Italie – Luigi Palli : En plein jour

La Nemesi / mercredi 7 février 2024

J’avais maladroitement pensé que les choses auraient duré moins longtemps. Cependant, étant donné l’obstination avec laquelle l’État veut nous réduire au silence (et nous condamner rapidement), j’ai décidé de reprendre la parole. Que ce soit une chose sage ou pas, peu importe. D’ailleurs, il est difficile d’établir si le fait de renoncer (parce que contraints ou pas) à toute interaction avec les personnes qu’on aime et avec la lutte est une chose sage ou pas.

Certes, il y a des nombreux escamotages assurément plus malins qu’un écrit signé de son nom, noir sur blanc. Mais il y a quelque chose que je n’arrive pas à arrêter de considérer comme juste : assumer publiquement ses choix. Oui, ce sujet petit mais profond est, pour moi, étroitement lié à ce qu’ont été (et seront) tous les projets éditoriaux ou les moments d’agitation auxquels j’ai participé en ces années.

C’est ce que, personnellement, j’ai toujours, ardemment, soutenu. Dire haut et fort que je soutient et partage l’action directe, en clarifiant celle qui, à mon avis, est la méthode la plus appropriée pour atteindre l’annulation des « valeurs » de la société bourgeoise. La méthode insurrectionnelle. L’attaque contre les hommes et les structures de l’État et du Capitalisme.

Voilà, je ne crois pas qu’ils existent des anarchistes qui ont peur de dire ces choses. Je crois que l’essence elle-même du révolutionnaire est cette obstination, cette constante recherche qui vise à diffuser et à faire émerger des idées, pour créer ou soutenir des dimensions d’affrontement social.

La tentative de nous définir comme une organisation clandestine et terroriste échoue, pas tellement dans les faits réels, comme notre appartenance à un cercle anarchiste extrêmement public, ou pour la publication d’un journal qui était distribué d’une façon certainement pas secrète (et peut-être malheureusement), car il n’était pas distribué dans les vestiaires de quelques usines, mais elle échoue et est démolie par le simple fait que les anarchistes, en général tous les révolutionnaires, diffusent leurs idées en plein jour.

Nous ne sommes pas une secte de jeunes gens qui se la pètent, nous sommes des prolétaires et nous interagissons avec d’autres prolétaires, en diffusant les idées qui nous semblent les plus appropriées pour la libération humaine.

Nous priver de la disponibilité, par conséquent de nos livres et de nos locaux (qui d’ailleurs sont expressément et instamment OUVERTS à tout le monde, flics et patrons exceptés), nous renfermerait dans une spirale d’isolement total, visant à une « clandestinisation » forcée, incapable ensuite d’œuvrer efficacement, qui rend l’anarchisme étranger aux yeux des exploités. Ce que, à mon avis, on a vu arriver et s’intensifier pendant ces deux dernières décennies. La fermeture est donc très dangereuse.

En effet, se retrousser les manches et enfoncer ses mains dans le bordel social d’aujourd’hui est quelque chose de bien peu appétissant. Il est plus facile, par contre, de raconter à quelques esprits élus l’évolution d’une pensée, comme celle anarchiste, destinée à périr dans les dialogues enivrés de ces êtres purs, qu’on érige à seuls préposés à l’entrée. Les autres, les brutes, les prolétaires, les putes, les pauvres diables, qui ont un langage obscène, des manies peu correctes (sic) ne méritent pas l’attention de ces autoproclamées braves personnes.
Cela n’est pas seulement la mort de l’anarchisme, mais la mort de tous ces rêves de libération qui ont toujours accompagné les êtres humains depuis qu’une société autoritaire existe.

Pour moi, Bezmotivny a été une tentative en ce sens, de sortir de l’ataraxie de l’entre-soi et retourner dans la fange de la vie. Une première tentative qui n’attend qu’à dépasser ses limites.

Mais, évidemment, au delà des idées exprimées dans les différents articles, la chose qui a pesé peut-être le plus a été le choix de publier les revendications d’actions directes en Italie, mais aussi et surtout par rapport à des actes qui ont eu lieu dans d’autres pays. Ici aussi, on pourrait dire « rien de si étrange ».

Il est clair qu’un procureur d’un certain prestige, comme Monsieur Manotti, a profité de la volonté d’un groupe de compagnons de ne pas craindre de soutenir l’action directe pour les indiquer précisément comme des membres de l’ainsi dite association terroriste qui graviterait autour de la FAI-FRI, tellement citée à tort et à travers par les médias. Pour ma part, j’ai toujours bien su que publier une revendication, soutenir sa justesse, provoque des répercussions (et les minauderies journalistiques sont fausses : les anarchistes sont toujours allés en prison pour leurs journaux, écrits, articles, cela n’a jamais été diffèrent d’aujourd’hui, peut-être qu’il arrivait un peu moins à l’époque de la monarchie).
Malheureusement pour certains, même après six mois (qui sont peu) d’arrestations domiciliaires avec toutes les restrictions, je n’ai pas changé en cela. Je pense toujours qu’il est juste de publier et de diffuser les nouvelles des actions révolutionnaires, je le considère juste et quand cela sera possible pour moi, je continuerai à publier des journaux, des brochures, des tracts, des affiches.

Je continuerai à interagir avec les autres exploités, en essayant de diffuser le plus possible ne serait-ce que l’idée de la justesse de la violence révolutionnaire.

Ce que je n’arrive vraiment pas à comprendre, ou du moins qui ne m’est pas si clair, est ce que ces messieurs pensent de faire avec nous ? Les anarchistes, indépendamment du fait qu’on soit enfermés, continueront à se documenter, à imprimer des tracts et des journaux. Et même quand ils seront contraints à s’enfuir, ils le feront dans l’ombre. J’ai donc envie de dire : gardez-nous si longtemps que vous voulez. Cela ne changera rien. Le paradoxe est qu’avec ce texte (étant donné qu’il s’agit d’une violation des mesures de mon contrôle judiciaire), je me retrouverai probablement en prison, d’où je pourrai écrire à qui et autant que je veux.

Ceci dit, je salue de tout mon cœur tous les déserteurs du monde et tous les compagnons en lutte contre la guerre. Vive la révolution ! Vivent les anarchistes !

Luigi Palli
février 2024

P.-S. – Attention, Manotti : en taule je pourrais démonter un lit et construire une presse d’imprimerie.

 

Note d’Attaque : sous enquête dans l’opération Scripta Scelera et aux arrestations domiciliaires depuis août dernier (après un passage en prison), Luigi est parmi les compas qui passent actuellement en procès à Massa avec la procédure appelée « jugement immédiat ». La publication de cette lettre publique (et d’un autre texte, en réponse à l’invitation de Bezmotivny à une rencontre en République Tchéque) est une infraction à l’interdiction de tout contact avec quiconque, une mesure qui peut accompagner les arrestations domiciliaires.

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