Automatisation, robotique et travail dans les 4ème et 5ème Révolutions Industrielles

325 #12 / juillet 2020

Depuis le début de la première révolution industrielle dans les années 1700, les révolutions industrielles successives ont profondément affecté le monde du travail, les travailleurs eux-mêmes, créant même le concept de « classe ouvrière », ainsi que leur façon de vivre, leur intégration dans les enfers urbains qui progressait, ces prisons qui étaient les usines, les ateliers et les fosses minières ; même leurs enfants n’ont pas été épargnés par l’indignité, voire la mort causée par l’esclavage moderne de cette époque. L’industrialisation, résultat de la mécanisation de l’industrie, a nourri l’asservissement moderne et la domestication des êtres humains, pas seulement du reste de la planète vivante, dans tous les coins des empires en expansion et de leurs colonies.

Nous sommes maintenant à l’aube d’une 4ème révolution industrielle (4IR), et même d’une 5ème (5IR), qui affectera tout aussi radicalement notre emprisonnement au sein de la société technologique que ce fût le cas dans les précédentes. Le concept de monde du travail, le travail lui-même, changera une fois de plus au-delà de toute reconnaissance. Déjà, avec la « pandémie du coronavirus » et les contrôles du couvre-feu qui ont été imposés à des milliards de personnes dans le monde, les signaux des prochaines révolutions industrielles apparaissent déjà, des millions de personnes perdant leur emploi dans de nombreux pays.

À titre d’exemple, un cinquième de tous les travailleurs du Royaume-Uni, plus de 7 millions, devraient finir au chômage, car le « confinement » (couvre-feu) continue d’affecter une économie à l’arrêt. Depuis que nous avons commencé à rédiger cette analyse, il a été difficile d’obtenir des chiffres concrètes sur le chômage, car jusqu’à 70% des entreprises ont mis leurs esclaves salariés dans ce qui est décrit comme un « congé », c’est-à-dire qu’ils restent à l’écart du travail mais ils continuent à être rémunérés. Dans le même temps, beaucoup de ces capitalistes affirment que, dans une crise de trésorerie croissante, 59% d’entre eux ont – au plus – trois mois de fonds de réserve. Environ 140 000 entreprises ont eu recours au programme gouvernemental de maintien de l’emploi, lié au coronavirus, qui paie 80% du salaire d’un travailleur jusqu’à un plafond de 2 500 £ par mois, pour rester à la maison. Qui sait combien de temps cela durera, alors que le programme de congés retarde l’inévitable qui se produit déjà de l’autre côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, 4,4 millions de personnes ont demandé le chômage en une semaine seulement, ce qui représente un total de plus de 30 millions de personnes depuis le début de la pandémie de coronavirus. Les soi-disant experts économiques prédisent une « crise financière » comparable à celle du crash de Wall Street en 1929 [1].

Même en Chine, qui a surmonté le pire de la dernière récession, le taux de chômage officiel est passé à 5,9%, c’est-à-dire 26 millions, en mars, contre 5,2%, c’est-à-dire 23 millions, en décembre, quand le virus est censé avoir commencé. En fait, tout a commencé avant même que la crise du Covid-19 n’éclate, les maîtres capitalistes étant toujours aux prises avec les effets secondaires de la dernière « crise financière » et avec l’effondrement continu du commerce traditionnel. Cela a été principalement provoqué par un aspect de la 3ème révolution industrielle, Internet, qui remplace l’utilisation des magasins physiques et donc augmente les livraisons en ligne, et où nous commençons aujourd’hui notre relation avec le travail, l’automatisation et la robotique.

Le remplacement des travailleurs humains par des robots ou un processus automatisé a pris un tel rythme que maintenant 50% des patrons dans 45 pays à travers le monde accélèrent la mise en œuvre de l’automatisation dans leurs entreprises, les travailleurs étant obligés de rester chez eux en raison de l’épidémie de coronavirus. Le capitalisme se prépare à un monde d’après-crise. À court terme, environ 1,5 million de travailleurs au Royaume-Uni courent un risque élevé de perdre leur emploi à cause de l’automatisation, selon les estimations de l’État. On pense que d’ici 2035, il serait possible d’automatiser 86% des emplois dans la restauration, les trois quarts des emplois dans le commerce de détail et 59% des emplois dans les loisirs. Quelle coïncidence si ces secteurs font partie des secteurs d’activité les plus durement touchés par une « épidémie » qui exige désormais des bonds en avant d’efficacité si certaines entreprises veulent éviter de faire faillite. « Les caissières des supermarchés ont déjà supporté le poids du phénomène technologique » a déclaré l’Office national des statistiques l’année dernière « 25,3% de ces emplois ayant disparu entre 2011 et 2017 ».

L’un des domaines de travail qui a connu une augmentation spectaculaire de l’automatisation et de la robotique ces derniers temps est l’ensemble de l’empire de la logistique, de la distribution et de la livraison, ainsi que les supermarchés. Cela n’est pas surprenant lorsque on voit l’introduction rapide de caisses en libre-service dans les supermarchés, même équipés de caméras de vidéosurveillance qui scrutent votre visage pour empêcher le vol de « produits essentiels ». McDonalds a déjà des bornes de commande numériques pour éliminer le besoin de parler à des travailleurs déprimés derrière la caisse. On connaît tous Amazon, qui s’est développé dans la vente de produits d’épicerie, qui possède un supermarché sans caissières à Seattle, s’appuyant sur des capteurs pour suivre ce que les acheteurs retirent des étagères (ce qui sert aussi à vous empêcher de voler des produits), en utilisant la technologie « just walk out » pour faire payer les clients et mettre fin aux queues [2]. Combinez cela avec des preuves récentes que de nombreux détaillants qui sont restés ouverts récemment pendant la pandémie de Covid-19 ont refusé de prendre de l’argent liquide en raison de la peur diffuse de pièces et de billets contaminés. La « société sans argent liquide » a été stimulée par l’augmentation des limites des paiements sans contact et par des citoyens consommateurs de plus en plus craintifs, transférant leurs habitudes addictives vers les ventes en ligne, augmentant encore la perte d’emploi dans le commerce traditionnel. Amazon et ses pairs, d’autres commerçants en ligne, sont l’une des seules entités capitalistes qui produisent des bénéficient à l’heure actuelle, à l’exception des supermarchés tels que les empires de Lidl, Tesco et Wal-Mart ou des complexes pharmaceutiques massacreurs d’animaux tels que GlaxoSmithKline et AstraZeneca ou des géants de la biotechnologie tels que Gilead Science et Moderna. Des soi-disant analystes, capitalistes, ont établi que les bénéfices d’Amazon augmenteraient de 10 000 dollars par seconde, jour et nuit. Ce n’est pas surprenant alors que l’empire d’Amazon s’est étendu avant même le confinement, en rachetant la concurrence et les détaillants en alimentation, déjà l’un des plus gros exploiteurs imaginables. Ce ne sont là que quelques exemples très visibles dans la société de consommation.

En-dessous de tout cela, l’ensemble du système logistique est en train de changer radicalement, avec des entrepôts entiers transférés aux robots et à l’automatisation. Ocado, le géant de l’épicerie en ligne, a mis en place un centre de distribution entièrement robotisé à Andover, au Royaume-Uni, avant qu’il ne brûle en raison d’un problème technique. Combinant robotique, Intelligence artificielle et réseau de communication 4G, l’entrepôt coche les cases de la 4ème révolution industrielle, prétendant faire les courses beaucoup plus rapidement qu’un être humain [3]. L’empire d’Amazon était déjà dans le jeu de la logistique high-tech bien avant tout le monde, avec un nombre croissant de centres de distribution utilisant des robots Kiva pour transporter des étagères de produits aux travailleurs humains, qui choisissent ensuite les articles à expédier, ainsi que des bras de robot et des bandes transporteuses déplaçant les produits dans l’entrepôt [4]. Même d’autres entreprises comme Alibaba, la version géante d’Amazon en Chine, ont leurs propres versions appelées Quicktron. Pour contribuer à cela, de nombreuses entreprises recherchent et utilisent déjà des chariots élévateurs entièrement automatisés, Toyota ayant déjà développé son nouveau véhicule à guidage automatique AGV [5], qui évite totalement à l’être humain d’avoir à aider la machine à déplacer des marchandises lourdes dans un entrepôt, il n’a même pas besoin d’un humain pour changer sa batterie. Qu’en est-il de la livraison de ces produits ? Juste avant l’apparition du Covid-19, à Milton Keynes, l’exemple brillant d’une « nouvelle ville », Starship Technologies [6], créé par un cofondateur de Skype, a commencé à utiliser des robots autonomes pour livrer de la nourriture dans le centre d’une zone urbaine, pour la première fois au Royaume-Uni après avoir conquis certaines parties des États-Unis. Les robots de Starship effectuent des livraisons dans certaines parties de Milton Keynes depuis avril 2018, mais jusqu’à présent ça n’était pas dans le centre de la ville. Désormais, les utilisateurs de smartphones peuvent commander une livraison via l’application Starship, auprès de fournisseurs de produits alimentaires et de boissons. Leur propagande met en avant l’avantage du « capitalisme vert » qui réduit les bouchons dans les rues des villes, pour attirer le consommateur moralement conscient. Le robot peut également vous enregistrer et appeler les flics s’il est attaqué, en faisant même savoir qu’il est en train de le faire. Partout dans le monde, nous entendons également parler de drones qui acquièrent plus de légitimité aux yeux des humains à cause du Covid-19, au lieu de bombarder les ennemis du capitalisme dans le désert. Les drones acheminent désormais des médicaments vers des régions éloignées et des personnes âgées isolées et vulnérables, car il n’y a rien de mieux que de les utiliser à des fins de propagande. Non seulement les entreprises expérimentent des drones et des robots pour livrer des produits, ce qui est déjà entré dans la conscience collective, mais les véhicules entièrement automatisés sont également en expansion [7]. Les drones et les robots ne peuvent transporter qu’une quantité limitée de produits, mais des véhicules de livraison et de transports lourds, capables de ce que peuvent faire les voitures automatisées récentes, sont actuellement en phase de test. Citons par exemple le Vera de Volvo, un camion entièrement autonome qui n’a même pas besoin d’un chauffeur de secours, et Domino, qui s’associe à la société de robotique Nuro pour que leur R2 autonome livre des pizzas. Et que diriez-vous d’une épicerie entière conduite de manière autonome ? Destiné aux petits achats de quelques articles de supermarché, Robomart combine le commerce en ligne, la livraison via des véhicules autonomes et même la technologie sans contact, faisant ce que le laitier faisait autrefois. Adieu le personnel de caisse, les manutentionnaires, les chauffeurs-livreurs et tout le concept de magasin lui-même [8]. Ce qui est intéressant, c’est que pendant la pandémie du Covid-19, ces mêmes travailleurs qui sont constamment cités comme des travailleurs « clés » ou « essentiels » sont ceux-là mêmes qui sont menacés de perdre leur emploi à cause de l’automatisation.

Le nombre de travailleurs qui seront mis au chômage en raison de ces remplacements technologiques est inconcevable, le secteur de la logistique n’est qu’un aperçu de la façon dont un secteur industriel sera affectée. On estime qu’aux États-Unis 47% des emplois seront perdus à cause de l’automatisation, tandis que dans l’UE, le 54% sera jeté dans le tas d’ordures du chômage. Le « sophisme luddite » [9] et le « chômage technologique » [10] ne sont plus des conspirations lointaines et il n’y a pas que les secteurs de la fabrication ou de la distribution qui sont menacés par l’automatisation, mais aussi le secteur des services, comme la santé, qui reçoit déjà sa juste part, ce qui s’est accéléré depuis que la « pandémie » a frappé le monde, avec la Chine en tête, avec des robots distribuant des médicaments pour scanner les humains à la recherche du virus [11].

Même l’impression 3D, un autre facteur de la 4ème révolution industrielle qui commence, a déjà fait un bond en avant, même un cœur humain pouvant désormais être imprimé [12]. Non seulement cela rend l’histoire de science-fiction de Ghost In The Shell plus proche de la réalité, mais cela a un effet sur le monde du travail lui-même. Récemment, les médias grand public ont été inondés d’histoires d’entreprises et d’individus utilisant des imprimantes 3D pour produire des équipements de protection individuelle pour les services de santé en difficulté qui ont été frappés par les coupes d’austérité du gouvernement [13]. Cela signifie de grands changements pour la mise en œuvre généralisée et la justification de l’impression 3D. Non seulement cela signifie que certains articles, même les plus compliqués, peuvent être imprimés partout dans le monde par quiconque a de l’argent à débourser pour cette technologie, mais cela signifie que la nature même de la production d’articles ne se limite plus à un seul endroit clé. Bientôt les objets seront imprimés plutôt que fabriqués, il y aura encore moins besoin de l’implication du travailleur, alors qu’un article pourra être imprimé même à la maison, pour les privilégiés. Cela ouvre également la possibilité de combiner des technologies, comme l’expérimentation récente avec les robots, par la société MX3D, pour imprimer en 3D un pont piétonnier, ce qui a des conséquences pour l’emploi dans l’industrie de la construction [14].

Des formes plus spéculatives de nanotechnologie (telles que les assembleurs moléculaires ou les nano-usines, qui n’existent pas actuellement) soulèvent la possibilité, à l’avenir, de dispositifs capables de fabriquer automatiquement tout produit spécifié, avec les bonnes instructions et les matières premières et l’énergie nécessaires. L’avenir verra un changement de concentration, du fait de changer les usines et leurs processus physiques de production, au fait de reprogrammer les processus d’automatisation, comme simplement reprogrammer un logiciel pour produire quelque chose de différent en utilisant la même machine. Même la capacité de produire de nouvelles machines est déjà apparue, avec l’impression 3D qui commence à être utilisée pour produire des drones.

Il est tout à fait clair que la robotique, l’Intelligence artificielle et l’impression 3D augmenteront le chômage, aux côtés d’autres pans de la 4ème révolution industrielle non mentionnés, notamment les nanotechnologies, l’informatique quantique, les biotechnologies, l’internet des objets, l’internet industriel des objets (IIoT), la finance décentralisée et les technologies sans fil de cinquième génération (5G). L’enjeu est également de savoir comment l’État et le capitalisme réagiront à ce qui vient, comme le montre la « pandémie de coronavirus » dans le « chômage technologique » déjà en cours. Les gouvernements et leurs experts capitalistes néolibéraux ont déjà beaucoup théorisé sur la manière de gérer le chômage de masse qui pourrait résulter du progrès sans fin des nouvelles technologies. Un remède vers lequel les autorités s’orientent est un « revenu de base universel », pour lequel tout le monde dans la société sera obligé de cotiser, via les impôts, comme c’est le cas pour les allocations de chômage, mais au lieu que seuls les chômeurs l’obtiennent, tout le monde l’aura, en tant que taux de base quel que soit le statut d’emploi. Pour ceux qui disent que les gens gagneraient de l’argent à rien faire, il y aurait du travail bénévole forcé, pour redonner quelque chose à la société, de la même manière que les chômeurs au Royaume-Uni sont censés faire un « travail non rémunéré » [15]. Cela créerait une culture apparemment holistique du « nous sommes tous ensemble ». Où avons-nous déjà entendu cela ? Toute cette refonte dissocierait l’idée du revenu basé sur le travail, créant ainsi une « société utopique » qui serait libre de poursuivre d’autres activités. C’est ce qu’on appelle l’« abondance », une économie basée sur des produits de base fabriqués en abondance avec un minimum ou pas de travail humain, et au lieu d’avoir des politiques de travail dictées par les gouvernements, ceux-ci géreront les loisirs à tous les niveaux, à la place d’une vraie allocation il y aura des loisirs subventionnés. Vous n’aurez pas besoin d’être près de qui que ce soit, la « distanciation sociale » est une réalité depuis longtemps, l’aliénation est un fait avec l’écran de smartphone toujours plus lumineux et le travail à domicile de plus en plus privilégié. Urbanisme et éducation, services de la santé et services locaux, tout sera repensé, l’idée même d’une « vie pleine de sens » sera remise en cause ou plus vraisemblablement nous sera dictée. Déjà, la nature sauvage, le monde naturel est géré, les prochaines révolutions industrielles promettent un monde propre, conscient et plus écologique, un ainsi-dit « capitalisme vert » se profilant à l’horizon. Certains d’entre nous dans « l’île-prison » du Royaume-Uni et nos compas dans d’autres pays voyons déjà le début de tous ces changements dans les « smart cities ». Comment même les machines communiqueront entre elles, et il n’y aura pas besoin de travailleurs pour les services physiques quand, à la place, on demande simplement à un algorithme d’Intelligence artificielle [16].

D’où les débuts de la 5ème Révolution Industrielle, apparemment une relation plus consciente éthiquement avec la technologie ? C’est un peu comme déplacer le problème ailleurs, tout pourrait devenir vert, même le fascisme, mais la destruction de la Terre continuera. Mais qui en profitera ? Si les révolutions industrielles et les progrès technologiques montrent quelque chose, c’est que la plupart des gens seront « exclus » de ces avantages supposés.

Ce n’est pas exactement ce que ça semble dans ces rêves utopiques qui rappellent H.G. Wells, car nous en tant qu’anarchistes comprenons que l’autorité ne peut jamais lâcher son emprise sur le pouvoir, en particulier grâce à sa connaissance privilégiée des nouvelles technologies. Alfredo Bonanno, dans son analyse « De l’émeute à l’insurrection », a prédit dès 1988 que nous étions à l’aube d’un nouveau cauchemar carcéral qui serait créé dans une société post-industrielle. Il explique le retrait du travailleur de son rôle traditionnel, qu’une grande partie de la production sera remplacée par la robotique et également décentralisée dans des « îlots » de productivité, entourées de frontières physiques, où le bonheur régnera en maître.

Ces « îlots de privilège » existent déjà, si on prend le Royaume-Uni comme exemple. Le concept de Bonanno de « Inclus » et « Exclus » est en cours de fabrication dans les moindres détails ici, il y a déjà un fossé qui se forme entre ceux qui savent manipuler les machines ou qui sont des experts du langage technologique et les autres. Les « exclus » sont ceux qui ne se voient pas offrir ce privilège, rejetés depuis le début, éliminés, ceux qui l’ont refusé ou même tout simplement qui ne rentrent pas dans ce tableau utopique. Les « exclus » étaient dans les rues en août 2011, très conscients qu’ils se sont vu refuser ce qui vient, voire ils le refusent, étant désormais rejoints par ceux qui ont été poussés par-dessus le précipice des fausses promesses d’un emploi sans fin, tous insatisfaits de leur affectation dans les nouveaux ghettos des « exclus ». Combien d’entre nous peuvent se permettre d’utiliser une imprimante 3D, sans parler d’en connaître le fonctionnement ? Qui a dit que les emplois qui disparaissent aujourd’hui seront remplacés demain ? Beaucoup de monde ne sera pas en mesure de s’adapter à un langage qu’ils ont déjà du mal à comprendre, si tant est qu’ils veulent le faire ? Seront-ils suspects s’ils ne s’adaptent pas ? Un bon exemple c’est la façon dont l’Intelligence artificielle crée déjà un fossé énorme entre ceux qui continueront à être employés dans de nouveaux emplois de services numériques qui nécessiteront toujours une contribution humaine, comme l’exécution de tâches que les algorithmes ne peuvent pas effectuer ou l’utilisation d’algorithmes pour effectuer d’autres tâches, et ceux qui ne seront pas en mesure de comprendre ces nouveaux emplois, qui ne comprendront jamais ce langage ou refuseront de le faire. Il est en fait prévu que l’IA ne va pas encore totalement éliminer le travail, il s’agit davantage de ceux qui sauront l’utiliser, et qui pourront même manipuler les autres encore plus que cela n’était possible auparavant. Les technocrates, les scientifiques et les psychiatres en blouse blanche du nouvel ordre de l’abondance ne donneront que suffisamment d’informations pour que les autres aient l’impression de participer, mais tout le monde n’est pas dupe à ce point.

En établissant une ligne de démarcation entre eux-mêmes et les « exclus », les « inclus » ont montré clairement quels sont leurs plans. Ceux-ci conduiront à des flambées de rébellion, alors que le processus d’exclusion se poursuit à un rythme de plus en plus rapide. Avec la montée des taux de chômage en raison du Covid-19 et de l’évidente crise économique qui en résulte, et sans aucune garantie que les gouvernements du monde entier pourvoiront à ceux qui ont perdu leur emploi, la voie de ces changements est déjà ouverte, mais aussi celle pour l’insurrection. On s’attend à ce qu’au moins 11 millions de personnes soient confrontées à des « difficultés financières » dans l’île-prison du Royaume-Uni, beaucoup affirmant déjà dans une récente enquête de Citizens Advice qu’ils ne peuvent pas payer leur loyer, les factures des services publics, les impôts et même pas se permettre de la nourriture. Qu’en est-il des millions de personnes dans le monde qui sont dans ce qui est décrit comme « l’emploi précaire » ou « l’économie des petits boulots » ? Selon les estimations de l’Organisation internationale du travail, il y a eu un passage massif au travail temporaire ou à zéro heures, depuis la « crise financière » de 2008, environ 75% de personnes se sont lancés dans ce type de travail et l’année dernière environ 4,7 millions de personnes au Royaume-Uni ont travaillé dans les emplois de l’économie de petits boulots. Que se passera-t-il quand ils ne pourront plus payer les factures ou la nourriture ou lorsque les expulsions et les services d’huissiers reprendront, comme au Royaume-Uni en juin [17] ?

Déjà, nous voyons la rage croissante que nous avons vue déborder lors de la dernière « crise financière », avec des émeutes à Bruxelles, à Wuhan et en Palestine, des pillages dans des supermarchés dans le sud de l’Italie et en Afrique du Sud, voire des attaques généralisées, à travers l’Europe, contre les infrastructures de télécommunications liées à la 5G, qui sera chargée de maintenir cette nouvelle technologie oppressive en communication avec elle-même. Tout cela est le résultat de mesures répressives claires combinées à l’automatisation déjà en cours du travail, ce qui conduira les « exclus » à prendre leur vie en main. L’illusion d’un soulèvement de masse contre la force de l’oppression, prenant d’assaut la Bastille ou le Palais d’Hiver, aboutit à une impasse réformiste ou pire, un cauchemar autoritaire, même si, quand la mentalité militante professionnelle est stagnante, on fait le pari des organisations de synthèse de la période de la Révolution espagnole. Les rébellions à venir éclateront sans annonce et s’organiseront de manière spontanée, ce que beaucoup de ceux qui s’accrochent à de vieilles reliques ne pourront pas comprendre, trop coincés dans leurs zones de confort pour y être proches ; les émeutes d’août 2011 l’ont très clairement montré.

La méthode insurrectionnelle est plus importante maintenant qu’elle ne l’a jamais été, les voies des autres « dissidences » étant fermées et aseptisées. Une organisation informelle qui est capable de participer maintenant et même pendant ces moments d’insurrection attaquera et brisera l’illusion de cette « paix sociale ». Rien ne remplace quelques compas, amis même, qui ont pour intention la lutte permanente, l’action directe et la destruction de la société carcérale technologique.

« Les “lieux” et les modalités de ces explosions collectives sont très différents. De même pour leurs occasions. Cependant, dans chaque cas, on peut y voir, après coup, le trajet d’une exaspération face à la gestion meurtrière que le binôme capital-État veut imposer.

Il est complètement inutile d’avoir peur, face à de telles manifestations, parce qu’elles manqueraient de ces clefs de lecture que la tradition nous avait présenté comme les éléments indicateurs des instances révolutionnaires des mouvements de masse.

Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais de passer à l’action avant qu’il ne soit trop tard ».
Alfredo Bonanno, Anarchisme insurrectionnaliste, 1985

Les Sauvages

 

Notes :

1. Il convient de préciser que le chômage de masse a suivi ou s’est produit pendant chaque révolution industrielle, de nombreux travailleurs ayant été remplacés par des machines et d’autres formes de technologie rendant les autres technologies obsolètes dans un laps de temps très court qui coïncide avec la « crise financière ».
2. https://www.youtube.com/watch?v=zdbumR6Bhd8
3. https://www.youtube.com/watch?v=4DKrcpa8Z_E
4. https://www.youtube.com/watch?v=Y55HJE9RRg0
5. https://www.youtube.com/watch?v=8Jlo5C8ydb4
6. https://www.youtube.com/watch?v=6xkp2J3D-fM
7. https://prnewswire2-a.akamaihd.net/p/1893751/sp/189375100/thumbnail/entry_id/1_0ohsl2cp/def_height/1400/def_width/1143/version/100011/type/1
8. https://www.youtube.com/watch?v=WxE_KtRfRKo
9. « Sophisme luddite », selon lequel les nouvelles technologies ne conduisent pas à un chômage global plus élevé dans le système économique. Les nouvelles technologies ne détruisent pas les emplois, elles ne font que modifier la composition des emplois dans l’économie. Les Luddites étaient une organisation secrète d’ouvriers du textile anglais au 19ème siècle, une faction radicale qui a détruit les machines textiles en guise de protestation.
10. L’expression « chômage technologique » a été popularisée par John Maynard Keynes, un économiste libéral des années 1930, qui a déclaré qu’il ne s’agissait que « d’une phase temporaire d’inadaptation ».
11. https://www.youtube.com/watch?v=Ut1BCR1fzv0
12. https://thenypost.files.wordpress.com/2019/04/3d-printing-human-heart-israel-tel-aviv-university.jpg
13. https://www.bbc.co.uk/news/health-52201696
14. https://www.youtube.com/watch?v=QQZjaosDToU
15. Au début de 2011, le gouvernement conservateur britannique a mis en œuvre un « programme d’expérience professionnelle » ; bien qu’il soit volontaire, si quelqu’un n’y participe pas, il se voit couper les prestations sociales, ce qui en fait un programme de travail forcé non rémunéré !
16. Une ville intelligente (smart city) est une zone urbaine qui utilise différents types de capteurs électroniques de l’internet des objets (IoT) pour collecter des données, puis utiliser les informations tirées de ces données pour gérer efficacement les capitaux, les ressources et les services. Cela comprend les données collectées auprès des citoyens, des appareils et des capitaux qui sont traitées et analysées pour surveiller et gérer les systèmes de circulation et de transport, les centrales électriques, les services publics, les réseaux d’approvisionnement en eau, la gestion des déchets, la détection de la criminalité, les systèmes d’information, les écoles, les bibliothèques, les hôpitaux et autres services communautaires.
17. De nombreux squatters ont continué d’être expulsés en vertu des nouvelles lois sur les intrusions au Royaume-Uni. Aux États-Unis, des expulsions massives se profilent à l’horizon alors que l’État américain a laissé les chômeurs et les personnes employées dans l’économie des petits boulots se débrouiller seuls. Au Royaume-Uni, un chauffeur Uber a été expulsé de son domicile à Londres, en raison de la nature de son travail, dans lequel il risquait de contracter le Covid-19, et laissé mourir dans la rue parce qu’il avait déjà contracté le virus. Des histoires comme la sienne se multiplient.

 

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