Allemagne : Une lettre de Thunfisch

Freethunfisch / mercredi 27 novembre 2019

Vous trouverez ici une déclaration, écrite le 2ème jour de son emprisonnement [depuis, elle a été libérée ; NdAtt.], qui n’a malheureusement pas pu être envoyée, à cause du confinement complet que l’on subit lors des transfert d’une en prison à l’autre […]

12 novembre 2019, Brandenburg-an-der-Havel

Salut, mes chéri.e.s,
Tout d’abord merci et bravo de lire cette lettre ! Prendre le temps de prêter attention aux mots des prisonnier.e.s est vraiment important et cool. Ça me fait du bien d’imaginer que de l’autre côté des barreaux, vous lirez cette lettre, dans votre vie normale.

Eh bien, maintenant je suis de retour en prison et de retour aux transferts d’une prison à l’autre – de façon cynique, ça se passe exactement sur la même route qu’il y a bientôt 3 ans, mais dans l’autre sens (de Berlin à Bielefeld, pas de Bielefeld à Berlin). Je profite de l’occasion pour confirmer mes impressions sur les prisons de Luckau-Duben (Brandebourg), Brandenburg-an-der-Havel (Brandebourg), Halle (Saxe), Hanovre (Basse-Saxe), Hildesheim (Basse-Saxe) et Bielefeld-Brackwede (Rhénanie-Westphalie) et pour mettre en place mes projets, longs de de trois ans, de notation des prison : je les publierai dès que possible, elles pourront vous servir ou même vous amuser.

En fait, au vu des circonstances, je m’en sors plutôt bien, aussi parce que ce n’est plus la première fois, et parce que je me suis occupée de la prison de façon intensive et offensive depuis la première fois. Cela aide vraiment beaucoup, je ne peux que vous le recommander ! Ce qui est bien aussi, c’est que cette fois-ci, je n’ai pas été arrêtée et ramenée dans la rue presque en pyjama, mais que les flics sont venus me chercher dans l’avion peu avant le départ, donc ma valise était prête.

Quelques réflexions. Il y a quelques jours, j’ai lu un article dans In der Tat (une revue anarchiste), qui s’appelle « Im Freiluftgefägnis » (In der Tat, numéro 5, automne 2019, « Im Freiluftgeffängnis » [« Dans la prison à ciel ouvert » ; NdAtt.]). Il disait plus ou moins qu’il n’y a pas de différence concrète entre les deux côtés des barreaux, puisque les personnes dehors ne sont pas libres non plus et elles sont limitées dans leurs déplacements (par exemple par les frontières) et contrôlées (à l’aide de la technologie). J’en ai parlé avec des ami.e.s et j’ai émis la critique que la prison n’est pas seulement une question de « liberté », mais plutôt d’être livré.e à la merci d’autrui. En prison, on est constamment dans les mains de l’État, complètement à sa merci, presque sans défense. D’abord, en prison, on est enfermé.e. dans une cellule et certaines personnes peuvent entrer et faire de nous ce qu’elles veulent. A l’extérieur, on a presque toujours au moins la possibilité de s’enfuir, que l’on essayé ou pas, que l’on fasse ou pas.
Mais hier, dans l’avion, je n’avais pas cette possibilité. Pas non plus à l’aéroport de Schönefeld : des sas partout, des portes fermées, des contrôles. En fait, j’étais là aussi complètement à la merci des autorités, comme dans une cellule de prison. Et ce qui est pire et qui m’énerve en ce moment, bien plus que l’arrestation elle-même, c’est que je me suis livrée de mon plein gré et sans méfiance, j’étais même heureuse. Je n’avais même pas vu venir cette arrestation. A part la blessure à l’ego, puisque j’espérais ne pas être si naïve et aussi pas si prête à me laisser aveugler par de petits plaisirs (dans ce cas, partir en vacances en avion), une question fait rage en moi : combien de fois est-ce que je me livre moi-même de cette manière, dans la vie quotidienne ? Combien de fois est-ce que je passe par des sas et des portes en fer sans même m’en rendre compte ? A ce propos, je ne suis pas encore prête, je sais seulement que je ne retournerai probablement jamais à l’aéroport – et pas seulement à cause du traumatisme, mais plutôt à cause de l’endroit où je me trouve maintenant, quand je pense à combien j’ai payée cette escapade.

Écrivez-moi volontiers vos pensées à ce sujet ! J’écris un peu tous les jours – peut-être sur le comportement des matons et du syndrome de Stockholm : en tout cas j’aurais besoin de quelques conseils et analyses ! En ce sens, prenez bien soin de vous et de vos, de nos prisonnier.e.s : bonne chance aussi aux 3 de la Parkbank, à Lisa, à Loïc, et aux centaines de prisonnier.e.s de la protestation des Gilets Jaunes : aucune prison n’est éternelle et bientôt nous danserons ensemble sur la tombe de l’existant ! Aussi, gardez vos oreilles attentives <3

Et comme bande-annonce pour ma deuxième lettre (à propos des transferts), qui viendra, voici les meilleures citations de matons de la semaine !

 

Halle :
Thunfisch : Je vois que mon droit de contacter mon avocate est violé.
Matonne : Mais pas du tout, vous pouvez lui écrire à tout moment.
Thunfisch : Ok, alors j’aurais besoin de timbres.
Matonne : Impossible.
Thunfisch : Oui, je ne peux pas lui écrire du tout !!!
Matonne : Non, mais elle peut le faire.

Luckau-Dubben, à propos du test de l’urine « obligatoire » :
Thunfisch : Je trouve cette mesure indigne.
Matonne : Tout le monde doit le faire.
Thunfisch : Oui, alors c’est indigne pour tout le monde.
Matonne : …
Thunfisch : Vous ne trouvez pas ?
Matonne : Non, je trouve ça normal.

 

NdAtt. et, en allemand, ses notations des taules allemandes (on touche du bois, quand-même) :

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