Portugal/Espagne : Un écrit de Gabriel Pombo Da Silva, depuis la prison

reçu par mail / vendredi 26 juin 2020

Étant donné l’impossibilité pour lui de rédiger un communiqué qui puisse sortir de la prison où il est enfermé, aujourd’hui puis que jamais, suite à la censure qui lui est imposée, Gabriel a voulu que certains de ses mots – extraits de ses dernières lettres – soient sélectionnés pour devenir un texte à l’adresse de tou.te.s ceux/celles qui voudront le lire. Ces lettres, qui sont arrivées avec beaucoup de retard, ont été écrite entre le 11 avril et le 20 mai (celle qui porte cette dernière date est la seule lettre écrite depuis la prison de Badajoz, où Gabriel est actuellement emprisonné).

Gabriel envoie de fortes accolades à tou.te.s les compas qui le soutiennent sincèrement et à tous les individus dignes qui continuent à se battre pour la liberté, où qu’ils se trouvent dans le monde.

Liberté pour Gabriel !
Liberté pour tou.te.s !
Vive l’anarchie !

«  … ce qui se passe n’a aucune logique, aucune règle… c’est comme jouer une partie d’échecs où de temps en temps quelqu’un intervient et modifie l’emplacement des pièces… Comment peut-on jouer ou gagner à un tel jeu ? Quelles sont les « règles » ou les « limites » ? Je ne peux même pas parler de « Droit » (au-delà de ce que je crois ou je pense à ce propos) ou faire appel aux « Droits », après tout ce que j’ai vécu… c’est pourquoi je me demande : puisque je n’ai pas de « Droits », quelles sont les « règles » de ce combat ? Au final, la guerre de l’État contre les individus résilients est toujours sale, sans « règles »… ».

« Se taire, c’est tolérer ce qui est aberrant, c’est pourrir de l’intérieur. C’est mille fois mieux de mourir pour ce que l’on croit, que l’on pense et l’on ressent, que de se taire et de « vivre » sous un régime de terreur. Quel genre de vie de merde pourrait être celle-ci ? »

« Le jour où il n’y aura plus un seul individu capable de résister à la méga-machine autoritaire (et je ne parle pas des légendes mythologiques), la liberté de chacun.e sera morte… nous ne serons que les appendices d’un système qui ne génère rien d’autre que de l’extrême aliénation. »

Gabriel Pombo Da Silva

11 avril 2020, Porto

(…) J’attends avec impatience que le mois d’avril finisse (…) en mai, je partirai peut-être d’ici. Eh bien, plus que partir, c’est qu’ils m’amèneront… c’est important d’être précis, ha ha !

Il est clair que les changements nous bouleversent et nous inquiètent toujours, mais… nous savons qu’ici nous ne comptons pour rien (et cette situation d’enfermement est lourde…) et que l’ « impasse » de ma situation doit être là… donc « sereins ou préoccupé.e.s », il faut changer d’air.
Je ne « ferai pas des hypothèses » sur ce qui sera ou ce qui viendra, parce que je ne sais pas… je ne suis pas non plus un « homme de foi » ou un simple d’esprit ; la nature dont je suis construit est le stoïcisme (…)

12 avril

(…) Je relisais ce que j’ai écrit hier… et j’ai remarqué quelque chose que j’ai écrit et que je devrais peut-être développer un peu plus, je veux dire quand j’ai écrit que je ne suis pas un homme de foi. Je suis certainement athée et non religieux… en théologie, la foi signifie « croire aveuglément aux écritures » ; c’est le « dogme de la foi »… mais, bien que je ne sois pas religieux, j’ai quand-même une foi aveugle en ce que j’ai appris, tout au long de ma vie, de la vie et des gens. Ma foi s’exprime par mon éthique et mon éthique est le reflet de ma foi. Je crois fermement en ce que je dis et je suis prêt à tout pour mes convictions… donc même si je ne suis pas religieux, je suis plus « croyant » que ces « religieux de carton ». Regarde le « représentant » de Dieu sur terre, enfermé au Vatican, ainsi que ses serviteurs et ses fidèles. Au moins, la figure centrale de cette religion n’a pas hésité à nettoyer les blessures des lépreux.ses ou à aller au martyre avec dignité. Même s’ils « croient » à la résurrection des morts, ils ne paraissent pas particulièrement désireux à mettre leur foi à l’épreuve, ha ha ha ! Ils pensent sûrement : meurs, toi, le premier, pour ma part, j’ai envie de rire… en cela il y a un parallèle entre les anarcho-communistes et les chrétien.ne.s : ils croient tous dans une idée/mot, mais personne ne veut aller vers le calvaire ou le martyre… ils se contentent d’un « témoignage » de l’idée/mot, ha ha !

L’amour de l’homme, la justice, le pacifisme, le prosélytisme, les prêches… le paradis au ciel ou sur terre, la fraction du pain, la solidarité… putain ! La plupart des gens ne se rendent même pas compte à quel point toutes les branches du socialisme (le « réel » et l’ « utopie ») sont chrétiennes-religieuses… dans les religions monothéistes, celle judéo-chrétienne et l’islam, a été concoctée toute la recette du socialisme-anarchisme et du communisme (dans cet ordre). Le christianisme culturel est la même chose que l’anarchisme culturel. Il faut arrêter de regarder les gens selon leur « -isme », mais les apprécier, si nécessaire, par leur éthique. Les troupeaux sont toujours à la recherche du Messie… ils ne savent pas avoir une vie propre sans la « chaleur » du groupe et l’exhibitionnisme du « je crois »… l’action est toujours « justifiée » avec le « je fais ce que je peux »… la confession de nos limites nous absout tout.e.s… dommage. Nous sommes imparfait.e.s ! Putain ! L’invention de la confession (dans sa version laïque, c’est une assemblée ou d’une thérapie) et du repentir sont des dispositifs parfaits pour accepter n’importe quel « connard.asse » ou « ordure » parmi nous. (…)

13 avril

(…) Ce que je comprends à partir des « nouvelles » (c’est-à-dire de la propagande de l’État), c’est que la quarantaine va continuer… ils doivent évidemment prétendre tout contrôler de l’aspect clinique-scientifique, car la panique génère le chaos et le manque de contrôle.

Ce virus est vraiment anti-civilisateur, ha ha… il s’est proposé de décimer les « vieux/vieilles » (plus de 40 ans), qui ont réussi à échapper à la vieillesse grâce à la science médicale… nique les « vieilles/vieux » avec leur Botox et leurs valves cardiaques ! Nique les asthmatiques avec leur spray et les diabétiques avec leurs pilules ! Ce n’est pas que je ne comprenne pas ce virus « eugénique », mais en tant que « vieil » asthmatique et animal-social, avec de nombreux « vieux » amis et des « vieux » membres de ma famille, je suis inquiet. Si nous vivions dans un autre type de monde, qui respectait la nature, la vie et la justice sociale, probablement je me rebellerais contre la volonté de comprendre le côté positif de cette « bestiole ».

C’est formidable : il n’y a plus de matchs de football (hourra !), les villes ont une atmosphère respirable (hourra !), les gens ont le temps de réfléchir à la vie et à la mort (hourra !). (…)

14 avril

(…) La situation dans les prisons espagnoles (de ce que je peux lire) est préoccupante… Je connais bien le pouvoir qu’ont historiquement accumulé ces assassins et avec l’excuse du « coronavirus » (et sans parloirs), ni personne pour surveiller les gardiens, tout cela est effrayant… comme quand, au début du FIES, ils avaient « carte blanche » pour faire tout ce qu’ils voulaient…

Le capital est pressé et ils ont déjà redémarré le travail dans certains secteurs « stratégiques » (industrie et bâtiment)… en faisaont appel aux « statistiques » du virus et à « la stabilité à la baisse du pic de la pandémie »… c’est le langage des ces administrateur.euse.s de la misère (…) mais ils savent que s’ils ne veulent pas d’ « émeutes » généralisées, ils doivent donner des « autorisations » par secteurs et faire des « promesses ». Ils appliquent au citoyen le même régime pénitentiaire qu’aux prisonnier.e.s. Au lieu de gardiens et des matons dans les cours, ils ont des militaires et des policiers dans les métros, dans les rues et les usines. De la maison au travail et du travail à la maison ; une heure de promenade pour balader le chien et le faire chier, ou pour faire les courses. Les portes fermées et le fait de partager sa cellule avec d’autres… j’espère qu’ils auront au moins la chance de partager leur cage avec quelqu’un.e de sympa. (…)

17 avril

(…) Celui qui détient le pouvoir détient la légitimité (dans tous les domaines) pour dire qui sont les « bon.ne.s » et et pointer du doigt les « hérétiques »… depuis plus de 2000 ans, la « civilisation » mène la musique qu’il faut suivre.

Je sais que toute bataille contre la « civilisation » (chrétienne, capitaliste et militariste), qu’elle soit menée d’une façon « chaotique » ou « organisée », est perdue d’avance… cependant, comme dans la fable de la grenouille et du scorpion, je ne peux pas aller contre ma nature… Je ne peux pas dire que je « crois » aux balivernes que les êtres humains inventent. Je ne peux pas fermer ma gueule, ni fermer mes yeux, je ne peux pas non plus regarder ailleurs, ni être indifférent quand je vois le monde dans lequel nous vivons et que toute le monde (une puissante minorité) prétende que nous acceptons sans critique, de force et sans broncher… ce qui me « surprend » (peut-être de moins en moins), c’est que l’immense majorité puisse accepter ce monde de merde sans ressentir même pas un peu de honte… ???

Galileo Galilei a exposé ce que sa raison lui dictait et… néanmoins, devant le pouvoir (l’Inquisition), il s’est publiquement rétracté… il a sauvé sa vie mais il a perdu sa dignité. Giordano Bruno a suivi ce qui lui dictaient sa raison et de sa dignité, alors ils l’ont tué. Le pouvoir est l’assassin de la raison et de la dignité humaine ; la vérité ne peut être que « relative » ou « apparente », jamais « réelle » et « claire » (…). L’être humain est nécrophile, c’est pourquoi il poursuit et tue ceux qui « s’élèvent » au dessus de sa nature décadente… « l’éducation » et le « travail » (plus tard les « responsabilités ») l’aliènent et le disciplinent pour qu’il vive de façon médiocre et misérable.

Bien sûr, des nombreuses personnes savent ce que signifient vérité, justice, dignité, etc., mais très peu de monde ose risquer ses « privilèges » pour ces valeurs supérieures. Combien de fois m’a-t-on dit : « tu as déjà fait assez, laisse faire les autres… » ou « quand vas-tu changer ? Ne vois-tu pas que le monde est fait comme ça ? » Ils croient qu’être solidaires, cohérent.e.s, dignes, c’est quelque chose de temporaire et qu’on doit se résigner et accepter le monde tel qu’il est…

Mon « crime », ces dernières années (30 ans, plus ou moins), je l’ai commis avec le stylo et le cerveau… ces hypocrite disent que nous avons la « liberté d’expression », mais si vous écrivez quelque chose qu’ils n’aiment pas ou qui les irrite, ils regardent dans le code pénal et ils trouvent toujours quelque chose.

En Espagne, les maton.ne.s sont déshumanisé.e.s et elles/ils le sont parce que la société l’accepte… aujourd’hui la « société carcérale » reçoit un peu de ce même médicament qu’elle a permis qu’on administre à ses prisonnier.e.s. Maintenant, elle essaiera elle aussi les « effets » de l’isolement, de l’autoritarisme et de l’arrogance en uniforme… maintenant elle saura ce que signifie souffrir en silence, souffrir d’anxiété, souffrir de nostalgie, de pénuries de tout type… elle apprendra aussi à apprécier le courage de la désobéissance, la valeur de la liberté, l’émotion de retrouver un être cher… quand mon père est mort, ils ne m’ont pas donné l’autorisation d’aller à l’enterrement (ils ont dit que c’était dangereux), même s’il n’y avait pas de Covid-19. Je sais ce qu’ils ressentent, lorsqu’ils enterrent leurs proches sans pouvoir leur dire adieu une dernière fois. Maintenant, ils/elles disent que c’est inhumain… certes, avec moi elles/ils ont été in-humain.e.s, mais comme j’étais un prisonnier en F.I.E.S. ils/elles pouvaient se permettre d’être in-humain.e.s.

Le citoyen, sans ses « Droits », est de la merde, exactement comme le prisonnier… le gouvernement se transforme en institution pénitentiaire. Le régime carcéral est appliqué aussi hors de ces murs. Des citoyen.ne.s en 1er degré de détention, en 2ème degré ou en régime ouvert. Des citoyen.ne.s profitant d’une sortie, en liberté provisoire ou conditionnelle. Je n’aurais jamais deviné qu’un virus allait enfin dévoiler la « société » comme société-panoptique, mieux que cela aurait pu être fait par cent ou mille conférences ou documentaires à ce sujet. Et de nombreuses personnes se demanderont que faire pour survivre à l’enfermement… rien, beaucoup de patience et d’improvisation, ha ha. J’ai toujours dit que l’avenir n’existe pas… Carpe Diem, être humain, et que la Terre te soit légère. (…)

19 avril

[…] (…) la panique vis-à-vis du virus est un fait et celui qui a le remède devient une espèce de Dieu… même le capitalisme obéira à celui qui lui permettra de vivre ou de mourir (…) Si on y réfléchit bien, il n’y a pas de plus grande arme au monde que le pouvoir de vie et de mort (plus grande que la technologie, que l’industrie, le capitalisme, l’idéologie…). On a déjà vu ce qu’un virus comme le Covid-19 a pu provoquer en ce court laps de temps, dans l’économie, l’industrie, la politique, la société et sur le plan psychologique… tout cela a-t-il ou pas un « sens » en tant qu’arme militaire ? (…)

21 avril

(…) Je suis résigné à mon destin et cela s’appelle conscience de classe, savoir que je ne serai jamais en paix, tant que j’écris et que je pense à voix haute, parce que la liberté d’expression n’est un « Droit » que pour les artistes et les intellectuels… il suffit qu’on te colle l’adjectif « terroriste » pour que tout le monde ferme les yeux et qu’ils fassent de toi tout ce qu’ils veulent… je suis résigné à mon destin parce que je ne me laisse pas terroriser par une bande de fascistes qui veulent que je la ferme et que j’arrête d’écrire ce que je pense et ce que je crois. Si je le permettais, ma vie serait aussi artificielle que leurs talk-shows télévisés. Dois-je m’autocensurer ? Dois-je me repentir pour quelque chose ?

Ils peuvent me persécuter et m’emprisonner pour ce que j’écris, ils peuvent brûler mes livres, mais mes idées et ce que j’ai dit, cela ils ne pourront jamais l’enfermer ou l’effacer. Tout empire a un début et une fin (l’Histoire nous l’apprend), comme toute dictature. Je ne sais pas si je verrai un jour finir en ruines ce système pourri, mais le simple fait de l’imaginer me console profondément.

Et « en parlant » de soulagement, je suis content que mon séjour ici [dans la prison judiciaire de Porto ; NdAtt.] termine… je ne supporte plus d’être enfermé dans cette prison de merde ; sans lumière, presque sans air et sans aucune perspectives… au moins, en Espagne, on peut ouvrir les fenêtres et je peux voir la lune et les étoiles et respirer de l’air frais. Cela n’a plus aucun sens, peu importe ce qu’il pourra arriver là-bas. (…)

23 avril

(…) Nous voulons tou.te.s (même les anarchistes) croire que nous avons des « Droits » et nous sommes surpris.e.s et en colère lorsqu’on violent nos prétendus « Droits »… au fond de nous, nous ne voulons pas accepter que le « Droit » n’a pas d’obligations mais il a des devoirs et que ces devoirs changent selon qui vous êtes. En d’autres termes : la dictature de l’ « État de droit » n’existe que pour les privilégié.e.s qui peuvent l’acheter et, en plus, elle accorde certains « Droits » à tou.te.s celles/ceux qui se prêtent servilement à l’obéissance. Malheur à toi, si l’État te prend comme ennemi.e !

(…) La vérité est qu’il est très « stressant » d’être conscient (politiquement parlant) et de vivre dans ce monde… surtout parce que nous savons que, individuellement ou en tant que minorité, nous ne réussirons jamais à changer le monde… et le monde doit être changé, car sinon la vie sur la planète Terre sera un film d’horreur… nous voyons déjà certains aspects de cette terreur dystopique, mais il nous reste encore du temps… pas beaucoup, mais « un peu ». (…)

29 avril

(…) Le fascisme (dans toutes ses variantes) est intrinsèquement intolérant… il ne tolère pas les « critiques », il veut seulement des adeptes… celles/ceux qui ne comprennent pas sont éliminé.e.s, réduit.e.s au silence, torturé.e.s, diffamé.e.s. Comme dans le catholicisme de l’ « Opus Dei », son dogme est la foi, l’exaltation de l’irrationalité émotive, le geste martial. Les individus n’ont pas de vie, dans un environnement qui exige le grégarisme… seuls les chefs sont des proto-hommes qui s’élèvent au-dessus des autres. Seul Dieu, seul le Chef, seul le Roi ou le Pape sont des « individus »… la masse ne doit pas oublier quelle est sa tâche dans la « Grande Œuvre » : obéir, croire, suivre le grand chef. (…)

1er mai

(…) Nous vivons dans un monde et une société éminemment utilitaristes ; ce qui compte c’est ce qui est le plus utile au pouvoir et la « valeur » maximale est l’argent. Les valeurs et les principes humains, qui se traduisent par la dignité personnelle, sont rares. L’individu digne est emprisonné tandis que la balance est « libérée ». Le travailleur digne est licencié tandis que le sale briseur de grève est embauché. Celui qui dit ce qu’il pense est puni et l’âne qui est d’accord avec tout ce que dit le maître est récompensé. Les patrons de ce monde sélectionnent leurs serviteurs en fonction de l’utilité et c’est ainsi que nous voyons des gouvernements, des entreprises, des partis politiques et des syndicaux qui sont pleins de nazis ou de balances… il n’y a pas de camarades de travail, mais des concurrent.e.s, il n’y a pas de « cadres qualifiés » mais des lèche-culs… l’argent règne, le pouvoir sélectionne : c’est tout. Voilà une image de notre monde.

Nous sommes sept milliards dans ce monde et l’« idéal » de la grande majorité est celui que le capitalisme lui vend avec sa propagande consumériste, celui que Hollywood façonne dans ses films. Les nouveaux héros sont des millionnaires imbéciles qui ne savent que taper dans un ballon ou des « Lady Gaga » frivoles se contorsionnant dans des clips musicaux. Nous mettons nos enfants dans des écoles où elles/ils s’abrutissent et « socialisent » dans des espaces qui semblent fait plus pour les « estropier » que pour les éduquer. Il est obligatoire de se faire vacciner avec de la merde, dans l’intérêt de laboratoires qui imposent des recettes « scientifiques » aux institutions. Les services sociaux sont la « Gestapo » d’un bon ordre social. (…) Sérieusement, quand je pense à tout cela, je me révolte contre ce monde… et quand on exprime ces idées aux « gens normaux », elles/ils t’accusent d’être un radical. Il est évident qu’ils/elles ne savent pas que « radical » vient de « racine » et que cela ne peut jamais être compris comme une insulte ou une récrimination. Aller à la racine de toutes choses : observer, étudier, analyser, comparer, réfléchir. (…)

2 mai

(…) Le capitalisme a plus de « croyants » que Dieu… la bourgeoisie ne renoncera jamais au pouvoir de manière volontaire et nous n’avons pas le pouvoir de la contraindre à y renoncer… du coup on regarde la télé, on reste confiné.e.s, on rêve grâce à des injections de toutes sortes. Ça m’énerve de paraître si « cynique », mais je ne suis pas une personne crédule et je vois comment les idiotes qui détiennent le pouvoir nous manipulent (c’est une constante de l’histoire) et nous divisent en permanence. Je vois comment nous sommes incapables de faire face collectivement à cette hydre autoritaire qui nous abrutit et nous consomme. (…)

3 mai

(…) Les prisonnier.e.s regardent la télévision toute la journée… pendant toute la journée il y a une programmation spéciale « coronavirus »… elles/ils n’ont pas de parloirs, la Junta de tratamiento (la commission qui gère les visites, les permis, les révisions de notes, etc.) est suspendue (le système carcérale pur… c‘est à dire : rien d’autre que des matons et de la « sécurité ») et ils ne veulent pas que cela crée de l’alarme parmi les prisonnier.e.s ? Dehors comme dedans, les quelques « Droits » formels sont suspendus et une dictature martiale est imposée : qui peut bien rester calme ? Lorsqu’il y a une dictature, la première chose qui est suspendue, ce sont les « Droits ». La prison est composée d’une junta de régimen [l’emprisonnement pur e simple ; NdAtt.] et d’une autre, de tratamiento [les « avantages » ; NdAtt.] et bien que personnellement je n’aie jamais eu autre tratamiento que le régimen pur, je sais ce que l’abolition ou la disparition du tratamiento signifie pour le fonctionnement d’une prison. Pas d’école, pas d’ateliers, pas de sport, pas de permis, pas de progression de notes, pas de sorties. Pas d’éducateur.rice.s, de travailleur.euse.s social, de psychologue.e.s… bref… si déjà dehors les « citoyen.e.s » ont testé ce que c’est d’être confiné.e.s, imaginez maintenant comment doivent vivre les prisonnier.e.s ! (…)

6 mai (commentaires sur l’attente de l’ « Habeas Corpus » – par vidéoconférence – qui avait été demandé par l’avocat, en réponse au refus de sa libération malgré l’expiration de la période de détention de 90 jours ; ndt)

(…) Tant la « forme » que le « contenu » de quelque chose d’aussi impersonnel me semblent pour le moins surréaliste. Je rejette instinctivement tout cela, il m’offense, il me fait violence, quel que soit le résultat final. Je trouve aberrant que des personnes ayant un pouvoir de décision sur l’existence d’autrui le communiquent de manière si froide et distante. Je préfère presque ne pas voir leurs visages, même pas sur un écran, et leur demander de m’envoyer par écrit ce qu’ils décident de faire de ma vie. On est loin d’un procès comme celui de Socrate, qui au moins a pu faire son apologie et dire au revoir à ses amis avec dignité, avant de boire la ciguë.

Ce monde « impersonnel », « civilisé » et « technologique » est dépourvu de toute humanité, logique, valeur, signification et dignité… si je voulais « me défendre » ou « les insulter » ou faire une intervention et je disais quelque chose qui ne leur plaît pas, ils n’auraient qu’à appuyer sur un bouton et je serais en « off »… et je me retrouvais avec ma colère et mon indignation à regarder un ordinateur de merde, éteint, avec mes mots encore dans ma bouche…

La justice bourgeoise, en plus que sur toute la force de la loi et sur le pouvoir de classe, peut s’appuyer sur une télécommande, à distance, pour mettre en place son théâtre judiciaire… quand je pense à tout cela, je voudrais être un sauvage… il n’y a pas de place pour l’humain dans quelque chose d’aussi impersonnel… cela me rappelle que c’est la même chose qu’ils font en Italie avec nos compas emprisonné.e.s… une farce qui veut nous réduire à des images numériques ; nous faire disparaître de la réalité visuelle, tactile, auditive, présente… au lieu des « corps présent » nous sommes réduit.e.s à des « corps absent », une projection spectrale… comme dans un jeu vidéo, ils pourront nous tuer sans ressentir aucune sorte d’empathie… ce n’est pas la même chose de tirer dans la tête de quelqu’un.e que de tirer sur une représentation humaine avec une console. La distanciation physique de ce que l’on fait ne crée pas de la conscience ou de l’empathie comme elle le fait dans la réalité. Franco a signé des condamnations à mort, il n’a pas tué personnellement, cela a été fait par ses bourreaux.

L’administration de la « Justice » a, de cette manière, le même fonctionnement que l’industrie de la viande. La chaîne de montage est divisée en phases spécialisées et chacun faisant sa part. Ceux qui commandent le font à distance, ce sont des assassin.e.s assis.e.s dans un bureau. Les consommateurs achètent un produit sans ressentir rien ni penser à toute la chaîne de production. Mangeraient-ils de la viande s’ils devaient tuer et éviscérer des animaux ? Mettraient-ils leurs semblables en cage ?Mais je laisse de côté cette réflexion… bref, je vais prendre mille respirations profondes, demain, avant de m’asseoir devant mes « bourreaux virtuels » (mais réels). (…)

8 mai

(…) Il faut une volonté surhumaine pour vivre sans espoir, en ne comptant que sur le fait de vivre assez longtemps pour voir la fin de tout cela. C’est une « chance » pour moi d’être condamné à une peine de prison à vie déguisée et non à une peine de mort certaine : c’est déjà une sorte d’ « espoir »… je vais tenir le coup, je vais résister, parce qu’à la fin de tout cela je pourrai vivre (au moins) mes dernières années en liberté ; parce que je pourrai mourir loin de ce scénario dantesque, autoritaire et criminel ; parce que je pourrai me dire que je n’ai pas renoncé à mes idéaux de liberté et de dignité…

(…) Nous, les anarchistes, nous « perdons » dans tant de façons différentes d’interpréter la liberté… il est impossible que trois anarchistes soient d’accord… à vrai dire, c’est ridicule qu’ils nous considèrent comme une « menace » pour leur État tout puissant… l’État-capitale a tout assuré et contrôlé… ces petites marges de « vie alternative » ne seront jamais une menace pour le Moloch. L’activisme esthétique est quelque chose de culturel, social, aussi radical qu’il puisse se définir… ce qui change réellement les rapports de force, c’est la question économique… pour qu’il y a une autre réalité politique il faut un autre paradigme économique. Bien entendu, l’État-capital ne permet pas l’existence de concurrents dans ce domaine, même si les « communes » ne sont que des îlots minimalistes de survie alternative et non une véritable alternative à l’État-capital. Sans la destruction du Moloch (cela serait la Révolution Communiste Libertaire), sans le soutien des masses et leur auto-organisation, nous nous retrouvons avec le triste consolation des « communes ». Cependant, je préfère cette triste consolation au travail salarié dans une ville ou à la foi en quelque Révolution, ha ha. (…)

10 mai

(…) Ce qui compte toujours pour le pouvoir, c’est le nombre, non pas la raison ou la logique. Tant qu’il continuera à avoir des millions de « fidèles » et d’ « électeurs », nous sommes foutu.e.s. Pas étonnant, donc, qu’ils violent des « Droits », qu’ils enfreignent leurs propres « lois » et même que, en bons voyous, ils cachent, fassent taire ou fassent disparaître leurs ennemis ou ce que ces derniers écrivent ou disent. La « civilisation », c’est précisément cela : le pouvoir, la censure, l’autoritarisme et la propagande. Le monde que nous connaissons ne peut survivre sans tout cela… l’ignorance est le pilier fondamental de la « civilisation »… et la force pour ceux/celles qui, malgré tout, ne veulent toujours pas accepter le statu quo. Je doute sérieusement et légitimement que le monde puisse (ou veuille) changer de direction… et, malgré tout cela, je pense toujours qu’il vaut mieux vivre dans la clarté que dans l’ignorance. Après tout, c’est le seul vrai sens de la vie : SAVOIR D’OÙ ON VIENT… le « péché » d’ « Adam et Eve » a été de manger le fruit de la connaissance… seul « Dieu » (ou le « Diable ») peut disposer de la connaissance et, c’est pourquoi ai début il leur donne « l’immortalité » (ou la liberté) ; ils peuvent être immortels mais ignorants. En bref, la punition des êtres humains est la conséquence d’avoir voulu se mesurer aux Dieux. (…)

20 mai, Badajoz

(…) en deux mots : ils sont arrivés le 12 mai au matin, ils m’ont permis de prendre une douche et même de boire un bon café. Aucun appel téléphonique ni la possibilité d’avertir personne. Camionnette, escorte et direction l’Extremadura portugaise (une destination que je ne connaissais même pas, car ils ne m’ont rien dit) vers une petite et vieille prison appelée Elva (c’est ce que j’ai découvert une fois arrivé en Espagne). Le lendemain, voilà la police judiciaire et en 20 minutes ils m’ont livré à la liaison Interpol de Badajoz. Le même jour, le 13 mai (après les photos, etc.) je suis entré dans la prison de Badajoz.

Les retrouvailles avec la réalité carcérale espagnole (d’autant plus maintenant, en plein « Pandemonium » viral) sont toujours quelque chose d’ « habituel » pour moi. Mille ans peuvent passer et il n’y aura jamais de changements, ici (ce qui change, c’est la mentalité des gens), c’est toujours le même… après quelques heures ils m’ont emmené de la section « nouveaux arrivants » à la section 7 (ancienne section F.I.E.S.) qui est toujours aussi épouvantable que tous les sections F.I.E.S. du pays. Ce lieu ne change pas ! Ce sont ces sections qui ont contribué à créer les hommes les plus « dangereux » de la « criminalité » espagnole : Juanito Redondo, Paco Ortiz, Juanjo Garfia, etc… cela fait 30 ans maintenant, et j’ai un flash-back d’eux tous et de toute cette époque sombre… peut-être qu’au final les marxistes ont raison et que l’histoire se répète, cycliquement. Ce que je me demande (à ce stade de la micro-histoire) c’est : que fais-je ici ? Que fais-je en prison ? Si je n’avais pas été libre pendant presque quatre ans, je penserais que tout n’était qu’un rêve (…).

Il est absurde d’essayer d’« expliquer » ou de « dire » quelle est ma situation « juridique-pénale »… quiconque regarde mes « papiers » (l’éternel « dossier ») d’un point de vue, justement, « juridique-pénale», ne peut pas le comprendre, ni trouver une solution… comme toute chose, c’est une question de temps… le temps qu’il faut pour les recours, le temps qu’il fait pour « résoudre » ou pour « compliquer »…

Je vais bien mentalement et physiquement… j’ai désormais une peau aussi dure que celle d’un crocodile (30 ans d’ « entraînement » avec des institutions pénitentiaires m’ont préparé à vie)… tout cela est fou, un monde souterrain d’apparences et de « réalités » difficile à expliquer… on doit le vivre à la première personne pour en avoir un aperçu (et même comme ça on pourrait ne pas le « comprendre »). Il est difficile d’expliquer la prison et la « logique » de son fonctionnement. Chaque module est une planète du système, avec une « bio-logique » à lui… je suppose que ça pourrait être le rêve d’un quelque savant fou et des cobayes sans espoir.

(…) ici les « gens » ne sont pas portés sur la littérature. L’une des grandes différences entre les prisonniers de ma génération et ceux d’aujourd’hui est que nous lisions beaucoup, tandis qu’aujourd’hui ils passent la journée assis devant la télévision… la pauvreté et la toxicomanie ont toujours été concentrées dans les prisons, mais pas à ces niveaux-ci. Autrefois, être pauvre ne signifiait pas automatiquement être ignorant.e ou toxicomane. Les gens allaient en prison aussi pour d’autres types de délits. Aujourd’hui, presque tout le monde est en prison pour trafic ou consommation de drogue, violence de genre, etc.. Je continue donc avec l’autodiscipline de la gymnastique (dans la cellule), la lecture et les notes pour mon prochain livre… il y a toujours du matériel qui peut être utilisé pour la littérature et la poésie. (…)

LA VIE ET LA MORT

Le temps passe vite ;
Hier encore, j’étais un enfant
et là je suis déjà un « monsieur ».

Rien du tout n’a beaucoup d’importance ;
seulement quand cela passe on se pose des questions
sur le sens.

La vie ne cherche pas de sens ;
simplement passer, avec ce qui a existé.

Il est humain de se demander
comme il est animal de se laisser aller.
C’est tout ce que je peux dire
après m’être sondé.

Pion ou Roi de l’Échiquier
(cela n’a pas beaucoup d’importance)
tout est dans le fait de bouger ;
toute la vie n’est qu’un jeu
qui se termine toujours par la mort.

Gabriel Pombo Da Silva
Porto (Portugal) / Badajoz (Espagne) – avril/mai 2020

 

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