Toulouse : Retour sur une stratégie de garde à vue

Indymedia Nantes / jeudi 14 janvier 2021

Je fais partie de 7 personnes qui ont été condamnées à deux mois de prison ferme, à Toulouse, après avoir tagué et collé des affiches dans la rue. Je veux essayer de faire un retour à propos de la stratégie qu’on a choisie pendant notre garde à vue.

D’abord, la stratégie de refuser l’identification, en fournissant une identité que les keufs ne peuvent pas vérifier, permet d’éviter que les flics décident de poursuivre les personnes avec le casier le moins avantageux. En cas de passage au tribunal, le profil des personnes ne joue pas sur le verdict, c’est une stratégie qui permet d’être tous et toutes logées à la meme enseigne. Par ailleurs, cela permet d’éviter d’être fiché. Mais le revers de la médaille, c’est que la sentence risque d’être de la prison ferme : je n’ai pas d’exemple de personnes qui passent en comparution immédiate, accusées d’un délit (dégradation, vol…) cumulé à fourniture d’identité imaginaire, et qui ne sont pas écroués. Quand le proc décide de poursuivre, je me dis que peut-être les dés sont jetés : le juge qui est certain qu’on a fourni des fausses identités ne va pas nous relacher avec des amendes ou des tig. Et, comme ça a été le cas pour nous, les garanties de représentation n’ont aucune valeur. Le juge n’a même pas daigné les consulter, considérant que c’était des faux. Le moment où on est transferé au palais de justice pour passer devant le juge des libertés et au tribunal. Ce moment peut être l’occasion, si on veut éviter d’être écroué, de basculer d’une identité imaginaire à celle de l’état civil…

Au début de la gardav, nous avons tous et toutes demandé à consulter le même avocat. Assez rapidement, il nous a été répondu, à six d’entre nous, que nous devions changer d’avocat car il y avait un « conflit d’intérêt » invoqué par le procureur. On a décidé d’accepter la comparution immédiate. Je suis toujours convaincu qu’en principe il vaut mieux la refuser. On a pas le temps de préparer notre défense, ce sont des procès éclairs destinés à désengorger les tribunaux. Pendant notre garde à vue on a hésité énormément, et chaque fois qu’on changeait d’avis il était difficile de communiquer entre nous sept pour nous mettre d’accord. Principalement on a choisi d’accepter parce que notre avocat cherchait à jouer une nullité. Je doute que ce soit une raison super valable : la nullité ne valait pas pour les 7 personnes, mais seulement 6 d’entre nous (les 6 qui n’ont pas pu consulter l’avocat désigné pendant la garde à vue). En plus de ça, la possibilité de sortir sur un vice de procédure ne vient en rien invalider le fait que cette procédure de comparution immédiate est une boucherie. Elle est acceptée par beaucoup de suspects aussi parce qu’ils souhaitent être fixés au plus vite sur leur sort suite à la garde à vue, parfois prolongée par un court séjour en taule et dans les geoles du palais de justice. En revanche, a postériori, ce choix d’accepter la compa semble avoir été pertinent car si on avait demandé un report, l’enquête aurait été prolongée jusqu’au procès et certaines identités auraient pu être connues du juge, qui aurait eu accès au casier judiciaire et aurait pu individualiser les peines.

Notre avocat a tenté d’obtenir la nullité de la procédure, du fait que six d’entre nous n’ont pas pu le capter pendant la totalité de la garde à vue. Mais cette nullité n’aurait pas été valable pour la 7° personne, qui a eu des entretiens avec l’avocat pendant la gardav. Il me semble problématique que nous ayons accepté de jouer cette carte là, alors que d’emblée nous cherchions à établir une défense qui soit la plus collective possible : on a bien demandé à notre pote qu’est ce qu’il en pensait et il était d’accord avec le fait que l’avocat joue cette carte pour nous. L’accord de notre pote, plus l’avis de l’avocat (à qui on fait confiance) nous confortaient dans le fait que c’était acceptable de sortir pendant que celui-là serait surement écroué : peut être avec plus de lucidité on aurait pu se dire que cette solution était problématique. Faire reposer ce choix sur la personne qui risque d’être écroué est selon moi une trop lourde responsabilité. Comment le pote aurait vécu le fait d’être incarcéré tout seul juste en raison de la malchance d’avoir été le seul à avoir eu le droit de consulter son avocat ? Comment j’aurais vécu le fait d’être dehors parce que les flics n’ont pas voulu que je consulte mon avocat, tandis qu’un autre est dedans parce qu’il a bénéficié de « ce droit » ? Finalement le juge en a eu rien à foutre de ces nullités.

Voilà, peut être les dilemmes qu’on s’est posé pendant la garde à vue pourront être matière à réfléchir à d’autres personnes.

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