Turin (Italie) : Deux lettres d’Amma, depuis la taule

Appel à la solidarité anarchiste

Round Robin / jeudi 7 novembre 2019

Je veux commencer en expliquant le sens que je donne au mot « solidarité », diffèrent de celui que je donne au concept de « proximité ». Cette introduction à mon texte ne veut pas amoindrir l’importance de l’action d’aucun.e compa anarchiste, mais veut porter des critiques, dans le but de nourrir le débat entre des individualités qui luttent contre notre ennemi, afin d’affiner et d’aiguiser nos idées et les pratiques qui en découlent.
Je vois souvent que des compas anarchistes, dont certain.e.s que j’apprécie beaucoup à cause des discussions et des luttes partagées pendant ces années, restent enfermé.e.s dans la logique de la représentation, typique de situations comme la plupart des manifestations « communicatives » (1) ou certains rassemblements devant des prisons.

Dans le premier cas, à mon avis (appeler cela un « avis » ne signifie pas le réduire à une simple opinion, mais montrer ma volonté de me mettre en discussion, même face à ceux/celles qui voudraient réduire au silence cette voix dissonante, en me décrivant comme un prêtre avec sa vérité, un dogmatique et ainsi de suite), et je parle d’avis parce que je me considère individualiste et donc unique et au même temps je refuse l’objectivité et la réalité absolue, puisque ce qui se passe ou qui existe est interprété par chacun.e de façon imperceptiblement différente, (2) ; des telles « manifestations » sont le fruit d’une logique politique, qui, en tant qu’anarchiste, ne m’appartient pas, et qui vise à gagner du consensus par rapport, par exemple aux nuisances de l’énergie nucléaire, au lieu de partager des discussions qui mènent à identifier un problème.
Avec une telle attitude on ouvre les portes au jeu préféré de la domination techno-capitaliste, c’est à dire la récupération des luttes et de la dissidence, un jeu rendu possible par celles/ceux qui voient comme des fins celles qui ne sont que des requêtes spécifiques et cherchent des alliances et non pas des complicités ; maintenant, pour revenir au début de mon discours décousu (la taule n’aide pas), je voudrais revenir au fond de la question : on ne peut pas séparer le concept de solidarité de celui de vengeance, sans que le premier ne devienne proximité ou bien, dans le pire des cas, représentation.

S’engager à faire un rassemblement « en solidarité » avec un.e prisonnier.e qui a été victime de violences de la part des matons est quelque chose de noble et très apprécié, mais il s’agit de proximité (à moins qu’il ne s’agisse pas d’un moment d’attaque concrète à la structure carcérale ; mais ce n’est pas ma volonté de mettre la barre à propos de ce que c’est une attaque ou pas, je pense que cela revient à celles/ceux qui agissent et s’interrogent sur leur agir et sur la tension qui les a mené jusqu’à là). Un très bon exemple est la campagne anarchiste lancée il y a quelques années pour un mois de juin dangereux ou encore la journée du 9 février 2019, en solidarité avec l’Asilo expulsé. La solidarité est une des armes de l’anarchie, mais, pour l’être, elle doit attaquer.

Aujourd’hui, 14 octobre, j’ai eu le rapport médical qui confirme la perforation de mon tympan, à cause des violences des matons, et je lance un appel à la solidarité anarchiste, puisque je ne porterai pas plainte ni ne ferai pas de réclamations auprès de l’AP : agir avec les moyens du système qui m’a emprisonné me dégoûte.

Que la peur change de camp. On nous accuse de terrorisme : ça serait beau qu’on arrive vraiment à terroriser nos ennemis.

Pour l’anarchie d’action.
Pour un trimestre noir.
Pour une conspiration de la vengeance.
Pour la dérive et l’inconnu.

A crête haute… décembre arrive

Amma
prison des Vallette, Turin, 14 octobre 2019

Notes d’Amma :
(1) la propagande par le fait ne vous dit rien ? Caillasser des flics ou tirer dans la jambe d’Adinolfi [le PDG d’Ansaldo Nucleare, blessé par balle à Gênes le 7 mai 2012, par les compagnons de la Cellule Olga de la FAI/FRI ; NdAtt.] ne communique peut-être pas quelque chose ?
(2) ici le Nihilisme entre en jeu

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Un texte d’Amma, depuis la prison des Vallette

Round Robin / mardi 22 octobre 2019

Amma a été envoyé en taule le 20 septembre 2019, avec Patrick et Uzzo, accusés de violence et résistance à agent de police, dégradations, dégradations par tag, suite à la manifestation du 9 février à Turin, en solidarité avec l’Asilo Occupato expulsé et avec les personnes arrêtées lors de l’opération Scintilla et contre la gentrification et la militarisation du quartier turinois Aurora.

Amma a dit qu’il aimerait que des informations plus précises circulent parmi les compas, par le bouche à oreille, par mail, par la publication sur des sites internet, sur son incarcération à la prison des Vallette, sur les conditions de détention et les violences des matons pendant ces semaines.

Les communications avec Amma sont difficiles et les informations qui nous arrivent sont incomplètes. La plupart de son courrier a été bloqué, du moins pendant les premières semaines d’incarcération, et les nombreux télégrammes qu’on lui a envoyé ne sont jamais arrivés. Ses lettres, en sortie, arrivent par moments et avec plus de deux semaines de rétard. On lui a autorisé les parloirs avec sa mère trois semaines après l’arrestation et la demande de parloir avec un compagnon n’a pas encore eu de réponse. Sa demande d’être placé en assignation à résidence a été refusée, on est encore dans l’attente des motivations.
Le premières nouvelles parvenues n’ont fait qu’augmente notre colère. Le 8 octobre, il y a eu l’audience auprès du Juge des libertés ; Amma a été emmené au tribunal et il y a eu des altercations avec les serviteurs de l’État, en particulier le juge et le procureur. A son retour en taule, les matons de merde se sont acharné sur lui. Résultat : la perforation du tympan à cause de la raclée, puis coups, provocations et menaces.
Cela ne nous surprend pas que matons et flics exercent leur pouvoir pourri aussi avec des tabassages, des intimidations, des menaces psychologiques. On sait aussi que cette fois on a eu connaissance de ce qui s’est passé parce qu’il s’agit d’un compagnon, mais que des tels comportements ne sont pas du tout exceptionnels. Il font partie du quotidien et du fonctionnement de base des différentes structures répressives et de détention où l’État enferme ceux/celles qui sont un obstacle pour l’exercice de son pouvoir, celles/ceux qui s’y opposent, ceux/celles qui ne sont pas considéré.e.s comme nécessaires pour le maintient de l’ordre.
A des telles structures s’opposent les personnes arrêtées lors de l’opération Scintilla. C’est envers ces compas, engagé.e.s dans les luttes contre les prisons, les CRA et les frontières, que la manifestation de Turin du 9 février exprimait sa solidarité enragée dans les rues de la ville.

Round Robin

« La journée du 8 octobre commence tôt : à 7h20 un maton ouvre la porte de la cellule et me dit que je dois me préparer pour aller à l’audience du JLD, par rapport à ma détention préventive.

Après quelques minutes, je sors de la cellule où on m’a enfermé, avec une tasse de café encore bouillant et une cigarette à peine allumée, je parcours le couloir de la section jusqu’à la « salle ronde » qui se trouve au centre des couloirs du troisième étage de la section B.

Dans la salle ronde il y a le bureau des matons : certains fument, d’autres me fixent. Le chef du service se lève et m’ordonne de jeter la cigarette, en disant « aujourd’hui on ne fume pas ! », je prends quelques bouffées rapides et profondes et j’obéis, les dents serrés.

Juste après, le même maton se rapproche de moi et m’ordonne de jeter le café, je lui répond que j’en ai pas encore bu, alors il se rapproche encore plus, il prend le gobelet dans ma main pétrifiée (je n’ai pas trouvé la force de m’y opposer) et il le jette d’un air arrogant.

On m’ordonne de descendre au rez-de-chaussée et là j’attends dans une pièce (fermée, bien entendu), qui, au fur à mesure, se remplit de détenus allant à l’encontre de la machine étatique appelée tribunal.

On nous dit de ne pas apporter de cigarettes ni de briquet ; j’avais un Bic dans la poche et je veux le ramener dans ma cellule, mais quand j’arrive dans la salle ronde le chef de service m’en empêche et m’oblige à jeter ça aussi.

Je descend à nouveau. A un certain point on nous met des menottes fournies d’un câble pour nous tirer (comme un lacet), on nous menotte les uns aux autres, le premier gardé par un maton, et on nous tire jusqu’à dans le car, où on est placé dans des cellules, toujours avec les menottes.

Arrivés à destination on nous fait descendre, entravé de cette façon, et de même au retour.

14h50 : pour la première fois j’étais content de retourner en cellule ; j’allume une clope et l’on m’appelle à la salle ronde pour retirer mon courrier; les matons ouvrent la lettre devant moi et quand je m’aperçoit qu’ils sont en train de détruire la partie où est indiqué l’expéditeur, je leur demande pourquoi. On le répond que c’est parce que c’est eux qui commandent, on m’indique une petite pièce en me disant d’y aller pour être fouillé (parce que j’arrive du tribunal).

La situation craint, mais puisque ils montent le ton j’y vais, puis on m’ordonne de me mettre en caleçon.

Quand je suis à poil ils commencent à me gifler avec les gants renforcés, à trois, l’un après l’autre, avec un quatrième qui fait le guet à la porte, et ils disent des trucs du genre « t’es juste une chose, t’as aucun droit, ici c’est nous qu’on commande, on ne pose pas de question, etc. » ; à un certain point le quatrième leur dit de se dépêcher pour ne pas être vus, sinon après ils vont avoir des problèmes.

Ils sortent de la pièce et me laissent là, avec les oreilles qui sifflent, en caleçon, avec le goût métallique du sang dans la bouche.

Un autre maton arrive, il me regarde, il met ses gants puis me donne une baffe d’en haut (presque en sautant, comme pour smasher une balle au volley), après il me dit de me dépêcher à me rhabiller, mais dés que je me rapproche de mes habits il me frappe à nouveau, en disant qu’il faut que je fasse vite.

Il est interrompu par un collègue à lui, qui lui dit qu’il n’y a plus de temps, parce que les autres détenus sont en train de revenir de la promenade, je me rhabille et retourne prendre mon courrier dans la salle ronde.

Là, le chef de service commence : « T’appelles qui, si des cambrioleurs rentrent chez toi ? » Je ne répond pas, bien sûr. Il continue un peu, en disant « allez, dis-le, t’appelles qui, hein ? Allez, dis-le, dis-le, ça ne te coûte rien » (tout cela à 2 cm de mon visage), puis il en a marre et dit « Puisque tu ne veux pas nous appeler, à partir de maintenant tu n’appelleras plus les gardiens, ni l’infirmier, même pas quand tu veux aller à la douche » et il continue : « tu n’iras plus à la promenade, ni à la douche, tu te laveras dans l’évier de la cellule, etc. etc. Et maintenant file dans ta cellule et marche droit, parce ici t’en en taule et ici c’est nous qui commandons ».

Secoué, je vais dans la cellule et me laisse tomber sur le lit, épuisé.

Du sang et du pus sortent de mon oreille, le soir mon codétenu appelle les matons et me fait porter un antidouleur, la nuit je n’arrive pas à dormir à cause de la douleur à l’oreille, mais à un certain point le sommeil a le dessus.

Quand je me réveille, sur le drap, là où était appuyée ma tête, il y a une tache de sang, sorti de l’oreille.

Toujours grâce à mon codétenu qui l’appelle, l’infirmière me regarde et dit que probablement j’ai des lésions au tympan droit et que je risque de perdre le ouïe ; alors que j’écris cela c’est le 9 au soir et l’oreille saigne encore.

Amma
prison des Vallette, Turin
9 octobre 2019

P.S. ils ont justifié les gifles avec un tag sur le mur « Nique les Carabinieri », que je n’ai pas fait (ni je ne l’ai effacée)
A tête haute,

Amma »

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Pour écrire à Amma, Uzzo et Patrick :

Ammanuel Francesco Rezzonico
Federico Daneluzzo
Patrick Bernardone

C.C. Lorusso Cotugno
Via Adelaide Aglietta, 35
10151 – Torino (Italie)

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