Prison de Rancagua (Chili) : Monde-Prison

Buscando la kalle / samedi 25 septembre 2021

« Monde-Prison ». Une lettre du compagnon Luis Avaca

Chaque fois que je me place à nouveau dans un monde plus grand que la cour de cette section de prison, que les cellules minuscules et les couloirs étroits surveillés par ces yeux qui voient tout, l’incertitude m’envahi de ne pas savoir de quelle façon je pourrai revenir dans le monde extérieur, une fois tout cela terminé. Parce que, à un moment donné, ça va finir…

Ici dans la prison, beaucoup de choses sont différentes, en superficie, et même les routines insignifiantes parfois nous surprennent, mais au fil des mois il a été inévitable de trouver des similitudes fonctionnelles entre la taule et la fausse liberté qu’est la vie hors de ces murs. La surveillance constante, les horaires fonctionnels à ceux qui nous gardent prisonnier.e.s, le contrôle, la police avec et sans uniforme, tout cela n’est pas exclusifs à la taule, seulement cela prend ici des dimensions exagérées, spectaculaires.

Quant à ce qui est différent : il y a des mots et des situations de tous les jours qui, ici, semblent être des questions de vie ou de mort, leur sens change beaucoup. Chaque mot prononcé à la légère pourrit et peut être utilisée contre toi. Chaque excès de confiance peut être une porte sans retour pour finir écrasé et cela me manque de ne pas pouvoir faire la sourde oreille et mâcher mon silence, chose que j’avais l’habitude de faire souvent, dehors, mais qui, ici, passe pour un signe de faiblesse. Ici, tu ne peux pas éviter de « baiser quelqu’un », un vrai défi pour nous qui avons été silencieux toute une vie.

Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis et j’ai toujours regardé l’amitié d’un œil critique, mais ici il n’y a pas d’amis et même si tu partages la plus grande partie de ta journée avec certaines personnes, le moment venu, tu pourrais finir par n’être qu’« un despote de plus ».

Si dehors l’aide n’est jamais désintéressée, imagine ici, où chacun ne pense qu’à soi.

Entre le béton froid et humide et l’illusion de liberté à laquelle nous sommes habitué.e.s, cette dernière est mille fois préférable, mais il est sage de se rappeler qu’il y a des prisons moins matérielles et beaucoup plus lourdes que celles de fer et de béton, qui t’emprisonnent même en te faisant sentir libre.

Le temps et l’espace sont disloqués et je pense qu’il sera très difficile de retourner à les ressentir comme avant. La prison n’est pas éternelle et parfois celui-ci est le seul espoir, mais comme je l’ai dit et comme nous l’avons dit jusqu’à l’épuisement : être triste et fatigué ne signifiera jamais être vaincu. S’il y quelque chose qui grandit jour après jour, c’est la haine de l’injustice et le désir d’en finir avec une société qui cherche à en finir avec notre liberté.

Il n’y a pas de place pour le repentir et il faut tirer des leçons des pires moments, afin de s’endurcir et que tout cela, aussi cruel soit-il, finisse un jour par être utile, lorsque la guerre que nous voulons sera déclenchée.

« La guerre est ce qu’elle est » et dans la guerre il y a des mort.e.s et des prisonnier.e.s.

« La guerre est ce qu’elle est » et pour celles/ceux qui choisissent de parler moins et de passer à l’action, pour ceux/celles qui ne peuvent pas vivre avec le poids de cette société injuste, elle est nécessaire pour continuer à vivre.

L’action anti-autoritaire n’est pas menée par fierté, ni pour des slogans, ni pour des drapeaux : elle est menée pour tou.te.s celles/ceux qui, jour après jour, cessent de vivre et se contentent de subsister. Elle est menée pour tant de personnes et pour nous-mêmes, qui sommes souvent prêt.e.s à fouler ce sol froid et à entrer dans ces cellules malodorantes. Ce n’est pas parce que nous aimions la prison, ni pour faire pleurer nos familles. Personne n’aime la taule, mais c’est une conséquence inévitable pour tous ceux/celles qui dérangent les maîtres de cette société et ses gardiens. C’est le prix à payer pour ce plaisir caustique.

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