Premier procès en France utilisant le statut de « repenti »

NdAtt. Voilà qu’après des années de préparation au niveau législatif, l’État français attribue pour la première fois le statut officiel de « repenti » à une de ses balances. Si on s’en fout des guerres de pouvoir internes au banditisme (grand ou petit, corse ou d’ailleurs), n’empêche ce nouvel outil de taille aux mains de la répression ne peut qu’inquiéter les amants de la liberté. N’oublions pas que ce statut a été institué pour la première fois en Europe, au tout début des années 80, par l’État italien pour combattre les mouvements révolutionnaires. Et il a fait les dégâts que l’on connaît.

extrait de La Provence / lundi 19 février 2018

Lundi après-midi, Jacques Santoni, 40 ans, un des piliers du banditisme ajaccien comparaîtra libre sous contrôle judiciaire devant les assises, à Aix, pour avoir commandité l’assassinat d’Antoine Nivaggioni. Dans un endroit tenu ultra-secret, Patrick Giovannoni devra également répondre du crime de « complicité d’assassinat en bande organisée » et du délit « d’association de malfaiteurs ». Ayant mis en cause Jacques Santoni et désigné Éric Coppolani comme l’un des tireurs, il a bénéficié du statut de repenti, le premier depuis l’application de la loi Perben II en 2014, en échange de précieuses informations. Procédure, histoire et l’exemple des précurseurs italiens et américains… retour sur ce nouveau statut de repenti.


Depuis quand ?

La loi Perben II, votée en 2004 mais appliquée dix ans plus tard, instaure officiellement le statut de repenti et le codifie. L’article 132-78 du code pénal prévoit que toute personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit est exempte de peine si elle a permis d’éviter sa réalisation en prévenant les autorités. La peine n’est pas annulée mais réduite si elle a « seulement » permis de faire cesser l’infraction ou a permis d’identifier les auteurs.

Quel poids dans une condamnation ?

Le témoignage d’un repenti pèse énormément dans une procédure judiciaire. Mais comme pour les « témoins sous X », il n’est, normalement, pas possible de prononcer une condamnation sur le seul fondement de ses déclarations [ouais, vas le dire à Adama et Abou Kamara, qui escomptent 12 et 15 ans de taule pour avoir été condamnés, justement grâce à des témoignages sous X, pour les tirs sur les keufs lors des émeutes de Villier-le-Bel en novembre 2007; NdAtt.]  . D’autres éléments de preuve doivent étayer son témoignage.

Quelle protection ?

En cas de témoignage indispensable à la manifestation de la vérité, le procureur ou le juge d’instruction soumet la candidature à la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), composée de trois magistrats, trois fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et d’un représentant du ministère du Budget. La CNPR peut décider d’une réduction de peine qu’elle peut conjuguer à une protection physique allant jusqu’au changement d’état civil, de domicile et de vie. Le repenti et sa famille sont alors pris en charge par le Siat (service interministériel d’assistance technique), qui gère déjà « les légendes » dans le monde de l’espionnage. Un budget de quelque 500 000 € est alloué chaque année au Siat par l’Agrasc, l’agence chargée de gérer les saisies d’avoirs criminels créée en 2010.

Lexique

Le repenti est à différencier du témoin sous X et de l’indic.

L’indic : occasionnel ou régulier, l’indic, appelé aussi « aviseur« , dispose d’un vrai statut depuis la loi de 2004 et d’une définition : « l’informateur est celui qui, par sa connaissance interne d’une information, de l’activité d’un malfaiteur ou d’une organisation criminelle, en informe de façon occulte les autorités répressives moyennant ou non une contrepartie ». Il doit être inscrit au registre central des sources, tenu au ministère de l’Intérieur.

Le témoin sous X : prévu par la loi depuis 2002, le code de procédure pénale dispose qu’en cas de crime ou de délit puni d’au moins 3 ans de prison, il est désormais possible de protéger un témoin souhaitant apporter une information lorsque son audition est susceptible de mettre en danger sa vie, son intégrité physique ou celle de membres de sa famille. Instauré pour briser l’omerta en Corse ou dans certaines cités, le témoin sous X n’est, en principe, pas impliqué dans les faits à la différence d’un repenti.

[…]

L’exemple : l’Italie et les États-Unis précurseurs

« Le boss des deux mondes » ne fut pas le premier pentito dans le programme italien de protection des témoins. Mais Tommaso Buscetta fut, assurément, le premier grand parrain à rompre la loi du silence. Et à ouvrir ainsi la voie à de nombreux mafiosi en quête d’une nouvelle vie. L’enfant de Palerme ayant perdu la guerre qui l’opposait à la famille Riina de Corleonesi avait décidé de faire tomber Cosa Nostra, la mafia sicilienne, en livrant tous les détails de son fonctionnement au juge Falcone. Puis, en les répétant lors du premier gros procès antimafia à l’issue duquel plus de 300 mafiosi avaient été condamnés. En récompense, il a pu s’exiler aux États-Unis, avec un nouveau visage et un autre état civil.

Cet échange de bons procédés avait pu avoir lieu grâce à la loi Cossiga. Quelques années plus tôt, le gouvernement italien empêtré dans les années de plomb avait voté une série de lois d’exception pour lutter contre le terrorisme politique, notamment celui des brigades rouges. C’est à ce moment-là que le statut de pentito, repenti, fut instauré. Inspiré des États-Unis où il était déjà en vigueur, il fut rapidement utilisé plus largement. Pour les différentes mafias et autres bandes criminelles. Selon le substitut du procureur de la Direction nationale antimafia, Maurizio de Lucia, 1 200 collaborateurs de justice, avec leur famille, faisaient l’objet d’une protection particulière en 2013 (L’Express, 12 avril 2013).

Aux États-Unis, selon l’US Marshals, l’unité spécialisée du WITSEC, le programme fédéral de protection des témoins mis en place en 1971, ce sont plus de 18 000 personnes, dont 8 500 témoins, qui sont prises en charge entièrement. Avant, pendant, et après le procès. En plus de leur sécurité, le WITSEC leur fournit un nouveau logement, des soins médicaux, une formation professionnelle pour trouver un emploi… Un budget de 60 millions de dollars y est consacré tous les ans. Certains États, comme la Californie, y ont ajouté leur propre programme pour les crimes qui ne sont pas couverts par le fédéral. En Italie, de 70 millions, le budget aurait baissé des deux-tiers en quelques années. Le terrorisme politique a disparu et les mafias ont été, en grande partie, décimées ou neutralisées. Certaines révélations sur de faux repentis ont par ailleurs entaché la pertinence de l’utilisation de l’argent public… « En Italie, le repenti doit tout dire dans les six mois de l’obtention de son statut. S’il dit des mensonges, il est révoqué, précise Me Luc Febbraro. Ce n’est pas le cas en France. S’ils prévoient un arrêt du programme, les textes restent flous, sans cadre réel. On ne connaît ni les critères d’attribution de ce statut ni les obligations clairement exposées au candidat. C’est un problème. » Et avec un « petit » demi-million consacré à son propre programme de protection des témoins, un sentiment que la France y va sur la pointe des pieds…

Si certains repentis ont saisi l’opportunité de cette nouvelle vie quitte à s’arranger avec la vérité, en Italie mais aussi au États-Unis, l’US Marshals se targue de la condamnation de 10 000 criminels et de l’efficacité de son programme de protection. Aucun témoin protégé n’aurait été tué, donc retrouvé. Tommaso Buscetta a succombé à un cancer à New York en 2000, à l’âge de 71 ans, après une paisible fin de vie. Mais le juge Falcone est mort dans l’explosion de sa voiture à Parlerme, à 53 ans. Les Riina avaient soif de vengeance.

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