Italie : Déclaration de Juan au procès pour l’action contre le local de la Lega de Trévise

Il Rovescio / dimanche 18 avril 2021

Lors de cette audience de mon procès, je voudrais immédiatement répliquer aux accusations qui sont portées à mon encontre, à la suite d’une enquête pour le moins fantaisiste, qui a mené à des conclusions biaisées par des préjugés et qui a produit une masse impressionnante de paperasse. Depuis leurs bureaux, flics et magistrats de l’antiterrorisme interprètent à leur sauce et construisent des rôles hiérarchiques et des idéologies, pour ensuite les coller sur le dos de personnes qui ne les ont jamais assumées. Cela grâce à des « portraits » de différents personnes qui sont faux et inventés de toutes pièces, et politiquement et psychologiquement, et que je voudrais réfuter, étant donné qu’il s’agit d’accusations insultantes.

Je voudrais faire un éclaircissement par rapport à mon anarchisme, étant donné qu’il a été interprété et falsifié dans ce tribunal et lors de vos enquêtes, par les nombreux rôles dogmatiques que vous m’avez attribué ; tout d’abord, je ne suis pas un « anarco-insurrectionnaliste », comme vous le répétez tout le temps, et je refuse cette catégorie et ce concept, imposé lors de ce procès par les différents Parquets, car il s’agit d’une catégorie généralisable à loisir pour mieux diriger vos enquêtes. Bien entendu, je suis anarchiste et j’en suis fier, mais je suis anarchiste individualiste et ça ne sera certainement pas le Parquet à me cataloguer, pour ses fins, avec une étiquette qu’il stigmatise. Vous voulez que je renie l’anarchisme, au contraire je renie le langage et les mécanismes que les différents Parquets veulent m’imposer. De plus, la morale de cette société fondée sur le spectacle sensationnaliste fait aujourd’hui passer l’abjuration pour une preuve d’innocence et le fait de ne pas s’agenouiller devant l’État pour une preuve de culpabilité.

Pour les différents numéros de l’apériodique « Beznachalie » que vous avez utilisé comme preuves, vous faites la même chose, en interprétant à votre manière les textes et en les déformant. D’ailleurs, cet apériodique est publique et non clandestin, comme vous voulez le présenter pour créer une image de suspicion, c’est la cas par exemple du chef de la DIGOS Calenda, qui, dans un passage du dossier, dit : « il a même signé un article ! ». Il n’y a pas besoin de ce genre de pièges, parce que je l’assume fièrement comme une partie de mes idées et comme un moyen de propagande que j’ai auto-produit. Ça fait 5 ans que cet apériodique est publié, avec un grand nombre de textes que j’ai publiquement signé. Des textes dont votre interprétation est erronée, en plus que détournée à vos fins, car vous ne les prenez pas dans leur contexte général, mais les lisez de façon schématique, car les juges omettent et extrapolent des éléments, les détachent de leur contexte et leur donnent un sens selon les buts de l’enquête, pour ensuite les connecter de façon fantaisiste, avec des hypothèses, qui ne sont fondées sur aucune preuve, comme à propos de mes rencontres avec des membres de la FAI/FRI. De toute façon, ma solidarité va a tous ceux qui ont été frappés par les différentes opérations répressives anti-anarchistes. De même pour l’attaque à la POL G.A.I. [l’école de la police italienne ; NdAtt.] de Brescia, à propos de laquelle les différentes Parquets ne disposent d’aucune preuve qui puisse appuyer leurs accusations. Les enquêtes laissent volontairement de côté toute une partie des affirmations que j’ai écrit pendant 5 ans. Comme par exemple que pour moi il y a seulement un anarchisme qui lutte, il n’y a pas un anarchisme gentil et un anarchisme méchant, comme voudraient le démontrer différents Parquets à travers l’Italie, avec les nombreux procès contre des anarchistes, ces derniers temps. Je comprend qu’il s’agit là d’un moyen pour eux de réprimer tous les instruments qui sont utilisés depuis un siècle et demi d’histoire de l’anarchisme, des instruments que j’assume, tous, en tant que parties de ce qu’ils sont : de la solidarité révolutionnaire, du refus de la délégation, de l’internationalisme, de la parole écrite et de la pensée, de l’action directe et de la lutte permanente et réfractaire contre l’autorité. Évidemment, les Parquets font tout ce qui les arrange pour pouvoir tout résumer à une sigle ou à une organisation hiérarchisée imaginaire, dotée de chefs et de valets. Cela pour justifier des condamnations qui deviendront des précédents juridiques, dans vos codes et vos lois, dans le but d’effacer l’anarchisme, l’action directe et sa conflictualité.

Massacre indiscriminé (art. 285 du Code pénal)

Pour ce qui concerne la lourde accusation de « massacre indiscriminé », je voudrais clarifier certains aspects et contester fortement ce crime. Il s’agit d’une accusation très grave et sans fondement, portée afin de créer une ambiance et un contexte d’urgence, avec un procès qui serve d’exemple. En faisant monter le niveau au maximum de la gravité, avec le crime de massacre, on fait passer au second plan l’accusation de terrorisme, en ouvrant ainsi la possibilité que celle-ci puisse passer plus facilement, avec une condamnation très dure. Il s’agit là d’une tactique utilisée par la magistrature antiterrorisme dans différents procès contre des anarchistes qui luttent.

Les massacres indiscriminés, comme méthode violente, n’appartiennent pas à l’anarchisme, et je refuse catégoriquement cette méthode. La violence révolutionnaire de l’anarchisme, par le passé et aujourd’hui, a toujours été éthiquement contraire à la violence indiscriminée à l’encontre des masses innocentes. Cela est une des bases des principes anarchistes.

Aujourd’hui, l’État voudrait m’accuser d’être un massacreur, car je suis anarchiste, et cela est particulièrement sournois venant de la part de l’État italien, qui, dans les années 70, a assassiné l’anarchiste Pinelli et a enfermé pendant des années l’anarchiste Valpreda, un État qui a enquêté sur des dizaines et des dizaines d’anarchistes et les a mis en accusation pour le massacre de la Banca dell’Agricoltura de Milan. L’État est le seul responsable de ce massacre et depuis 1970 nous, les anarchistes, continuons et continuerons à accuser l’État en tant que seul responsable de cette époque de massacres, même si, depuis, il a fait tout pour s’en sortir les mains propres. Voilà parce que je rappelle, en tant qu’anarchiste, notre histoire et nos morts, assassinés par l’État, aujourd’hui, devant ce tribunal, même si probablement ils diront que cette histoire n’a rien à voir avec le procès en cours. Mais justement pour cette raison, j’aimerais rappeler aux juges que des nombreux politiciens et magistrats de la période des massacres, pendant les années 70, sont encore aujourd’hui des protagonistes de la vie publique italienne ; du coup je ne vois pas quelle légitimité vous auriez pour m’accuser. Hier comme aujourd’hui, l’État voudrait effacer de la mémoire collective tout le contexte politique et social de la lutte des exploités et des anarchistes, qui suivent leur but historique de combattre l’État massacreur. Par contre, la violence indiscriminée des massacres et des génocides appartient depuis toujours à la structure étatique et à la domination capitaliste, comme le montrent les derniers massacres d’État : par exemple les 14 prisonniers tués ou laissés mourir en prison pendant les révoltes de mars 2020, ou l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, avec ses 43 morts, ou encore les conséquences nuisibles de la société capitaliste, avec le style de vie consumériste et les poisons sans fin qu’elle produit, elle étant la cause principale de nombreuses maladies, comme cette pandémie, lors d’un génocide permanent, en plus de la destruction de la biosphère, qui nous porte au collapse et à l’impossibilité d’une vie digne pour l’ensemble de la planète.

Attentat avec finalité de terrorisme (art. 280 du Code pénal)

Je voudrais clarifier certaines choses, sur l’attentat dont vous m’accusez. Par rapport aux engins explosifs devant le local de la Lega, il est évident qu’on veut, ici, effacer leur contexte social et politique. Cela surtout quand ça arrange les différents Parquets et permet de bien canaliser l’enquête, en niant l’aspect de conflit social de cette action, ce qui va bien au delà des faits spécifiques. Avec un tas de documentation à l’appui, les différents Parquets se permettent de faire des profondes digressions et des interprétations à propos d’une large situation de lutte politique et sociale et il est impossible de leur répondre dans les temps établis par ce procès, du coup, au vu de ces mystifications, je voudrais parler un peu du contexte social et politique où est insérée l’action dont vous m’accusez.

Je voudrais clarifier certaines choses, étant donné que je suis accusé d’être la personne qui a accompli l’attentat contre la Lega de Villorba [commune de la banlieue de Trévise ; NdAtt.]. C’est un fait que la Lega est un parti fortement raciste, misogyne et xénophobe, des choses qu’ils nient, hypocritement, comme ils le font aussi les pires négationnistes de l’Holocauste. Un autre aspect que je voudrais clarifier est que, si je me souviens bien, au moment de l’action de Trévise, la Lega était l’un des partis au gouvernement. De plus, tout le monde s’aperçoit du conflit qui traverse le monde, face à un racisme d’État structurel, comme en Amérique, en France ou au Brésil. Ce que je veux dire est que le racisme, la xénophobie, le patriarcat mettent en place une violence systématique qui est inhérente à la structure étatique, donc à tout parti politique, et que cela est une violence bien plus grande et qui porte a bien plus de massacres que la violence dont aujourd’hui vous m’accusez. Ceux-ci sont les mécanismes systématiques sur lesquels est fondé tout le système social capitaliste de votre société, qui veut m’inculper aujourd’hui pour terrorisme, une accusation que je renvoie à l’expéditeur. Comme si de rien n’était, l’État italien veut consciencieusement effacer ce qu’il a fait par le passé. On oublie trop facilement que l’Italie a été un État fasciste, allié des nazis et complice de l’Holocauste. Pareillement, aujourd’hui vous voulez cacher la violence des massacres et des génocides accomplis par le racisme étatique, comme cela arrive par exemple dans la Méditerranée, en Libye ou dans le grand camp de concentration sur l’île de Lesbos, en Grèce, ou encore par l’exploitation esclavagiste des immigrés. Les Parquets et les différentes forces armées qui m’ont arrêté, qui me gardent captif et qui, aujourd’hui, veulent me juger, servent à consolider l’État- raciste, afin de maintenir inchangé leur pouvoir d’exploiteurs. Vous voulez effacer d’un coup d’éponge les très hauts niveaux de racisme social qu’on respire aujourd’hui en Italie et que vous, en tant qu’État, avez favorisé au sein de toute la société italienne, en les faisant passer pour une simple opinion, prive de violence… vous voulez passer outre ces questions fondamentales. C’est pourquoi ce ne sera pas moi qui facilitera ou canalisera en aucune direction vos enquêtes fantaisistes, dans ce petit théâtre judiciaire. Ce ne seront certainement pas mes mots de culpabilité ou d’innocence qui changeront vos décisions. Comme je l’ai dit et écrit publiquement maintes fois, je le répète ici aujourd’hui : que je sois responsable ou pas des faits dont vous m’accusez, je les partage et je suis solidaire de la lutte anarchiste contre le capitale et l’État-raciste.

Juan Sorroche
prison de Terni, AS2
avril 2021

 

Pour lui écrire :
Juan Antonio Sorroche Fernandez
C. C. di Terni
Strada delle Campore, 32
05100 – Terni (Italie)
(il parle aussi espagnol)

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