Velib’ vandalisés à Paris : pourquoi tant de haine ?

Challenges / lundi 19 mai 2014

http://referentiel.nouvelobs.com/file/7318543-velib-vandalises-pourquoi-tant-de-haine.jpgEn 2013, plus de 8.000 vélos en libre-service de la capitale ont été rendus inutilisables, soit 44% du parc. Voici comment JCDecaux et la mairie de Paris tentent d’y faire face. Dans la nuit du 14 au 15 avril, Paris a connu une hécatombe. En quelques heures, les pneus avant de 367 Vélib’ ont été crevés. « Sous une magnifique pleine lune », selon le ou les auteurs du carnage, dix-sept stations sont visées, dans les XIe et XIIe arrondissements de Paris et à Montreuil. Aucune bicyclette grise n’en sort indemne. Le lendemain, toutes sont inutilisables. Le concessionnaire du système de vélos en libre-service, JCDecaux, porte immédiatement plainte. Qui a commis un tel forfait ? Le mystère s’éclaircit trois jours plus tard, quand l’opération est revendiquée dans un texte envoyé à Indymedia, un site Internet prisé par les mouvances d’extrême gauche.

« Dorénavant, lorsque la police interpelle un mineur accusé de vol ou de dégradation sur des Vélib’, JCDecaux peut le faire travailler gratuitement à titre de sanction dans ses ateliers de réparation« , justifie le billet dénonçant « l’esclavagisme » du groupe d’affichage extérieur et de mobilier urbain. Une enquête a été lancée pour retrouver les auteurs de cet acte politique.

44% du parc touché en un an

Celui-ci a beau être singulier, il remet en lumière un phénomène touchant Vélib’ : le vandalisme. En 2013, dans la capitale, plus de 8.000 bicyclettes grises ont été dégradées au point d’être rendues inutilisables, sur un parc disponible d’environ 18.000 engins en moyenne. Soit un taux de 44%. JCDecaux, dont un juriste se consacre essentiellement à cette tâche, a déposé 1.309 plaintes l’an dernier. La chose n’est pas spécifiquement parisienne : l’entreprise connaît des situations similaires à Lyon et Toulouse, mais sur des parcs plus petits. Dans la capitale des Gaules, 1.850 vélos ont été vandalisés en 2013, sur un total de 4.000. En revanche, lors de ses trois premières années d’existence, le système londonien de 8.000 vélos en libre-service (non géré par JCDecaux) n’a subi que 143 vols… « A Paris, il y a beaucoup plus de stations dans des rues isolées, où il est plus facile de se cacher », explique Albert Asséraf, directeur général stratégie, études et marketing chez JCDecaux.

Entrepôts engorgés

Les tentatives d’arrachage provoquent les altérations les plus significatives : les cadres sont vrillés, les roues tordues, les lames de fixation pliées. Si 87% des vélos volés sont retrouvés, ils doivent passer par les ateliers de réparation avant d’être réintégrés en station. Cette contrainte, ajoutée à l’usure normale, engorge les cinq entrepôts du groupe, dans lesquels passent chaque jour 1.200 à 1.300 Vélib. Parmi les 340 collaborateurs que compte la PME de Decaux, 210 sont mécaniciens. « Les périodes les plus sensibles sont les vacances scolaires et les beaux jours, c’est-à-dire quand les jeunes ont du temps et peuvent être dehors », ajoute Albert Asséraf.

Les interpellations concernent essentiellement des mineurs du Nord-Est parisien, où les quartiers défavorisés sont nombreux. « Il y a aussi du vandalisme de la part des jeunes des beaux quartiers, après des soirées trop arrosées, corrige Myriam el-Khomri, adjointe à la maire de Paris, en charge de la sécurité. Mais la plupart des flagrants délits sont commis par des adolescents venant des zones de sécurité prioritaire des XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements. Pas forcément des délinquants multirécidivistes. » Le prix bas des abonnements (à partir de 19 euros par an) n’y fait rien. « Pour eux, Vélib’ appartient à la ville, donc c’est gratuit », observe l’élue.

Casseurs réparateurs

Pour contrer le phénomène, la ville et le parquet de Paris ont mis en place des mesures dites de « réparation pénale ». Plutôt que de faire passer les mineurs pris sur le fait dans le bureau d’un juge pour enfants, ils sont conduits, si les parents sont d’accord, dans un atelier de JCDecaux, où ils travaillent aux côtés des mécaniciens pendant deux jours lors des vacances scolaires. « Ils prennent conscience là-bas que, derrière un service public qui appartient à tout le monde, il y a des gens qui travaillent », se félicite Myriam el-Khomri. Une quarantaine de jeunes, tous des garçons, ont expérimenté le dispositif. L’échantillon est trop réduit pour en tirer des conclusions, mais aucune récidive n’a été constatée parmi eux. Ce qui réjouit JCDecaux.

Pour l’entreprise, enrayer le vandalisme, qui lui coûte « autour de 5 millions d’euros par an », selon le codirecteur général, Jean-Charles Decaux, est une nécessité. Le prix de production d’un Vélib’ étant élevé, plus de 600 euros, son remplacement répété pèse sur la rentabilité du contrat. « Au lancement du service en 2007, nous n’avions pas imaginé qu’il y aurait un tel niveau de dégradations », admet Albert Asséraf. Le dossier de l’appel d’offres prévoyait un renouvellement de 39% du parc chaque année. Or dès 2008, le taux de vandalisme a atteint 83% !

Déploiement stoppé

Il a fallu s’adapter. Les lames d’attache des bicyclettes aux bornes ont été renforcées pour résister à une pression de 100 kilogrammes, contre 50 initialement. Dans certaines stations, comme à Aubervilliers, des potelets ont été installés pour rendre plus difficile l’accès aux vélos. Et le groupe a fait signer à la ville de Paris plusieurs avenants. La municipalité paie désormais 466 euros par vélo vandalisé ou volé dans une fourchette allant de 4 à 25% du parc, soit de 1,5 à 2 millions d’euros par an.

Pour ne pas alourdir la facture du vandalisme, le groupe a aussi revu ses ambitions premières à la baisse. L’engagement de déployer 23.800 vélos en moyenne n’a jamais été tenu. Sans que cela pose un problème : depuis 2009, JCDecaux est autorisé par la ville à ne satisfaire que 75% de cet objectif, soit environ 18.000 vélos disponibles. « Au-delà de ce nombre, nous avons des problèmes de saturation », explique Albert Asséraf. La différence de 5.000 vélos n’est pas anodine. Elle représente un parc de plus de 3 millions d’euros à entretenir, lui-même susceptible d’être dégradé, donc de coûter cher à l’entreprise… Ce petit arrangement a été dénoncé en 2012 par la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, qui remarquait que, malgré tout, JCDecaux ne remplissait pas l’exigence des 75%. A ce titre, le groupe aurait dû payer 1 million d’euros de pénalités en 2010. La municipalité parisienne ne l’a jamais réclamé.

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