L’État cherche (toujours) des balances

Libération / vendredi 5 février 2016

Du témoin «sous X» au repenti qui peut changer d’identité, en passant par un projet de nouveau statut de témoin protégé, état des lieux des programmes de protection de personnes coopérant avec la justice.

– LE TEMOIN «SOUS X» –

Jusqu’ici les seules dispositions légales en France sont la possibilité pour un témoin de déclarer comme domicile pour les besoins de la procédure l’adresse d’un commissariat ou d’une gendarmerie, ainsi que le témoignage sous X.

Cette dernière mesure, instaurée par la loi Perben de 2002, permet, lorsque le témoignage «est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique», de le recueillir sans que l’identité du témoin ne soit révélée. Cette possibilité doit être validée par un juge des libertés et de la détention.

La révélation de l’identité d’un témoin sous X est passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende.

Le témoignage de «Sonia», qui a dénoncé à la police Abdelhamid Abaaoud, un des organisateurs présumés des attentats de novembre, n’avait initialement pas été recueilli sous X, ont expliqué des sources proches de l’enquête.

En conséquence, l’identité et les coordonnées de cette femme figurent dans le dossier d’instruction. Et la procédure interdit de revenir en arrière en expurgeant ce témoignage du dossier. «On ne peut pas déchirer les PV», résume une source proche de l’enquête.

– LES REPENTIS –

Changement d’identité, aide au déménagement, nouvelle vie en somme: ce dispositif de protection, bien connu des amateurs de polars, ne s’applique jusqu’ici en France qu’aux «collaborateurs de justice», c’est-à-dire aux repentis, non aux témoins.

La loi Perben 2, qui date de 2004 mais dont le décret d’application n’a été publié qu’en 2014, permet au repenti, voire aux membres de sa famille, de bénéficier d’une identité d’emprunt et d’une aide à la réinstallation. Elle est décidée par une commission nationale de protection et de réinsertion.

Ailleurs en Europe, l’Italie par exemple a eu fréquemment recours à ce dispositif, dès la fin des années 1970 dans les enquêtes sur des actes terroristes attribués à l’extrême-gauche, et ensuite dans les poursuites contre des organisations mafieuses.

– LE FUTUR STATUT DES TEMOINS PROTEGES –

Hasard du calendrier: le cas de «Sonia» repose la question de la protection des témoins alors que le conseil des ministres vient tout juste de valider le projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme, qui prévoit justement de mettre en place un dispositif spécifique.

Plus précisément, l’article 6 de ce projet de loi dispose que lorsque la vie ou l’intégrité «physique ou psychique» du témoin ou de ses proches sont menacées, ce dernier, ou cette dernière, peut bénéficier de mesures particulières.

Quand l’enquête porte sur un crime ou un délit passible d’au moins trois ans d’emprisonnement, la justice pourra exiger que l’identité du témoin soit tenue secrète lors des audiences publiques et dans les «ordonnances, jugements ou arrêts». Le témoin sera alors désigné par un numéro d’identification.

Il sera aussi possible, dans les enquêtes sur les crimes les plus graves, et lorsque l’audition d’un témoin met en danger sa vie ou celle de ses proches, de lui donner une protection, ainsi que de lui fournir une identité d’emprunt.

Dévoiler cette identité sera passible de jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende, si cela a mené, «directement ou indirectement», à la mort du témoin ou de l’un de ses proches

 

 

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