Grèce : Texte de l’anarchiste emprisonné Nikos Romanos à propos de la décision du tribunal sur le cas des « terroristes individuels ».

Act for Freedom Now ! / lundi 2 avril 2018

Hier, le cycle de nos procès criminels s’est terminé : l’État nous a condamné à des douzaines d’années d’emprisonnement en tant que « terroristes individuels », avec des éléments et pour des accusations qui seraient banales dans une cour officielle qui statue sous les lois criminelles ordinaires.

La décision qu’a prise la cour hier est un moment décisif pour les procès politiques et les nouveaux liens qui sont établis sur la carte de la répression pénale contre le mouvement anarchiste.

Ils ont réclamé l’arme légale de l’État, l’instrument du « terrorisme individuel », qui n’est rien de moins que la criminalisation de l’identité politique anarchiste, en tant que preuve suffisante pour condamner des combattant.e.s sous la loi antiterroriste (187A du Code pénal). Même si un.e compa a été acquitté.e de façon irrévocable quant à sa participation à une organisation, comme c’est notre cas [Nikos et d’autres compagnons arrêtés lors du braquage de Velvento, Kozani ont été accusés de faire partie de la Conspiration des Cellules de Feu, participation qu’ils ont nié, sans pourtant jamais prendre distance avec les compagnon.ne.s de la CCF ; NdAtt.], son identité politique peut être la raison de sa condamnation pour l’article 187A, comme cela a été dit à de nombreuses reprises de la bouche du Procureur Apostolaki : « ils sont anarchistes, du coup leurs actes sont terroristes », « ils n’ont pas changé leurs idées, donc leurs actions ne peuvent pas être caractérisées différemment ». Au même moment, un nouveau terrain amélioré d’utilisation de l’article 187A est crée, permettant qu’une action anarchiste qui dépasse les bornes de la légalité soit décrite comme « terrorisme individuel », augmentant la longueur des sentences et le temps passé en prison.

Mon propre exemple est caractéristique : tandis que pour l’expropriation de la banque de Velvento, Kozani, j’ai été condamné à 11 ans de prison, sans l’inculpation pour l’article 187A, pour quelques cartouches et trois incendies j’ai été condamné à 18 ans d’emprisonnement ; or c’est évident même pour un étudiant de première année de droit que ces derniers actes ont une prégnance criminelle moins importante que l’expropriation à main armée d’une banque. Du coup, je serais sorti de taule depuis un certain temps, mais pour la simple raison d’être entré en taule, j’y suis maintenu, avec des condamnations à des dizaines d’années sur les épaules, fondées sur l’innovation répressive du « terrorisme individuel », qui est appliqué pour la première fois contre des prisonniers anarchistes.

Bien sûr, ce fait n’est pas une découverte anodine, ni une présentation victimisants de la réalité ; il s’agit de la meilleure preuve que les anarchistes sont une vraie menace pour le système, y compris lors des moments de revers pour le mouvement anarchiste. Parce que, en effet, les condamnations de hier n’ont été rien de moins que la condamnation de l’identité anarchiste. La condamnation de la défense politique de nos actions et de nos choix dans des tribunaux bourgeois, la condamnation du fait que nous ne nous courbons pas pour embrasser la croix de la repentance, nous ne nous agenouillons pas devant nos oppresseurs, comme cela arrive tous les jours dans les salles de la Cour d’Appel et celles de Evelpidos [le Palais de justice d’Athènes, du nom du quartier où il s trouve ; NdAtt.], mais nous gardons nos têtes hautes face à eux.

En effet, ce que les sentences d’hier ont voulu imposer c’est un message retentissant de terreur étatique envers ceux/celles qui mènent des batailles subversives dans les rangs du mouvement anarchiste. Une tentative de répandre le poison de la peur au beau milieu de projets radicaux, afin de jeter le doute sur l’efficacité de la lutte, pour éviter que des nouveaux.elles compagnon.nes allument et diffusent la flamme de la solidarité au sein de la métropole, pour faire le tri parmi les moyens de la lutte anarchiste, entre ceux permis et ceux interdits, sur la base de la répression criminelle et l’extension de l’article 187A, qui n’est rien d’autre qu’un couteau affûté dans les mains de la police et du système judiciaire, afin qu’on devienne des trophées captifs dans le zoo des colonies pénitentiaires, qui seront là pour nous rappeler ce à quoi on peut s’attendre suite à toute tentative d’attaquer le système. En outre, cela n’est pas un hasard si, jusqu’à la condamnation, il y a eu un silence total à ce sujet de la part des médias, et dés que la décision a été rendue elle est devenue la matière de nouveaux articles, tel un rappel permanent du fait que l’État est en train de se venger sur ses opposants politiques.

Et effectivement c’est vrai que l’État et ses mécanismes d’emprisonnement gardent l’attitude la plus vindicative face à ceux/celles qui ont mis en doute sa toute-puissance. C’est aussi un fait que la sincérité amène son lot de douleur pour le cœur. Il souffre à cause des années de notre seule et unique jeunesse jetée dans la poubelle qui est la prison ; il souffre pour nos proches, qui sont en train d’endurer une guerre psychologique sans pitié et deviennent les dégâts collatéraux d’une guerre qu’ils/elle n’ont pas choisie ; il souffre pour les ami.e.s et compagnon.ne.s qui ont grandi ensemble en taule ; il souffre pour nos proches qui quittent les salles du tribunal avec des pas lugubres ; il souffre pour ceux/celles qui pleurent, sentant la rage les étrangler. Mais c’est vrai aussi que cette douleur ne pourra jamais être comparée avec la douleur d’une vie qui s’étouffe dans l’apathie, l’indifférence et le petit intérêt personnel. Ceux et celles pour qui le fait de renvoyer leurs crimes à l’État et au capital n’a jamais été un choix réaliste.

La douleur que l’État et le capitalisme distribuent généreusement dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les camps de concentration et les camps pour réfugiés, le long des frontières de terre et de mer, dans les usines de l’Occident civilisé et dans les usines-abattoirs édifiées par les monopoles multinationaux dans les pays du Tiers monde, afin d’augmenter leur base productive en s’appuyant sur les cadavres d’enfants, tout cela ne peut pas être vaincu en regardant ailleurs, en fermant les yeux ou avec une protestation inoffensive qui reste dans le cadre défini pour nous par le système.

La peur qui est ressentie par une personne dévouée à la lutte pour la liberté est celle qui nourrit le cœur de désobéissance et d’insurrection contre l’État et ses serviteurs. Ce sont les personnes qui élaborent les théories radicales, qui deviennent des complices dans la formation historique d’événements subversifs ; c’est le nœud dans l’estomac quand ils/elles se trouvent, un livre à la main, en train d’étudier les comptes-rendus des expériences historiques passées, des compagnon.ne.s qui, de par leur action, ont contribué à notre cause commune, apportant leur pierre au développement de l’histoire révolutionnaire.

À l’opposé, la douleur d’une vie noyée dans les compromis et dans l’apathie c’est une douleur existentielle, c’est la douleur d’une vie nouvelle qui a appris à obéir aux ordres, à être discipliné face aux puissants, à être indifférent à l’oppression et à l’exploitation des autres tant que ça ne nous touche pas, c’est la douleur des personnes qui ont subi des dégâts psychologiques, l’homogénéisation qui se cache derrière les normes sociales produites, l’individualisation diffuse, c’est la douleur du vide existentiel, qui était caché, à l’époque de la prospérité capitaliste, par les locations de voitures, par l’achat d’un nouveau aménagement d’intérieur, par du divertissement à bon marché, et qui reste maintenant coincée dans les files à Pôle emploi, dans les repas pour pauvres fournis par les églises, dans le choix d’accepter ces conditions au lieu d’organiser une résistance pour les renverser.

Par conséquent, peu importe combien de fois nous pourrions revenir en arrière dans le temps, nos cœurs choisiraient encore de marcher à travers la sauvage et inouïe beauté du combat anarchiste, sur les chemins du conflit avec le pouvoir dans toutes ses formes, dans tous ces moments où la classe meurtrière d’un monde civilisé est dérangée par les esclaves insurgés, par ceux/celles qui refusent d’être des esclaves, par les combattants qui portent en eux/elles la flamme de la liberté.

Les anarchistes sont fier.e.s et toutes ces personnes mesquines et méprisables tel Ganiatsos, Apostolakis, Mouzakis [des magistrats ; NdAtt.] et leurs semblables, qui délirent de nous anéantir, peuvent inventer des nouvelles terminologies légales, construire des accusations, détourner même le Code pénal, dans leur fureur envers ceux/celles qui sont devant eux.

Le mouvement anarchiste a perdu de son sang et a prouvé, dans sa longue histoire, qu’il cherchera avec persévérance et persistance les façons de répondre à ceux qui organisent systématiquement son extermination. La responsabilité pour ce coup judiciaire appartient à de nombreuses personnes qui s’attribuent individuellement leur propre contribution. Depuis la responsabilité politique du gouvernement de Syriza, qui fait appel aux lois antiterroriste et à une sensibilité sélective selon les cas où il pourrait y avoir un intérêt politique ; aux bouches cousues du « mouvement » ou des « droit-de-l’hommistes », qui cherchent des solutions pour changer l’agenda politique actuel; aux noms de ceux/celles impliqués dans un coup d’État d’un type particulier ; jusqu’aux unités antiterroristes et aux enquêteurs qui ont fabriqué les preuves et construit les accusations avec la finalité de notre extermination légale.

Une articulation du pouvoir qui, en dépit de ses conflits internes, trouve un terrain d’action commun faisant face à l’ « ennemi intérieur » et le combattant avec tous les moyens disponibles.

S’il y a une chose de sûre, c’est que ce coup judiciaire d’un type particulier ne sera pas oublié, mais il sera un tremplin pour lutter contre les politiques antiterroristes, les procès terroristes actuels et le régime d’exception à l’encontre des prisonniers politiques. Les noms de Ganiatsos, Mouzakis, Apostolakis et de tous les autres seront gravés dans la mémoire de tou.te.s ceux/celles qui luttent avec dévouement pour l’anarchie et la liberté et les pieds du mouvement s’assureront de frapper les sièges sous leurs culs, les faisant tomber de leurs piédestal d’arrogance et de vengeance, dans le discrédit et la stigmatisation. Là le faux idole du dieu recouvert de sang que ces gens adorent les verra tomber.

Pour terminer, on peut tranquillement dire que les condamnations infligées par l’État et ses larbins ne nous font pas fléchir ni nous terrorisent, ni nous ni les compas qui sont en train de combattre pour notre cause commune. L’anarchie dans nos cœurs continuera à brûler jusqu’à brûler les derniers restes de ce vieux monde qui génère toute cette laideur technocratique qui couvre chaque centimètre de la planète. Jusqu’à ce jour merveilleux quand les compas, libres et prisonniers, auront un sourire de satisfaction pour le dernier acte de notre combat, imprimé en chaque geste, la lutte continue et elle continuera contre les architectes de tous les petits et grands coups contre nos vies.

Force et solidarité à tou.te.s ces compagnon.ne.s qui nous soutiennent, chacun.e à sa façon.

L’anarchie vaincra…
tout continue !

Prison de Korydallos (Athènes), le 27 mars 2018
Nikos Romanos

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