Hambourg (Allemagne) – Les trois de la Parkbank : Une lettre depuis la prison de Holstenglacis

de.indymedia.org / jeudi 5 septembre 2019

Samedi 10.08.19

Bonjour tout le monde !

Cela fait maintenant un peu plus d’un mois que nous trois de la Parkbank avons été arrêtés et, dans un deuxième temps, deux d’entre nous ont été emmenés en détention préventive. Dans cette lettre, je voudrais décrire un peu ma situation personnelle, ici en taule. Je ne peux rien dire au sujet des accusations ou de l’avancement de la procédure judiciaire, car nous ne pouvons pas communiquer entres personnes concernées. Je ne peux qu’être d’accord avec le conseil de ne pas se laisser aller aux spéculations, aux ragots et à la panique.

La solidarité et le soutien que nous recevons ici sont merveilleux et époustouflants. Les nombreuses lettres, les mots de salutations, les photos et les rassemblent nous donnent force et confiance. Vous êtes géniaux.les !

Leipzig, le 05/08/2019 – « On vous garde la place »

Maintenant, la détention préventive. Cela signifie, ici, au moins pendant les premiers mois, 23 heures de confinement dans 10 mètres carrés, avec lit, table, chaise, armoire, toilettes et lavabo. Une heure de promenade dans la cour, dans mon cas avec les autres prisonniers de mon étage, alternativement le matin ou l’après-midi. Nous nous réveillons à 6h30, avec une sonnette d’alarme stridente, le déjeuner est à 11h30, le dîner est servi à 16h30 et doit suffire aussi pour le petit déjeuner, parce que le matin il n’y a que de l’eau chaude ou du thé. La nourriture est généralement suffisante pour joindre un tant soit peu les deux bouts, mais ceux qui veulent avoir une alimentation équilibrée dépendent de la « cantine » pour acheter des choses auprès de la prison. Tous les mercredis, sont distribuées les listes de commandes, en langue allemande, collectées le lendemain. Le samedi, on va chercher sa commande. Ce n’est pas exactement bon marché et c’est payé avec l’argent de son compte auprès de la prison. Là dessus il y a l’argent qu’on avait en poche au moment de l’interpellation, la thune envoyée de l’extérieur et son salaire minable, si l’on travaille pendant la détention préventive. Contrairement à la détention qui fait suite à une condamnation, ici le travail n’est pas une obligation* et l’on travaille essentiellement dans les services de la prison – cuisine, nettoyage, peinture, blanchisserie….

D’autres « privilèges » – une radio en location, une télévision en location, la participation à des groupes sportifs, à des cercles de discussion, à des cours, etc. doivent être demandés à la direction de l’établissement et, bien entendu, toute la bureaucratie de la prison travaille uniquement en allemand. Le traitement de ces demandes prend au moins quelques semaines. Les matonnes et les matons sont extrêmement brusques et toute information sur la vie quotidienne en prison doit leur être tirée par leur nez, les questions les embêtent et ils/elles donnent des réponses à contrecœur et de façon énervée ; seulement quelques-un.e.s parlent anglais.

La procédure d’enregistrement, y compris les flexions à poil, la première nuit dans la « cellule d’observation », où on t’enlève tes vêtements civils et on te place dans une cellule où la lumière reste allumée toute la nuit, ainsi que le marathon déconcertant à travers l’établissement, ressemble à une initiation, qui doit te faire comprendre que, désormais, tu fais partie d’un processus judiciaire qui doit être administré, rien de plus. Une expérience humiliante. Après la nuit dans la cellule d’observation, on récupère ses vêtements civils ; c’est probablement une petite exception, car dans beaucoup d’autres prisons de détention préventive, la norme sont les habits de l’établissement.

La nette majorité des personnes que je rencontre ici sont emprisonnées pour des délits liés à la drogue ou à ce que l’on appelle des délits motivé par le besoin de se procurer de stupéfiants, et soit n’ont pas de passeport allemand soit ont une autre nationalité en plus de celle allemande, ce qui explique le danger de fuite. Les détenus non germanophones sont souvent exposés à l’ignorance condescendante des maton.ne.s, qui charrie souvent des sous-tendus racistes. Dans les premiers jours, la bureaucratie de la taule était déjà très opaque pour moi, qui suis habitué à l’illusion d’ordre allemande. Cela devient tout à fait évident que l’objectif légalement affiché de la détention provisoire, c’est-à-dire le fait de savoir que les personnes concernées par la « garantie de la procédure » sont là, n’est qu’un aspect parmi les éléments utiles de la détention provisoire.

Le but de ces conditions de harcèlement, dont je peux décrire ici seulement partiellement le niveau, sont clairement l’incertitude, l’humiliation, l’isolement et la discipline maximales. Cela est particulièrement vrai pour les premières semaines – avant que l’on puisse téléphoner, écrire des lettres, faire des parloirs ; pendant de nombreux jours, on est livrés à soi-même, avec seulement un stylo et du papier, pendant 23 heures. La première possibilité de sortir de prison est toujours deux semaines après l’incarcération. Aucune surprise donc, si ce sont précisément ces premières semaines qui font de la prison une usine qui fonctionne parfaitement dans le but de produire des accusations (souvent fausses), des aveux (souvent hâtifs) et des condamnations réussies (pour l’État). De cette façon, ce système se légitime constamment.
En plus des personnes qui sont emprisonnées ici pendant la procédure et qui souvent sortent rapidement parce qu’elles avouent, balancent ou parce que l’audience préliminaire donne un résultat clément, je rencontre ici de nombreux condamnés qui purgent des amendes pécuniaire sous forme de ce qu’on appelle « peine de substitution ». Qui ne paye pas une amende, à un moment donné reçoit un mandat de prison et au contrôle de police suivant finit dedans. Une journée en détention correspond donc à un tarif journalier fixe, j’ai entendu ici des chiffres entre 6 et 10 euros par jour. Ceux/celles qui ont de la chance contactent des amis ou des parents, qui paient alors la totalité ou au moins une partie de l’amende, montant qui peut être déduit de la duré de l’incarcération. Ceux/celles qui n’ont personne purgent leurs dettes en prison. Les personnes qui sont en détention pour une peine de substitution ne sont pas autorisées à travailler, même si beaucoup d’entre elles voudraient le faire, pour échanger un salaire de misère contre quelques jours de liberté anticipée.

La liste des exemples possibles, des anecdotes qui ne peuvent que faire enrager, est bien sûr assez longue et dépasserait le cadre de cette lettre.

Si on y regarde de plus près, on remarquera que la thèse souvent formulée, selon laquelle la taule est un miroir de la société, est sans aucun doute vraie. Non seulement j’y rencontre, bien sûr, la même lâcheté, le même racisme, le même manque de solidarité et l’indifférence que l’on retrouve à l’extérieur. On y rencontre tout autant les mêmes mécanismes d’exclusion, de privilège, de discipline, de coercition et d’exploitation, qui recouvrent un tel rôle de soutien pour l’ordre de ce monde, concentrés comme sous une loupe, comme si on devait inculquer aux personnes emprisonnées ici, et avec un cours intensif, la façon de marcher droit.

Le fait que des concepts comme l’intégration, la discipline (ou les mesures disciplinaires) ou une bonne conduite, que l’on retrouve dans presque toutes les institutions coercitives de cette société, qu’il s’agisse de l’école, du bureau, du travail, du service social (dans de nombreux cas, certainement pas tous) ou même de la prison, et qui ont tous une origine militaire, révèle qu’aucun de ces aspects de la domination et du contrôle ne peut être considéré indépendamment des autres.

Ceux/celles qui ont un problème fondamental avec l’autorité et la domination, à moins qu’elles/ils n’aient en tête une variante idéologiquement différente de société coercitive et disciplinée, ne devraient pas garder le silence sur ces corrélations.

Lorsque l’État nous emprisonne, en tant qu’opposant.e.s à son régime, il le fait pour les mêmes raisons qu’il a pour emprisonner les SDF qui n’ont pas payé leur amende pour un pari de vodka au supermarché ou celles/ceux qui, à cause d’une plantation d’herbe et de leur nom de famille censé appartenir à la fausse « grande famille arabe », sont condamné.e.s à une peine beaucoup plus lourde que leurs complices blond.e.s.

Se lier avec certain.e.s détenus et s’en sentir solidaire est est tout à fait compréhensible et pour moi il s’agit d’un élément fondamental d’une solidarité réelle, qui doit pour moi avoir un caractère de réciprocité. Une culture de soutien aux prisonnier.e.s et d’aide aux personnes touchées par la répression aurait néanmoins tout à gagner à intégrer davantage les attaques répressives de l’État dans une analyse générale des relations de domination.

Notre emprisonnement n’est pas une injustice particulière, mais une conséquence nécessaire de la logique selon laquelle ce monde fonctionne. Et nous devons en finir avec cette logique, pour la libération de tous !

Une accolade chaleureuse et solidaire !
Jusqu’à ce que tou.te.s soient libres !

Un de la Parkbank.

 

Note d’Attaque : la prison (UHA) de Hostelglacis, à Hambourg, est destinée aux personnes placées en détention préventive (et celles enfermées pour des amendes impayées). En Allemagne, dans les prisons pour condamné.e.s (JVA) le travail est obligatoire, apparemment apparemment avec des cadences (et des salaires) dignes des bagnes industriels du XIXème siècle…

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