Hamilton (Canada) – On ne regrette toujours pas : sur le plaider-coupables dans l’affaire de Locke Street

North-Shore.info / vendredi 30 novembre 2018

Le quoi et le pourquoi

Le 29 novembre 2018, celles/ceux qui faisaient face à des accusations par rapport à la soi-disant « émeute de Locke Street » ont accepté un plaider-coupable non coopératif. L’accord ne mentionne ni implique en aucune manière qui que ce soit d’autre que le groupe de personnes qui ont plaidé coupables et a été accepté collectivement par toutes les personnes impliquées. Depuis le début, ça a été une priorité pour nous d’affronter cette situation d’une manière qui allait à l’encontre de la tendance du système légal à individualiser et opposer les personnes les unes aux autres. On a mis l’accent sur l’aspect collectif et ouvert – en négociant cette solution on a tenu compte du bien-être de tout le groupe, tout comme des luttes dont nous faisons partie. Il n’a jamais été question d’un individu seul, ni seulement des inculpé.e.s.

En ce qui concerne la particularité de notre plaidoyer, une personne a été condamnée à un an de prison : il/elle est en taule maintenant et devrait purger 5-6 mois ; une autre personne recevra une condamnation plus courte dont la sentence tombera courant de la nouvelle année ; une troisième personne a reçu une sentence de 9 mois avec sursis, ce qui veut dire qu’elle est en arrestation domiciliaire, avec un couvre-feu. Pour le côté un petit peu meilleur de l’accord du plaider-coupable, deux personnes ont eu des sentences d’acquittement sous condition et trois autres ont vu leurs accusations retirées en échange de la signature d’un engagement à avoir un comportement conforme à la loi. Cela signifie que 5 de nous 8 s’en sortent sans inscription dans leur casier judiciaire. Toutes les sentences incluent aussi une période de probation et un certain nombre de TIG.

Pour celles/ceux qui se demandent pourquoi on a choisi le plaider-coupable au lieu d’aller à un procès, il y a un certain nombre de raisons diverses. La nature de la répression étatique est telle qu’il n’y a jamais de victoires pures, nettes. Quand vous avez affaire avec elle, vous êtes dans une positions dans laquelle toutes les chemins possibles pour vous sont mauvais – chacun pour des raisons différentes. Dans ce contexte où il n’y a pas de bonnes options, il s’agit d’essayer de choisir la moins pire, et pour nous cela était de choisir un accord de plaider-coupable.

Il n’y a pas à chercher de la justice dans le système judiciaire, tout comme il n’y a pas de corrélation innée entre légalité et justice. Les tribunaux sont ancrés et fondamentaux pour le colonialisme de peuplement qui constitue le Canada ; ils soutiennent un système de suprémacisme blanc ici aussi tout comme ils le font, de manière plus éclatante, au sud de la frontière [qui sépare le Canada des États-Unis ; NdAtt.]. Les tribunaux fournissent un vernis de respectabilité et d’« équité » tout en détournant l’attention de la pure violence de l’État, comme la police de Hamilton qui a tué de nombreuse personnes au cours de cette seule année, ou les innombrables morts et incalculables souffrances dans la prison de Barton. Aux côtés de la prison et de la police, les tribunaux sont un instrument essentiel utilisé par la classe dominante afin de faire respecter l’inégalité et plus en général pour maintenir leur pouvoir : les tribunaux sont gérés par et pour les riches, travaillant pour les protéger, eux et leur propriété. Pour une action comme cette manifestation [celle qui s’est déroulée sur Locke Street, à Hamilton le 3 mars 2018 ; NdAtt.], qui prend clairement comme cible les riches, quelle attente d’une issue positive aurions-nous pu avoir, pour nous engager dans un combat contre le système judiciaire ? Nous sommes leur ennemis et ils nous haïssent autant que nous les haïssons, et en plus ils s’énervent particulièrement quand quelqu’un.e défonce leurs Audis.

Cela ne nous a jamais intéressé d’évoquer les droits démocratiques ou les concepts de culpabilité ou d’innocence, afin de surfer sur la violence de l’État. Nous refusons de nous placer sur ce plan et ne voulons participer à quoi que ce soit qui soutienne le cadre qui crée et perpétue des divisions comme celle entre le criminel et le citoyen respectueux des lois, le bon activiste et le méchant, celui/celle qui proteste pacifiquement et le violent, etc. – cela sert les intérêts du pouvoir et ne fait que nous affaiblir.

Même si nous jouions à ce jeu dans un procès et nous « gagnions », il y aurait un prix. Le procès durerait des années et pendant ce temps cette affaire continuerait à générer du stress pour les personnes et leurs relations en plus d’être une énorme perte de temps et de ressources. Le procès lui-même serait déjà une punition, avec des restrictions de liberté (comme les arrestations domiciliaires, l’interdiction de se rencontrer et de venir en ville) et l’immense poids financier de trouver des dizaines de milliers de dollars pour les frais d’avocats. Cela serait probablement pire que ce que nous obtenons avec cet accord. Des telles pressions sont complètement normales et y font face presque toutes les personnes qui ont affaire avec un tribunal. L’idée que vous auriez un quelque « droit à un procès » est une foutaise : le système judiciaire est une machine à plaider coupable et nous n’en sommes pas immun.e.s.

De plus, nous étions très préoccupé.e.s par l’issue d’un procès qui aurait fait précédent, en influençant des affaires futures. Étant le premier groupe de personnes accusées sous la loi canadienne d’interdiction de dissimulation du visage de 2014, si nous avions été reconnu.e.s coupables des accusations portées contre nous, cela aurait défini le précédent sur lequel les sentences futures auraient été fondées. Les événements de Locke St. ont déclenché une réaction publique assez intense et une période de ce qu’on ne peut appeler autrement qu’hystérie (par exemple des articles de journaux parlant de la menace d’anarchistes qui se cachent dans les buissons, la mairie qui a déclaré que le A cerclé est un symbole de haine [l’interdisant, donc ; NdAtt.], des conférences de presse dramatiques à propos de la « chasse à l’homme » anarchiste, etc.). Au delà de tout cela, l’action a visé un secteur dans lequel vivent et vont dîner juges, avocats et leurs pairs. Inutile de le dire, nous aurions très probablement trouvé devant nous une cour assez hostile et, si condamné.e.s, les sentences auraient probablement été plus dures. Nous aurions de ce fait été impliqué.e.s dans la création d’un mauvais précédent qui aurait été appliqué à d’autres personnes et aurait impacté négativement les mouvement sociaux, les autres anarchistes et assimilé.e.s.

Résistance et répression

La répression peut arriver. Elle n’est pas une force immuable, comme le vent ou la pluie, mais tant qu’existera l’État, celles/ceux qui s’opposent aux actions des puissants feront face à sa violence. La question n’est pas « si », mais « quand », et nous pouvons dire que quand cela arrive ça surprend. À Hamilton, les personnes accusées sont impliquées dans des projets anarchistes publics et visibles, qui essayent de maintenir un antagonisme acharné contre l’exploitation et l’oppression dans cette ville. La gentrification en est une forme bien visible. Des tensions ont été construites – les anarchistes de la ville ont refusé de laisser la lutte de classe être menée de façon unilatérale et depuis des années des appels à la répression ont été lancés à notre encontre.

Nous refusons toute séparation entre idées et actions et nous soutenons toutes les activités qui ont eu lieu le week-end du 3 mars – le salon du livre, la manifestation, et plus – tous ces actes qui ont été criminalisés et ceux qui ne l’ont pas été. Bien que cela ne nous intéresse pas de faire des distinctions entre celles/ceux qui cassent des trucs de merde et ceux/celles qui ne le font pas, c’est important de remarquer que la casse n’était pas (et n’est presque jamais) simplement une action isolée. Ceux/celles parmi nous qui ont fait face aux accusations à Hamilton n’ont pas été pris.e.s pour cible avant tout pour avoir tout cassé, mais nous avons été ciblé.e.s plutôt parce que nous propageons de façon visible et constante les idées et pratiques anarchistes, idées et pratiques qui sont fondamentalement en contradiction avec la vision que la classe dominante et ses larbins ont de la ville.

On pourrait choisir d’être indigné.e.s par la criminalisation de la protestation et de l’organisation régulière d’activités (comme les diffs de tracts), mais cela reviendrait à dire que l’État se trompe à considérer des telles activités comme des menaces contre ses intérêts. Chaque groupe de lecture, repas public, rassemblement, manifestation, etc. fait partie de notre refus de voir nos vies gérées par des bureaucrates et des capitalistes, tout comme l’acte de balancer des pierres contre des vitrines. L’État attaquera toutes les facettes de la résistance qu’il pourra, et comme les pratiques de sécurité prises lors des actions sont souvent efficaces, la répression tend alors à se focaliser sur les activités menées de façon complètement publique.

Sur la réaction

Il y a déjà eu de nombreux textes à propos des réactions aux événements de Locke St., mais cela a été tellement hyperbolique que ça vaut la peine d’y revenir. Qu’est ce qui est remarqué dans cette ville et qu’est ce qui passe inaperçu ? Un texte d’avant les arrestations disait que l’expulsion d’une seule famille de son logement est bien pire que tout ce qui s’est passé sur Locke St. Cela peut simplement être mis de côté comme une dérive, mais ça vaut la peine de prendre en compte le fait que la propriété des investisseurs, des patrons et des propriétaires est constamment considérée comme plus importante que les besoins vitaux de la plupart des gens vivant à Hamilton. Pour chaque article qui parle d’expulsion des gens, et de façon équivoque, il y a d’une part une pile de brèves sur des crimes, présentant nos quartiers comme des problèmes à régler, et d’autre part une pile d’articles qui célèbrent les investissements.

Les formes de violence quotidienne menées par les riches, comme le loyer (et les expulsions) et le travail (précaire, mal payé) sont invisibles, tandis que les moments dans lesquels les personnes appartenant aux classes inférieurs répondent sont spectaculaires, présentés comme extraordinaires, demandant une dénonciation à laquelle nous sommes tou.te.s enjoints de participer.

Cela a crée à Hamilton une dynamique qui fait que l’extrême droite peut émerger ouvertement pour soutenir les affaires et essayer d’attaquer physiquement des « gauchistes » (ou tout ce qu’ils décident dans leur confusion d’appeler comme-ça) et dans lequel la Mairie peut essayer d’utiliser les cadres légaux particuliers à la criminalité organisée, au terrorisme et aux crimes haineux afin de s’en prendre aux anarchistes. L’ambivalence de l’ensemble de la ville envers une extrême droite qui essaye de se positionner en tant que défenseurs violents du statu quo est un inquiétant rappel de combien est passive et réactionnaire la politique dans la partie anglophone du Canada. Le cadre légal spécial dont on a parlé permet une répression ultérieure au-delà de ce que permettrait le code pénal normal et la tentative de la Mairie d’y avoir recours montre le danger d’une attitude étatique vis-à-vis d’idées qu’il appelle « extrêmes » (c’est-à-dire trop distantes du consensus de masse) en tant que crimes en elles-mêmes. Que ces antifascistes qui essayent d’avoir les autorités de leurs côtés dans leur bataille soient avertis : le monstre que vous participez à créer pourra venir un jour vous chercher vous… Heureusement, la tentative d’utiliser l’excuse des crimes haineux pour interdire le A cerclé dans l’espace public a échoué et la ville a été recouverte de tags anarchistes ; un rare rayon de soleil au cours de ces mois par ailleurs difficiles.

Ces expériences montrent l’importance de la créations de réseaux d’action et de solidarité qui ne reposent pas sur des amis des jours heureux, comme les soi-disant progressistes, ou sur le bon vouloir de ceux qui détiennent le pouvoir et leurs institutions. Si ce cycle de répression n’a pas réussi à écraser l’anarchisme à Hamilton, c’est parce que l’autonomie que nous avons construite pendant ces années nous a permis de surmonter la haine de ceux/celles qui ne veulent que manger dans des bistrots chic sans être dérangés et la violence répressive de celles/ceux qui veulent les représenter.

Rien ne s’arrête, tout continue

Les événements de Locke Street et la répression qui s’en est suivie n’ont rien changé par rapport à notre engagement de toujours et aucune des luttes que ces événements ont mis sous les feux des projecteurs ne s’est arrêtée. Nous n’avons toujours pas de larmes à verser pour les vitrines ou les voitures défoncées ; et les urbanistes, les investisseurs et leurs partisans ne méritent toujours rien d’autre que du mépris.

Comme ailleurs en ville, les « petites » boutiques de Locke Street sont la manifestation visible d’un processus plus large d’aménagement et d’investissements immobilier, de décisions d’aménagement urbain, de production culturelle bourgeoise, de maintien de l’ordre et de politique représentative qui est appelé gentrification. Les boutiques de Donuts et les appartements en copropriété provoquent les expulsions locatives et aggravent la misère. Ce qui rend Locke Street différent c’est la partie sud du quartier, où vivent certains des acteurs les plus actifs dans ce processus, ce qui en fait le « lieu de vie» des élites locales, plutôt qu’une « façade» comme les rues Barton ou King.

Notre opposition à la gentrification (et plus en général au capitalisme) n’est pas abstraite – elle ne peut pas l’être face à un processus concret avec des configurations spécifiques à travers la ville. La résistance à son encontre continuera d’être locale, qu’il s’agisse de la défense de certains quartiers comme étant destinés à celles/ceux qui y vivent (opposé.e.s à ceux/celles qui y investissent des fonds), ou qu’il s’agisse d’offensive pour rappeler à certaines personnes que leur recherche du gain a des conséquences réelles sur la vie des autres.

Soutien et remerciements

Aussi éprouvants qu’on été ces derniers mois, le soutien et la solidarité montrés par des gens ici sur place ou ailleurs ont été fondamentaux pour y faire face. Merci à tou.te.s celles/ceux qui ont permis jusqu’ici de défendre les personnes inculpées et de continuer à garder les dynamiques des projets et des luttes. Même si l’issue de ces accusations marque en quelque sorte une conclusion, il ne faut pas oublier les personnes qui continuent de faire face aux conséquences – n’oubliez pas d’aider ceux/celles qui sont en arrestation domiciliaire ou en liberté surveillée et certainement ne pas oublier celles/ceux qui seront enfermé.e.s. En particulier, Cedar qui est en taule à partir d’aujourd’hui et sera heureux.se de recevoir des lettres et des lectures. On peut lui écrire à la prison de Barton (165 Barton St. E, Hamilton, ON L8L 2W6) pendant les prochaines deux semaines, mais il/elle sera probablement transféré.e, du coup consultez https://hamiltonanarchistsupport.noblogs.org/ pour l’adresse mise à jour. N’oubliez pas que l’Administration pénitentiaire de l’Ontario ne permet pas l’envoi de livres (pourquoi, bordel?), du coup imprimez tout texte que vous voulez lui envoyer et assurez-vous qu’il n’y a pas d’agrafes ni autre chose que du papier et de l’encre.

Solidarité avec les inculpés du G20 et leurs soutiens et félicitation à ceux/celles qui ont gagné contre les accusations – nique les tribunaux, même quand on gagne. Solidarité avec celles/ceux sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes qui combattent la répression et la récupération jusqu’au bout. Nos pensées vont à celles/ceux qui défendent la terre, de l’est à l’ouest, à tou.te.s ceux/celles qui font face à la répression pour Standing Rock, les révoltés de la prison de Vaughn et tou.te.s celles/ceux qui prennent des risques pour résister aux multiples formes d’exploitation et d’oppression.

Contre les riches et le système qui leur permet de nous commander.

Deux anarchistes de Hamilton

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Pour écrire à Cedar (qui lit parfaitement le français) :

Peter (Cedar) Hopperton
Hamilton-Wentworth Detention Centre
165 Barton St East
Hamilton ON
L8L 2W6 – Canada

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