Chili : Lettre depuis la taule du compagnon Joaquín García Chanks (janvier 2017)

Instinto Salvaje / samedi 11 février 2017

Cinq mois déjà ont passé depuis que je suis revenu dans les cellules de la Section de Très Haute Sécurité du CAS, et je crois qu’il faut que je parle autant des choses personnelles que de la situation carcérale. Si je n’ai pas écrit avant c’est évidemment pour des raisons personnelles ; mais c’est particulièrement du au fait que – bien que je sois convaincu que partager des expériences crée des liens inestimables – la plateforme virtuelle, avec son ensemble de communiqués, s’éloigne beaucoup de la réalité et ressemble à une idée abstraite du quotidien carcéral et individuel. Irréductible ? Oui, qu’il y ait ou non des hauts et des bas émotionnels, ni la conviction ni l’esprit ne faiblissent, mais il faut arrêter avec cette idée répugnante du martyr de fer derrière les barreaux. Pour le suicide de l’image et du fétiche, pour la vraie complicité destructrice !

« Le pessimisme est l’opium des intellectuels, l’optimisme appartient aux imbéciles. Un réalisme fanatique et rêveur, la conscience que nous n’avons pas notre place dans ce monde, les valeurs que nous défendrons à chaque instant, plus la chaleur complice de ceux que nous aimons et apprécions ».

Il y a 5 mois, au sujet de mon arrestation :

Le 7 septembre, vers 17h, et après deux mois de violation de l’assignation à résidence décidée par la justice, ils m’ont arrêté en montant d’un bus dans la campagne qui allait quelque part.
Je monte, je dis bonjour au chauffeur, j’avance, un mètre, une main sur mon torse, « descend », « mains au dessus de la tête », par terre, la tête au sol, je regarde à gauche la mer, sa brise, son odeur de terre et de végétation ; un bref instant mais avec une conscience absolue de ce que je perdais, remplacé maintenant par une odeur de parfum d’intérieur et de chlore, la veste jaune et la subtile mais écœurante odeur de salive de la cellule. Bien que ça me touche personnellement, la détention n’a rien eu de spectaculaire et je n’écrirais pas là-dessus si je ne voulais pas clarifier un point : la propagande des journalistes au sujet d’un soi disant « contrôle préventif », comme s’il s’agissait d’un hasard ! L’obsession maladive pour la surveillance et le contrôle doivent se renforcer constamment chez le citoyen paranoïaque, et quel meilleur moment que la capture du « terroriste en fuite » !

Est-ce que ça valait la peine ? Il m’est impossible de répondre par un simple « oui », parfois si sec, vide et prétentieux, car il y a beaucoup de choses à peser sur la balance. Mais il est indéniable que chaque expérience en quête de liberté en vaut la peine ; prendre en charge l’existence avec toutes ses victoires, ses défaites, ses joies et ses peines, ce sont ces expériences inestimables que la personne soumise ne pourra jamais connaître. Il ne s’agit pas de se demander si ça valait la peine d’essayer, car penser de cette façon me condamnerait à être un éternel perdant, et ce qui compte c’est le premier pas vers toute action, celui qui – peut-être plus théoriquement que concrètement – sera toujours une avancée.

« La plume et le pistolet sont faits du même métal, la nouvelle guérilla urbaine dépend bien moins des moyens opérationnels que de notre décision d’attaquer le pouvoir. »

Eco-extrêmisme et Anarchie

Je partage les mots exprimés par les compagnons de la Cellule Révolutionnaire Paulino Scarfó / FAI-FRI, l’attaque a une morale et celle-ci répond, à l’évidence, au code de valeurs et objectifs que pose chaque cellule révolutionnaire, ses raisons d’agir et la contribution au développement des théories et pratiques antagonistes. De ce point de vue je pense que la critique vers d’autres courants ne peut pas se faire par la comparaison, et je me réfère spécialement à l’éco-extrêmisme, car il existe aujourd’hui une tendance, au mieux un peu méfiante envers ce courant car ils ont trahi ce qu’ils étaient au début et ont dépassé la limite de « ce que nous ne ferons jamais ». Et en fait il importe peu de connaître l’origine de ce courant et des individus qui le compose, mais c’est très important de s’inquiéter de ce qui se passe maintenant et d’assumer qu’il y a un désaccord irréconciliable entre les différentes pensées (objectifs, raison, valeurs). Je veux préciser que je ne fais pas référence à ce que chaque individu peut faire de sa vie ou de sa façon d’articuler idées et objectifs pratiques, je ne peux pas parler ici des « devoirs » inexistants d’une idée inamovible. Si j’écris cela c’est, en toute franchise, de façon générale. Tant qu’il y aura une critique paternaliste, il y aura une accusation, avec raison, de purisme. En conclure, à partir de ce que je viens de dire, que les critiques doivent être supprimées de nos expressions est une erreur. La critique, comme principe essentiel de toute pensée et action révolutionnaire doit être sévère et constante. J’analyse, je critique, je prends position et j’avance, pour l’évolution de la conscience individuelle et collective.

En guise de parenthèse : il est très clair pour moi que lorsqu’on parle de morale et de valeurs il y en a plus d’un qui ont mal au ventre, surtout les experts en rhétorique, ceux qui éliminent des mots de leur vocabulaire pour terminer par je ne sais quel postulat Négateur, et ainsi ne pas perdre des points de nihilisme [1]. Donc pour clarifier cela, que je reconnaisse l’existence de valeurs et d’une morale ne veut pas dire que celles-ci sont gravées dans le marbre, car elles sont sujettes aux remises en question. Et s’il existe des piliers dans ma pensée et mes sentiments c’est parce que j’en ai fait le choix.

En parlant de conjoncture, j’applaudis l’attaque contre Óscar Landerretche [2], comme objectif symbolique et pratique. J’admire et je salue [3] l’énergie de tous ceux qui portent leurs idées et anéantissent la léthargie de la paix sociale. Ceux qui réclament une offensive imminente étatique doivent se remettre en question ; les stratégies existent, c’est évident, mais attendre une quelconque compassion de la part du Pouvoir c’est ne pas assumer les coûts de la confrontation. Je déteste particulièrement le discours éco-extrêmiste [4], et je me distancie complètement de leurs motifs, leur mysticisme et les apologies de personnifications absurdes. Refuser le concept de masse et ses valeurs est tout à fait logique et conséquent, mais assumer comme siennes toutes les valeurs contre-hégémoniques est stupide.

J’aurais beau me distancier d’ITS du Chili, je ressentirai toujours de la rage en lisant la merde de la presse officielle, « alternative » et « de gauche ». Sans prétendre apprécier la masse, ni attendre l’approbation de personne : feu à la lâcheté et à la diffamation.

« Celui qui ne veut pas voir la hauteur d’un homme, regarde, avec d’autant plus de pénétration, ce qui est vulgaire et superficiel on lui — et par là se trahit lui-même. » Friedrich Nietzsche.

Vive cette combinaison bizarre anarco-nihiliste !
La praxis nihiliste est bienvenue si elle se heurte à l’anarchie.

Joaquín García Chanks
C.A.S – S.M.S
Fin janvier 2017

Notes :
1. isme, suffixe interdit.
2. tranquilles, je sais que vous vous en foutez.
3. [NdT] En janvier 2017 un groupe se revendiquant d’ITS et signant « Horde Mystique de la forêt » a envoyé un paquet piégé chez Óscar Landerretche, patron de l’entreprise nationale chilienne de cuivre CODELCO, qui produit le plus de cuivre au monde. ITS a pris soin de préciser dans le communiqué qu’ils ne sont pas anarchistes, et ils ont aussi écrit un autre communiqué pour répondre à la presse, et à la lettre de Joaquin ci-dessus, profitant de l’occasion pour écrire les désormais récurrents « vive nos ancêtres et leurs esprits païens », « vive la mafia internationale », « la Nature Sauvage est notre autorité », et j’en passe.
4. voire note 2.

*****

NdAtt. : Joaquín est actuellement sous procès, avec un autre compagnon, Kevin, pour le placement de l’engin explosif contre un commissariat de Santiago.

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