortir de la commune de résidence e de sortir de chez soi la nuit (pour quatre d’entre elles/eux il y a aussi l’obligation de pointer au commissariat chaque jour). Un scénario que l’on connaît bien et qui, grâce aux déclarations du parquet, révèle le caractère « préventif » de ces arrestations, en rendant encore plus explicite, aux yeux de tout le monde, le message qu’il envoie : que ce soit bien clair pour quiconque espère que la crise ouvre la possibilité de secouer les rapports sociaux actuels que l’État ne change pas. Les accusations sont association avec finalité de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique, avec comme délits spécifiques la provocation à crimes et délits, des dégradations et un incendie.

270bis : association avec finalité de terrorisme

Même si, lors de l’appel des incarcération préventives, cette accusation a été considérée comme non appropriée par le juge des libertés et de la détention, nous risquons quelques mots à son propos, étant donné que sur celle-ci (et sur l’aval qui lui a donné le juge d’instruction Panza) étaient fondées les mesures de détention.

Comme dans d’autres cas, au centre de cette opération, appelée « Ritrovo », il y a les luttes. Deux luttes en particulier : celle contre les Centres de rétention administrative et celle contre la prison – qu’elle soit destinée à des compagnons et des compagnonnes ou pas. L’État parle clairement : les terroristes sont les personnes qui expriment de la solidarité, qui luttent, qui ne gardent pas leurs bouches cousues, qui manifestent ouvertement leur approbation envers l’action directe et les formes d’opposition radicales – même illégales – face aux stratégies de la répression et de l’exploitation. Non seulement : ce que l’on voit aussi dans d’autres opérations répressives récentes c’est l’utilisation du délit de provocation à crimes et délits en tant que ciment de l’hypothétique association : à cette époque, les mots font peur et l’État agit déjà avec des modalité de régime dictatorial. Cela arrive déjà depuis un moment et nous nous attendons que cela arrive encore.

Les dossiers nous disent que la « cellule » de Bologne avait la possibilité de réaliser des actions petites mais réproductibles à un niveau national, par des groupes similaires. Des groupes avec qui la dite « cellule » était en contact : un réseau capable d’« obliger les pouvoirs publiques à effectuer ou s’abstenir d’effectuer un acte » [il s’agit de la définition officielle de terrorisme, définie par l’article 270 sexies du Code pénal italien ; NdAtt.].

Notre positionnement, à ce propos, est simple : si le fait de porter de la solidarité aux personnes qui se révoltent et de prendre position contre les injustices c’est du terrorisme, alors nous sommes tous et toutes des terroristes. Nous sommes heureux d’accepter cette accusation si, dans ce monde, le terroriste est celle/celui qui ne garde pas la bouche fermée et choisit d’attaquer. Attaquer ces institutions qui fondent sur la peur leur gouvernement des peuples. A ce propos, on pourrait parler de guerres, de bombes dans des places, de morts en mer et de coups de matraque, mais à quoi servirait-il ? Les derniers trois mois n’ont pas suffit pour nous montrer de combien de peur a besoin l’État pour nous gouverner ? La peur des contrôles, la peur du pouvoir arbitraire des forces de l’ordre, de la « bavure », la peur de tomber malade ou de contaminer autrui, obligés à aller travailler et à ne pas pouvoir se soigner de façon adéquate à cause du démantèlement du système sanitaire. Une peur qui nous terrorise de plus en plus, si l’on pense aux arrestations de travailleurs en grève et aux quatorze morts dans les prisons.

La gestion de la crise du Covid-19 a révélé de manière évidente quelles sont les vies que le pouvoir est le plus disposé à sacrifier, dans un système de production techno-numérique, comme les personnes âgées dans les maisons de retraite ou les personnes handicapées dans les centres, ou encore les personnes emprisonnées, des corps criminalisés dans les prisons et les CRA.

Une partie toujours grandissante de la population subit un niveau de violence toujours plus fort et toute réaction est immédiatement qualifiée de terrorisme.

Provocation aux crimes et délits

Aujourd’hui, l’accusation de provocation aux crimes et délits montre une contradiction évidente, l’injustice et l’arbitraire sur lesquels se fonde le pouvoir. Pour qu’il y ait provocation, selon le proc’ Dambruoso, il y a la nécessité d’un contexte approprié et réceptif : puisqu’ils ne persécutent pas les idées, il faut que l’environnement économique/social soit, comme dans ce cas, apte à recevoir la provocation à l’acte illicite. Cela signifie que ce que hier encore n’était pas de la provocation aux crimes, le devient aujourd’hui, parce que les temps ont changé. Qu’est ce qu’il nous faut encore pour comprendre que le Code pénal n’est rien d’autre qu’un instrument pour maintenir l’inégalité de classe, dans le seul but de défendre une classe dirigeante qui, au gré des changements de la direction du vent, risque de perdre aujourd’hui son chapeau et demain sa tête ?

C’est dans cette optique que la « valeur préventive stratégique » [comme les magistrats eux-même ont déclaré aux journalistes ; NdAtt.] acquiert tout son sens. Dans un moment comme celui-ci, une opération qui enlève des rues douze têtes qui pensent, douze cœurs libres, est assez pratique, parce que – c’est eux qui l’ont dit – la crise avance et l’avenir sera sombre pour celui qui siège sur le trône. Les six mesures de surveillance qui ont été maintenues (interdiction de quitter la commune de résidence, en plus de l’interdiction de sortir de chez soi la nuit) sont, en effet, motivées par le délit de provocation aux crimes.

Qu’on nous permette, cependant, une parenthèse sur cet aspect « préventif ». La première demande de prison préventive, initialement refusée par le juge d’instruction, remonte à juillet 2019, la deuxième, acceptée, est par contre du 6 mars 2020, à la veille des révoltes dans les prisons. L’opération était prête depuis un bon moment et la « valeur préventive stratégique » s’ajoute ensuite, avec quelque signalements pour des rassemblements devant la prison de la Dozza, à un dossier déjà remarquable.

Agitateurs, fomentateurs, incitateurs, propagandistes : les anarchistes sont tout cela, depuis toujours. Mais nous y tenons à clarifier une chose : les anarchistes ne disent à personne de faire quoi que ce soit pour leur compte. Ils défendent ce qu’ils pensent être juste et ils agissent par eux-mêmes, seuls ou avec d’autres, mais jamais ils se placent au dessus des autres, pour en façonner les comportements et les actions. Celle-ci est une stratégie qui appartient à la politique et nous ne croyons pas dans la politique, nous croyons dans l’action directe dans ses milles formes, qui sont l’opposé de la politique.

Il ne s’agit pas de renvoyer les accusations à l’expéditeur, ni, encore moins, de comprendre si anarchisme et provocation aux crimes vont ensemble (une question qu’on laisse volontiers aux avocats), ce qui nous intéresse comprendre ce sont plutôt les causes profondes de la révolte. Selon quelqu’un, la révolte viendrait des mots d’incitation du fomentateur, des insinuations du fou, qui auraient la capacité de fêler ce meilleur des mondes. Selon ce quelqu’un, s’il n’y avait pas eu des présences solidaires devant les prisons et les CRA, il n’y aurait pas eu de révoltes à l’intérieur. Comme on le sait bien, il y a des nombreuses révoltes dans certains lieux, même sans aucune présence solidaire dehors qui agisse comme de caisse de résonance. Cela parce que la prise de conscience de la misère dans laquelle on vit, l’identification de l’ennemi et la nécessité d’agir ne sont certainement pas déterminées par des discours d’incitation, mais plutôt par les vexations subies et les injustices que l’on ne peut plus supporter.

Les révoltes sont une habitudes, dans les CRA, depuis des années, dans les prisons ça a été le cas en mars 2020, elles les sont ces jours-ci aux États-Unis, où, après l’énième abus, après l’énième assassinat d’une personne noire de la part de flics blancs, une partie de la population s’est insurgée. La rage aux États-Unis dit cela clairement : il n’y a pas besoin des anarchistes pour inciter, le dégoût de ce monde est suffisant par lui-même.

Hérétiques, socialistes, autonomes, anarchistes, antifas… les catégories avec lesquelles les gouvernements ont essayé, depuis toujours, de mystifier le phénomène de l’opposition radicale, pour ne pas en affronter les racines profondes, n’ont jamais manqué. Mais la vérité est que la graine de la révolte est plantée dans un terrain fait d’exploitation, de contrôle, de répression, de racisme, d’injustice et, toujours plus, de prévarication gratuite. Ça ne serait pas surprenant si, un jour, cette graine décidait de germer ici aussi, même dans le silence le plus complet de toute voix critiques. Soyez-en sûrs, ça va arriver.

On l’a vu pendant les mois de confinement. Pendant que, dehors, le gouvernement de la peur rassurait la population, dans les prison cette même peur est devenue ingérable de la part de ceux qui ont toujours fondé leur pouvoir sur la peur. Déjà le 26 février, Roberto Ragazzi, directeur du département de médecine pénitentiaire de l’agence régionale de santé de Bologne, a ordonné à ses employés de ne pas porter de masques dans les prisons, pour ne pas inquiéter les détenus.

Le 9 mars, acculés et exaspérés, les détenus décident que la peur qu’on leur impose est désormais intolérable, la situation échappe des mains des institutions pénitentiaires et une révolte explose à la prison de la Dozza, dans le sillage des autres qui éclatent dans d’autres prison du pays.

Qui pourrait, face à cela, penser encore que la révolte est le produit d’une conspiration ou de quelque contestataire isolé ? C’est les anarchiste qui incitent ou bien la première source d’incitation est l’invivabilité d’une vie fondée sur la peur et la terreur ?

Actions et sabotages

Tout part de là, du moins c’est ce qu’ils disent, parce que les écoutes téléphoniques et dans des lieux étaient en place déjà depuis longtemps, au moins depuis 2016, depuis la bombe qui a explosé à la caserne de Corticella [le 27 novembre 2016, un engin incendiaire a provoqué des gros dégâts à une caserne des Carabinieri, dans le quartier Corticella, à Bologne ; NdAtt.]. En tout cas, tout commercerait une nuit de décembre 2018, quand une antenne-relais a été incendiée sur une colline près de Bologne. Les antennes radio de Santa Liberata étaient utilisées par des radios et des télés locales, ainsi que par les forces de l’ordre (le réseau « inter-forces ») et quelques entreprises engagées dans la surveillances audio et vidéo. Ce soir-là, quelques télévisions n’ont pas pu transmettre et la Guardia di Finanza [unité militaire chargée de la fonction de police dans la lutte contre l’évasion fiscale, la contrebande, etc., ainsi que de la sécurité en mer ; NdAtt.] a eu une interruption de ses communications radios. « Éteindre les antennes, allumer les consciences. Solidaires avec les anarchistes détenus et sous contrôle judiciaire » ,voilà le tag laissé à côté. C’était l’une des nombreuses actions qu’ont eu lieu en Italie et en Europe contre les infrastructures concrètes du monde immatériel.

Dans la période entre février et avril 2019, en parallèle à des manifestations de rue, et pas que, il y a eu des tags et des dégradations contre des filiales des banques BPER et BPM (propriétaires des bâtiments du CRA de Modena, qui allait ouvrir sous peu) et contre des caméras de surveillance, des monuments nationalistes et une caserne des Carabinieri. Quoi dire? Quand les responsables des injustices et de l’oppression reçoivent un peu de l’amertume qu’ils nous font bouffer jour après jour, on ne peut pas s’empêcher de s’en réjouir. Pour nous, certaines actions, même petites, ont une grande importance. Notre critère de justice ne vient pas d’un Code qui nous n’avons jamais approuvé, mais du fait que ces actions ne viennent pas par hasard et du sens des objectifs qu’elles ciblent.

Qu’il essayent de nous faire taire à force d’inculpations, frapper ceux qui répriment et exploitent est indubitablement quelque chose de juste.

Solidarité

Faire face à la répression c’est essayer de transformer la merde en fleurs.

La dimension de la solidarité que nous avons reçu a été une belle surprise. Et pas seulement de la part de « militants et activistes », mais aussi de la part de nombreuses personnes que personne aurait imaginé puissent prendre les défenses d’une « bande d’anarchistes ». Un certain rôle a sûrement été joué par les amitiés, les connaissances, les rencontres et les personnes qui marquent le quotidien, la vie de tous les jours. Avec ceci, nous ne voulons pas dire que l’ « enracinement dans la société » soit la recette contre la répression, aussi parce qu’une définition précise de cet enracinement est assez difficile, ni que les parcours des compagnons et des compagnonnes anarchistes doivent forcement l’impliquer. Cependant, dans cette situation spécifique, cela a été un élément que nous pensons important à mentionner.

Cette solidarité n’est pas fruit du hasard, comme ne l’est pas le fait que, après des mois d’enfermement chez soi, de peur et de vexations de la part de la police, des personnes aient pensé que cet énième exemple de répression, à l’encontre de quelqu’un qui, ces derniers temps, a clairement levé la voix contre l’allure sécuritaire, était vraiment de trop. Les anciens rapports sociaux ont changé en pire, pour les exploités, et ils doivent être rapidement transformés en normalité ; peut-être qu’il y a des personnes qui n’ont pas voulu baisser la tête, rien que devant des affirmations comme la « valeur préventive stratégique », comme si des amis et des connaissances étaient un virus à éradiquer, des personnes dérangeantes dont il faut se libérer, indépendamment de leur culpabilité ou innocence.

Mais pour tout dire, il faut souligner quelque chose dont nous sommes conscients et sur lequel il faudra réfléchir par le futur : la faiblesse de l’accusation a sûrement été un élément important dans la mobilisation solidaire, surtout pour ce qui est des personnes qui sont lointaines des luttes. Elle a sûrement participé à faire naître l’idée que ce qui était en train de se passer était une injustice digne d’une dictature. La situation a joué là-dedans, on l’avoue. Cependant, on sait aussi que la solidarité doit être révolutionnaire, toujours à coté de ceux qui luttent contre l’État et les patrons, au delà des chefs d’inculpation. Nous devons avoir l’honnêteté de lire les contextes, mais aussi la cohérence de rester fidèles à nos convictions, même dans les moments les plus durs, essayer de montrer une solidarité forte et déterminée, même quand la répression frappe plus fort. Justement à cause de cela, nous n’avons jamais parlé de « coups montés », ni avons jamais choisi (et c’est bien comme ça) un discours innocentiste, même face à un éventuel élargissement de la solidarité, pour essayer de porter des discours radicaux à plus d’oreilles possibles. « Éteindre les antennes, allumer les consciences », par ces mots s’ouvrait la manifestation du 30 mai : une déclaration de la justesse de l’action directe, du sabotage et des pratiques d’attaque contre les structures et les serviteurs de ce système.

La première réponse à la répression a été le retour dans les rues, comme avant, plus qu’avant, malgré la peur et les interdictions, pour exprimer ce que la solidarité signifie à nos yeux : des pratiques.

La répressions, quand elle ôte des compagnons et des compagnonnes aux luttes, veut nous limiter concrètement, en nous enlevant des forces et en nous faisant peur. Il faut être conscients que nos parcours comportent la possibilité que, tôt ou tard, l’État vienne toquer à nos portes, il faut se préparer à l’éventualité de la répression et, à ce moment là, il faut garder la lucidité de ne pas se laisser vaincre, mais (et cela pourrait sembler banal) de répondre, de relancer les luttes et de ne pas se rendre. C’est précisément quand la solidarité est prise pour cible (comme dans ce cas) et précisément quand les réseaux de solidarité sont remis en cause, qu’il faut utiliser la répression comme une condition et une opportunité de se renforcer et de relancer. Les difficultés partagées peuvent devenir une occasion et une condition pur se connaître, se comprendre et mieux s’organiser, se renforcer et transformer la solidarité en arme.

Le moment que nous vivons démontre que l’État a pris un chemin clair et significatif, on a bien compris que les mois et les années à venir seront délicats et tendus.

Plus conscients et plus forts qu’avant, on va se retrouver dans la rue.

« Et dites, dites ! Qu’est ce que vous seriez,
sans dieu, sans roi, sans patrons,
sans entraves, sans larmes ?
– La fin du monde ! »
« Matricolati », Cronaca Sovversiva, 26 mai 1917

Anarchistes de Bologne

 

* Peu avant la rédaction définitive de ce texte, on a reçu la nouvelle de l’énième opération répressive, menées par le Parquet de Rome, qui a frappé 7 compagnons et compagnonnes, dont 5 sont en prison et deux aux arrestations domiciliaires. Les informations sont encore partielles, mais on voit plusieurs similitudes avec l’affaire de Bologne. Là aussi l’opération a été effectuée par le ROS, les accusations (pour les personnes emprisonnées) sont de 270bis, en plus de nombreux accusations précises, parmi lesquelles attentat avec finalité de terrorisme, incendie et provocation à crimes et délits, plusieurs épisodes toucheraient des actions en solidarité avec des prisonniers et prisonnières. On l’a dit, l’État montre ses muscles, dans un moment de l’histoire qui s’annonce plein de possibles tensions. La solidarité est fondamentale et nous la réaffirmons, sans hésitations et sans distinctions, à l’encontre des compagnons et les compagnonnes pris pour cible à Rome.

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