Prison de S. Maria Capua Vetere (Italie) : Une lettre de Natascia sur sa grève de la faim

Malacoda / lundi 21 juin 2021

Heureusement qu’en Campanie on mange bien !

17 juin 2021

Salut les gars !
Voici deux mots de mise à jour, vite fait.

Sans perdre une minute, la nuit après la dernière audience préliminaire de l’opération Scintilla, on m’a embarquée sur un avion pour me renvoyer dans cet endroit de merde : S. Maria Capua Vetere. Je savais que mon transfert dans l’Italie du Nord n’était que temporaire, mais je pensais sincèrement que j’aurais eu un peu plus temps et j’espérais, naïvement, qu’ils auraient au moins lu les différentes demandes que moi et mon avocat avons présentées, pour que je sois envoyée dans une autre taule.

Depuis le jour où on m’a transférée ici, il y a trois mois, je n’ai plus eu la possibilité de communiquer dignement avec mon avocat ; maintenant il y a à nouveau la possibilité de faire des parloirs, du coup il n’y a plus d’appels visio, ni d’appels sur la demande de l’avocat ; il y a un appel par mois, de 10 minutes, même pour les personnes qui sont inculpées dans un procès, même pour les personnes qui sont à 1000 km de chez elles ou du lieu de leur procès. Le directeur peut concéder, s’il est d’humeur, un deuxième appel, extraordinaire, au cours du mois, mais, bien entendu, il n’est pas obligé de le faire et, en tout cas, il est hors de question de dépasser les deux appels par mois. Vingt minutes par mois, dans une petite pièce étouffante, à l’heure et le jour établis, en espérant que ton avocat soit au bureau ce jour-là. Vingt minutes par mois, à partir d’un mois et demi avant le début du procès et jusqu’à aujourd’hui, quand le débat au tribunal est essentiellement clos. Il ne reste plus que deux audiences avant le réquisitoire, deux audiences au cours desquelles on aurait dû raisonner à propos des déclarations des inculpés, de l’examen et du contre-examen, mais apparemment il me faudra raisonner toute seule. Si j’étais mauvaise langue, je dirais qu’il semble qu’on fasse le possible pour m’empêcher une défense « digne »… même, pour m’empêcher toute défense… il ne faut surtout pas que le grandiloquent et un peu morbide château de cartes de l’accusation perde de pièces. C’est bien mieux si cette possibilité, ma défense au tribunal, est réduite au minimum. Je ne vais pas m’étendre ici sur le fait que le procès en visioconférence se marie parfaitement avec cette stratégie, quelque chose dont on a déjà beaucoup (même si peut-être pas assez) discuté. On le sait, en étant mauvaise langue, souvent on devine. Parmi les 20 jours que j’ai passé à la taule de Vigevano, j’ai été 15 jours en isolement sanitaire et un au tribunal, deux autres à préparer mes affaires, entre allée et retour… bref, cela non plus n’a pas été une occasion pour parler avec mon avocat, étant donné que les personnes en isolement ne peuvent pas faire de parloirs. Inutile d’ajouter qu’en ce moment je suis à nouveau en quarantaine.

Bref, trêve de bavardages, je suis lucidement consciente de la stratégie punitive (et préventive ?) que l’Administration pénitentiaire met en place à mon encontre et au même temps je suis prise par la rage et le dégoût, du coup j’ai décidé que, même si je n’ai pas de moyens pour m’opposer concrètement à leurs logiques de vengeance, j’ai au moins la possibilité de ne pas leur laisser faire avec ma collaboration. Quand j’ai appris de mon retour à S. Maria Capua Vetere, le 16 juin à 18h, j’ai immédiatement communiqué le début d’une grève de la faim de durée indéterminée. Je sais que certaines décisions n’appartiennent pas à la direction de la prison, mais je ne vais plus rien manger dans cet endroit de merde. Dommage, parce que les autres femmes enfermées ici font des pizzas superbes… mais je n’ai vraiment plus faim !
A ce jour, aucun médecin ne m’a visitée ni pesée.
Les autres femmes qui sont ici pensent que c’est une bêtise, un signe d’obstination de ma part, d’ailleurs ici il y a des personnes qui risquent des condamnations à PERPÉTUITÉ et qui s’adaptent à ces conditions… mais ça c’est une autre histoire.
Je sais que certains d’entre vous n’ont jamais arrêté de réfléchir aux questions de l’isolement et de la dispersion des prisonniers loin de chez eux… je suis désolée de ne pas pouvoir fournir des nouvelles approches ou des idées « innovantes », mais en ce moment, ayant décidé de façon instinctive de me lancer dans ce nouveau défi, je n’ai pas réussi à penser à rien de mieux qu’à utiliser à nouveau mon corps, en jeûnant.

Je vous ai écrit ces quelques mots d’un trait, dans le même état d’âme qui m’a envahie en voyant à nouveau ces murs de merde : un dégoût absolu.
J’espère de ne pas avoir été trop confuse.

Je vous donne l’accolade, à tout le monde, avec beaucoup de force !
Le ventre vide et la tête haute,
Salud y Anarquia,

Nat

P.S. : une petite remarque quant au tract d’appel pour le rassemblement du 13 juin à Vigevano. Pour mal qu’on puisse se trouver dans une section AS3, où les conditions sont punitives, je ne ferais pas de comparaisons avec le régime 41bis, pour respect avec les personnes qui y sont vraiment soumises. A mon avis, ce parallèle était un peu déplacé. J’espère que personne ne s’offusque de ma remarque et en tout cas, ça a été très beau de vous entendre !

 

Pour lui écrire :
Natascia Savio
C.C. “F. Uccella”
S.S. Appia 7 bis, km 6,500
81055 – Santa Maria Capua Vetere (Italie)
(elle parle aussi français)

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