Toulouse – Un bel exemple de dissociation : le cas de l’Obs !

IAATA (légèrement retouché le 9 mars) / lundi 7 mars 2022

Le squat de l’Obs (87-89, rue du 10 Avril) à Toulouse sera expulsable à la fin de la trêve hivernale prochaine.

Entre le moment de la première visite de l’huissier au printemps 2021 et maintenant, un noyau de personnes impliquées de diverses manières dans le lieu a défendu un certain positionnement et des pratiques qu’il nous a semblé important d’expliciter, d’analyser et de critiquer. Dans la suite du texte, on appellera ce groupe «l’Obs» par facilité, en se doutant bien que ça ne regroupe pas toustes les habitant.e.s ni les personnes qui utilisent l’espace. Cette dynamique constitue une attaque contre les pratiques de solidarité et de lutte que nous défendons.

La méthode, rodée, n’est pas une nouveauté mais constitue un bon cas d’école pour comprendre en quoi consiste la dissociation. C’est aussi un exemple de stratégie opportuniste de collaboration avec l’État et le système, tout en récupérant une histoire plurielle de luttes pour la passer sous silence, le tout agrémenté de pratiques autoritaires dans toute leur splendeur.

Un bel exemple de dissociation !

La stratégie adoptée pour « défendre l’Obs » recouvre différents aspects comme par exemple donner des interviews à des médias bourgeois (Têtu, France 3, etc.). L’article de France 3 cite les habitant.e.s pour titrer: « on ne vole la maison de personne ». Les habitant.e.s se défendent en disant que la maison appartient à l’État, et qu’il n’y a aucun projet d’urbanisme prévu [1].

Ce discours se dissocie des squats de biens privés ou sur lesquels est invoqué un projet immobilier quelconque. Par exemple celles et ceux qui ont été accusé.e.s par France 3 de « voler des maisons »: les habitant.e.s de chez Roland qui ont eu le culot de squatter une maison à l’abandon depuis des années, ou les occupant.e.s du 112, route de Launaguet qui ont eu le toupet de s’installer dans la baraque vide d’un bourgeois.

Pour notre part, les vols contre lesquels on s’élève sont la propriété privée -qui implique de capter une rente sur le dos des locataires- et l’exploitation salariale.

Tenir ce genre de discours est d’autant plus écœurant dans le contexte de forte répression en 2021 :
– application de la nouvelle loi Asap donnant lieu à des expulsions immédiates
– offensive des médias locaux et nationaux appelant des collectifs de personnes (dont certains fachos notoires) à faire le pied de grue devant des squats, harceler et agresser des habitant.e.s et leurs soutiens
– proprios violents qui expulsent manu militari des occupant.e.s
– expulsion de nombreux camps sur la ville
– offensive politicienne prônant la fin d’un prétendu laxisme des autorités vis à vis des occupations…

Tout cela, le collectif de l’Obs n’en fait nullement mention, et ne [se] solidarise d’aucune façon [avec les squats victimes de ces politiques].

Aussi, pour asseoir leur légitimité à occuper la maison, les personnes interviewées vendent une image responsable en se vantant de payer leurs factures et entretenir la maison. A ce prix là, c’est considérer qu’il est juste que les squatteur.e.s qui ne feraient pas de même se fassent virer.

Une stratégie opportuniste et de collaboration avec l’État!

Et justement pour garder l’Obs, il est fait appel à la mobilisation générale, on se moque pas mal de la provenance du soutien tant qu’il permet de conserver la maison. Aucune base politique n’est posée. Du coup, même la droite réactionnaire de Jean Luc Moudenc (qui a participé fièrement à la Manif pour tous) a été appelée à l’aide par le biais de Fella Allal, conseillère municipale, et Audrey Hernandez, responsable à la mairie. Cette même municipalité fait du lobbying en faveur d’un projet de loi qui permettrait aux maires de pouvoir enclencher une procédure d’expulsion à la place des propriétaires qui seraient jugés défaillants.

Quand bien même la mairie serait «de gauche et pro-squat», jouer le jeu du pouvoir et de ces institutions c’est reconnaître ceux qui nous dominent et nous écrasent la gueule en permanence comme des interlocuteurs valables, comme des défenseurs voire comme des camarades de lutte.

C’est oublier (volontairement ?) que c’est à cause du capitalisme et de son plus fidèle défenseur, l’État, que les gens triment pour pouvoir payer un loyer ou se mangent la répression pour avoir ouvert un squat, habiter dans un camp, ne pas avoir eu les bons papiers…

L’État a entre autres pour fonction de protéger la propriété privée sans laquelle ce monde dégueulasse de possession et d’accumulation ne pourrait fonctionner. En cela, il ne devrait jamais être un allié mais un ennemi avec lequel une ligne claire devrait toujours être tracée.

Aussi, en négociant avec l’État et en demandant une convention, l’Obs se démarque des autres squatteur.e.s qui ne pourraient et surtout qui ne voudraient pas faire de même, ce qui permet au pouvoir de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Entre des occupant.e.s qui seraient jugé.e.s responsables, avec qui l’on pourrait discuter, voire pourquoi pas légaliser et financer leurs projets et les autres qu’il faut expulser le plus rapidement possible.

C’est la proposition que fait un autre soutien de l’Obs, Thomas Couderette du collectif Cedis. Au sujet de l’histoire de Roland, il appelle à faire le tri entre des migrants précaires qui seraient selon lui légitimes à squatter et «des Français avec des positions politiques très arrêtées» sans montrer le moindre signe de solidarité avec les occupant.e.s. Pire, il apporte même sa sympathie aux propriétaires de maisons squattées qui selon lui subiraient des «injustices» et des «violences» [2].

Le Cedis et les autres associations auxquelles l’Obs demande le soutien sont des rouages essentiels dans la machinerie de ce monde, et cogèrent le système avec les représentants du pouvoir. Ils ne remettent pas en question le capitalisme et l’État, mais émettent des critiques à la marge et se placent comme les acteurs (souvent rémunérés) qui peuvent apporter des solutions aux maux de la société. Pour nous, ces collectifs ne devraient jamais faire partie d’une lutte, au même titre que des politiciens ou des patrons.

Cerise sur le gâteau, c’est sur France 3 que l’Obs fait campagne. Tout comme La Dépêche (qui est à la pointe de cette campagne de défense de la propriété – par exemple en faisant un article à gerber d’un squat expulsé à Blagnac [3]), France 3 est un média qui a relayé les discours antisquat des propriétaires, a appelé à la vindicte contre des maisons squattées et a diffusé les adresses et photos de celles-ci [4].

« On ne vole la maison de personne », juste l’histoire plurielle des luttes !

L’accent est mis sur l’habitation et l’hébergement alors que l’Obs a été bien plus que ça au long de ses vingt ans: un espace de lutte, d’organisation, de rencontres, de contestation sociale, de fête… Dans les articles de France 3 et Têtu, tout aspect qui porterait une miette de contestation est gommé. En évitant toute mention du passé combatif de ce lieu, les personnes qui s’expriment effacent une partie de son histoire, et écartent celles et ceux qui ne veulent pas rentrer dans un profil victimaire. Ceci aide à corroborer l’image d’interlocuteur.ices qui pourrait co-gérer la misère avec les institutions.

Des pratiques autoritaires !

Le groupe qui à l’heure actuelle gère la défense du lieu a dès le lancement de la procédure tenu à garder tout pouvoir dans les décisions prises quant à l’orientation politique et les choix de défense. Une période de rétention d’information, suivie d’une volonté évidente de saper toute possibilité de s’organiser de manière collective sur des bases qui n’étaient pas les leurs.

La forme important peu, il est fondamental de souligner que la pierre angulaire de leurs techniques de prise de pouvoir est l’usage systématique d’arguments d’autorité pour justifier leurs positions et leurs méthodes: iels n’utilisent pas d’autres arguments que leur identité (queer, racisé.e) pour valider leurs décisions.

La stratégie de collaboration avec le pouvoir en comptant sur l’indignation de la social-démocratie a aussi été défendue en instrumentalisant la question des « habitant.e.s premier.e.s concerné.e.s » ce qui a systématiquement permis de poser des vétos sur toute autre volonté qui ne rentrait pas dans ce cadre. Pour justifier un manque total de transparence et d’argumentation quant aux orientations qui ont été prises, le motif de « la survie » a été invoqué pour refuser de s’expliquer. On passe ici un cap presque grotesque, comme si critiquer la position de quelqu’un revenait à nier sa souffrance. N’importe qui risquant de se faire expulser de son logement est dans une situation difficile, il n’est pas question ici de remettre cela en doute. Mais des choix politiques ont été faits et doivent être assumés.

En conclusion, il est important de dire que partout ces pratiques qui pourrissent les luttes sont à combattre: face à l’État, à la justice, aux proprios et aux expulseurs, on a plutôt intérêt à se serrer les coudes. Plutôt que de piétiner les autres avec l’illusion de sauver sa peau, restons solidaires dans les mots comme dans les actes et réfléchissons à des pratiques qui nous renforcent collectivement.

 

Notes:
[1] Voir sur le site de France 3.
[2] Voir sur le site de La Dépêche.
[3] Voir sur le site de France 3.
[4] Aussi sur le site de France 3.

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