Italie : Un texte d’Alfredo Cospito depuis la prison de Ferrara

publié dans Vetriolo, giornale anarchico, num. 1 / automne 2017  (ce texte est également  en ligne ici)

Note de Vetriolo : Alfredo a écrit ce texte de salut pour le numéro zéro de Vetriolo, en novembre-décembre 2016. Cette lettre, c’est chose connue, a été bloquée par la censure. Voici que maintenant nous pouvons la publier. Nous rappelons que ces derniers mois la censure a beaucoup augmenté, un serrage d’étau évidemment ordonné par le Procureur Sparagna, pas du simple zèle du maton de service. Apparemment il y a des ordres précis sur ce qui peut et ce qui ne peut pas passer (Vetriolo, par exemple, apparemment n’est arrivé à personne [des compas emprisonné.e.s pour l’opération Scripta manent ; NdT]). Pour protester contre la censure, Alfredo a été en grève de la faim du 3 au 13 mai dernier.

Rompre l’isolement !

NdAttaque : le procès « Scripta Manent » commence demain. Solidarité avec les compas inculpés !

Avec des accusations pouvant conduire à 30 ans de taule et ayant une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, le besoin de communiquer des projets et des réflexions pourrait sembler absurde. Sous le coup de la censure, qui modifie tout ce que j’écris et je dis, le fait de continuer de manière imperturbable à communiquer et écrire des réflexions qui, inévitablement, prêtent le flanc à la répression, peut paraître stupide et fou. Stupidité et folie dont je ne peux me passer, pour me sentir encore vivant et actif.
Un seul choix, les épaules contre le mur : continuer la lutte. Continuer avec n’importe quel moyen à ma disposition.

L’inspiration pour écrire cet article m’a été donnée par l’inquisiteur Sparagna, qui, dans son « monologue-interrogatoire » solitaire a maintenu, avec un embarras à peine caché, qu’il serait parvenu à nous [les 22 compas sous enquête dans l’opération Scripta manent ; NdT] par exclusion, grâce à la « terre brûlée » que le mouvement anarchiste aurait fait autour de nous en Italie. Est-il possible que le mouvement anarchiste soit tombé si bas, en Italie, en n’éprouvant aucune empathie envers des compagnon.ne.s tombés dans les filets de la répression, jusqu’à nous considérer comme un corps d’étranger ?
La vérité ne peut pas être cherchée dans la « logique » instrumentale et démentielle d’un Proc’ de Turin. La vérité se cache dans les replis, dans les différentes expression de solidarité qui nous ont été adressées, dans l’opportunité qui peut nous être donnée même par une vague répressive comme celle-ci. Pour le démontrer, il y a les nombreuses actions en solidarité avec nous, un peu partout dans le monde ; il y a les peu nombreux, mais significatifs, communiqués de solidarité qui nous sont parvenus. Au premier regard, ces communiqués semblent être l’habituelle solidarité de façade, mais en réalité ils prennent à mes yeux une grande importance.
Peut-être en raison de leurs origines : des compagnon.ne.s avec des projets différents entre eux mais qui, malgré tout, se sont sentis frappés dans leur chair. Peut-être parce que tou.te.s ces compagnon.ne.s participent d’une façon ou d’une autre à cet anarchisme de praxis qui garde vivante, vivace et bien réactive l’anarchie dans le monde. Pour ces raisons et bien d’autres encore, ces mots de solidarité ne sont pas de petites choses et peuvent devenir une opportunité, surtout si elles parviennent à aller au-delà de la répression.

L’opportunité qui se présente à nous est la possibilité réelle que des parcours différents, mais tous déterminés et agressifs, puissent, à certains moments, se croiser. Ce n’est pas pour rien si le pouvoir tend à séparer les anarchistes entre gentils et méchants. Et là Vetriolo entre en jeu.
Je ne peux pas m’en empêcher. Quand le réalisme et la logique me disent de me taire et d’attendre, je relance.
Vetriolo, un a-périodique d’approfondissement où peuvent s’affronter de manière loyale et claire, sans faux-semblants, des positions et des idées différentes : « sociales » et « antisociales », attitudes « organisatrices » et « antiorganisatrices », partisans de l’anonymat ou non.
Je suis convaincu que jusqu’à ce que certains nœuds ne soient pas défaits, on continuera à traîner. Je ne suis pas intéressé par l’union stérile, mathématique, quantitative, mais par la possibilité réelle que des compagnon.ne.s avec des perspectives différentes puissent collaborer sans se conditionner réciproquement, sans rien céder, sans déformer leur propre projectualité. C’est une simple question de méthode. Dans ma tête j’ai mille questions et quelque réponse auquel un journal d’approfondissement théorique comme Vetriolo devrait affronter. Comme tous ceux qui essayent de mettre en pratique ce qu’ils disent, j’ai beaucoup plus de doutes que de certitudes. Sur un ring théorique, de nouvelles suggestions pourraient sortir de confrontations entre différentes idées, nous offrant des possibilités et des instruments plus efficaces.

Groupes d’affinité, actions individuelles, organisations. Simples techniques à utiliser selon les opportunités qui se présentent tour à tour, ou bien quelque chose de plus profond, à mettre en pratique selon ses propres prédispositions caractérielles, ses aspirations individuelles ?
Simples techniques à utiliser froidement, avec calcul et détermination selon la situation sociale, afin de déclencher un processus révolutionnaire qui fera de nous des révolutionnaires, nous projetant vers le futur ?
Ou bien des choix existentielles qu’investissent tout notre être le plus profond et font de nous des rebelles conscients qui vivent leur propre anarchie maintenant, tout de suite, dans un affrontement continuel avec l’existant ?
Groupes d’affinité, actions individuelles, organisations. Techniques, instruments, armes pour frapper ; chacune d’entre elles a des défauts et des qualités. La seule « unité de mesure » que nous avons, pour savoir de quelle façon nous pouvons agir de la manière la plus adaptée pour nous, est la disposition naturelle que chaque individu porte en soi.
Il s’agit d’un « échange » entre la liberté qu’on perd et les nouvelles possibilités qu’on obtient. Pour certain.e.s le fait de limiter leur liberté (en se donnant des règles) en échange d’une plus grande force d’impact peut valoir le coup, pour d’autres pas. C’est aussi un élément caractériel, les facteurs sont nombreux et tous touchent à notre liberté, notre sensibilité.
La haine que nous ressentons envers le système est parfois si forte qu’elle peut rendre minime les libertés apparentes que nous perdons en échange d’une plus grande virulence, d’une plus grande force et capacité. La chose importante est de savoir que les organisations, les actions individuelles, les groupes d’affinité font tous parties au même titre, de ces « instruments » que les anarchistes ont toujours utilisé dans l’histoire. C’est ridicule de crier au scandale si un.e anarchiste se donne comme instrument une organisation, soit-elle « informelle » ou « spécifique », inutile de s’indigner : chacun fait ses choix.
Le problème, à mon avis, est tout autre : réussir à faire «communiquer », à moments donnés, sans qu’ils se connaissent, des compagnon.ne.s qui ont des façon différentes d’agir, cela sans s’annuler l’un l’autre, sans se marcher dessus, sans coordinations et superstructures hégémoniques qui passent pas-dessus des organisations, des individus, des groupes d’affinité qui ne doivent jamais enter en contact. Mais qui doivent unir leur forces en se donnant des temporalités d’action communes. Je crois que cela est le vrai défi qui nous attend, le nœud principal à défaire.

Alfredo Cospito

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