Paris : démarrage des travaux du nouveau Palais de Justice

Le Monde / jeudi 7 mai 2015

« Le béton est un peu mou, j’espère que ça va tenir ». La garde des sceaux et ministre de la justice, Christiane Taubira, truelle en main, était en grande forme, mercredi 6 mai, après avoir coulé le protocole d’accord, enfermé dans un tube métallique, qu’elle venait de signer avec la maire de Paris, Anne Hidalgo. Ainsi venait d’être posée la première pierre – en réalité la première poutre –, du futur Tribunal de grande instance de Paris (TGI), porte de Clichy dans le 17e arrondissement.

Le projet est de taille : 160 mètres de haut, 100 000 m2 de planchers dont 62 000 de surfaces utiles, 38 étages, 90 salles d’audience, et une capacité d’accueil de 2 500 salariés et 8 500 visiteurs [sic!]. Douze grues travaillent en permanence sur le site. Réalisé par l’architecte italien et parisien d’adoption, Renzo Piano (l’auteur avec le britannique Richard Rogers du Centre Georges-Pompidou), le futur TGI, qui doit être livré en juin 2017, sera le plus grand immeuble construit à Paris depuis la Tour Montparnasse (210 mètres), achevée en 1974.

Le TGI est un sujet qui fâche ou qui enchante. Cristiane Taubira, en dépit des convenances habituelles du protocole, n’a pas caché son déplaisir. Elle s’en est particulièrement prise au partenariat public privé (PPP), le mode de financement du projet envers lequel elle a exprimé ses « réticences » et « ses réserves de principe » devant un aréopage de personnalités réunies dans une salle de la base-vie du chantiers : magistrats, élus locaux et représentants d’Arelia, le maître d’ouvrage contrôlé par BTP Bouygues. Outre le financement, la conception et la construction du TGI, l’entreprise de bâtiment et de travaux publics doit assurer l’entretien et la maintenance du bâtiment pendant 27 ans. Coût total de l’opération : 2,4 milliards d’euros, soit, hors coût de construction estimé à 575 millions d’euros, l’équivalent de quelque 70 millions d’euros par an tout au long de la période. « J’aurais préféré une maîtrise d’ouvrage totale de l’Etat, de la puissance publique », a déclaré Christiane Taubira. Ces 27 années de loyer me tourmentent, même si je n’irai pas jusqu’au bout » Puis dans un sourire, « et ne serais peut-être ni même au départ. »

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Une (petite) raison de plus pour s’opposer à la construction du nouveau Palais de Justice

Cette Semaine / lundi 11 mai 2015

« La question n’est donc pas d’assigner à l’État le monopole de la violence, ni de transformer chaque individu en parfait non-violent. Il ne s’agit pas d’effacer les conflits de notre vie, mais de les affronter dans leur singularité. Leur résolution doit être recherchée par ceux qui sont directement impliqués, sans la déléguer à des institutions extérieures (l’État), sans la délimiter à des espaces circonscrits (les tribunaux), sans se contenter de réponses automatiques écrites par d’autres (un code). »
Pour régler les comptes, Diavolo in corpo (Turin) n°3, novembre 2000

Bien sûr, au delà de tout détail sur ses spécificités, un Palais de Justice, ancien ou moderne, géré par l’État ou en partenariat avec Bouygues, d’une seule salle d’audience ou de 90 est une monstruosité. Cela vaut pour ceux déjà en fonctionnement comme pour celui en construction à Paris aux Batignolles (17e), qui abritera en rab le nouveau siège ultrasécurisé du 36 quai des Orfèvres, avec double tunnel reliant ce service au tribunal et vers le boulevard Berthier.

Il y a quelques jours, un nouveau détail sur le fonctionnement interne du futur Palais d’infâmie vient de sortir. On se souvient que lors du procès de « Mauvaises Intentions » pour « terrorisme » en mai 2012, les RGPP avaient utilisé une vitre sans teint située dans une pièce réservée aux témoins convoqués pour les procès de la 17e chambre, et donnant sur les couloirs pour prendre tranquillou en photo au téléobjectif tous les camarades et compagnons venus en solidarité. Dans le futur Palais de Justice, tout sera bien sûr sous caméras et évitera ce genre de tours de passe-passe.
Mais il y a mieux, puisqu’on vient d’apprendre qu’il existera aussi une salle de presse où les audiences seront retransmises en direct pour les journaflics. Ce qui signifie d’une part que tous les procès seront filmés et enregistrés, et d’autre part qu’en plus des « services spécialisés » qui auront tout loisir de les disséquer au chaud sans se fatiguer à prendre des notes et à se faire prendre la tête par les proches des inculpés ou des déferrés, les charognards de la presse disposeront de ce même privilège. Bien sûr, leur proximité avec le pouvoir n’est un mystère pour personne, en témoigne par exemple le fait qu’ils ont un banc réservé, généralement sur la gauche du tribunal, à portée de main du procureur. En même temps, on n’imagine pas que des places puissent être accordées si près du boucher-en-chef à des inconnus, par principe moins dociles qu’un journaflic.

Cette info sur la retransmission en direct des procès au bénéfice des larbins du pouvoir -avec ou sans carte de presse- dans un salle à part, est sortie parce que L’Association de la presse judiciaire s’est plainte qu’en échange, toutes les communications internet et les réseaux de téléphones portables seront brouillées dans les salle d’audience, et qu’ils n’y auront plus de bancs réservés (les premiers rangs du public devront en outre se trouver à au moins quinze mètres du procureur selon la nouvelle norme). Le tout justifié, comme c’est de coutume, pour des raisons de « sécurité »*.
Un chantier, c’est bien sûr les architectes qui l’ont dessiné, les entreprises qui le construisent, les banques qui le financent, les ingénieurs qui le gèrent, mais aussi les politiciens qui l’ont pensé ou les journalistes qui le justifient au quotidien. C’est enfin tout ce qui le rend acceptable socialement, notamment pour ce projet de Palais de Justice, la défense de la Loi et de sa nécessité, le recours à cette dernière en cas de conflit et la soif autoritaire d’incarcération qui en découle nécessairement.

Tout projet de la domination peut être empêché et saboté, c’est d’abord une question d’imagination et de détermination. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !

* (ajout) Le 12 mai en toute hâte, le ministère de la Justice a annoncé l’abandon du « brouillage » en salles d’audiences, mais pas les 15 mètres réglementaires pour protéger le procureur, et encore moins l’ « espace dédié » spécial charognards pour « les procès médiatiques et sensibles« .

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