Chili : En revendiquant sa responsabilité

Contra Info / mercredi 22 décembre 2021

En revendiquant sa responsabilité. Des extraits de la déposition du compagnon anarchiste Francisco Solar

Voici quelques extraits de la déclaration faite devant le juge par le compagnon anarchiste Fracisco Solar, qui revendique l’envoi des colis piégés au 54ème commissariat et à Rodrigo Hinzpeter, ancien ministre de l’Intérieur, en juillet 2019, action revendiquée par Cómplices sediciosos/Fracción por la Venganza [Complices séditieux /Fraction pour la Vengeance ; NdAtt.], ainsi que la double attaque près du bâtiment Tánica, le 27 février 2020, au beau milieu de la révolte ; une action, cette dernière, revendiquée par Afinidades Armadas en Revuelta [Affinités Armées en Révolte ; NdAtt.].

(…) En novembre 2017, notre idée était de nous éloigner des grandes villes, notamment de Santiago, à cause de son mode de vie frénétique, et de construire un projet autosuffisant. Même si j’ai opté pour ce mode de vie, je n’ai jamais arrêté de penser que la façon la plus approprié de lutter contre un système écrasant, fondé sur l’autorité et la prédation, est l’action violente révolutionnaire. Seulement à partir de là, il est possible de parvenir à des moments de déstabilisation qui, même s’ils ne sont que des instants fugaces, révèlent la vulnérabilité du pouvoir.

Au milieu de l’année 2018, j’ai décidé d’entamer ce type d’actions. (…) Une fois que j’ai pris cette décision, j’ai commencé à réfléchir à un objectif, c’était clair que si je devais prendre un risque important, l’action à mener devait être puissante. J’ai pensé à effectuer une action qui soit une réponse, une vengeance contre des personnes liées à la répression et au pouvoir patronal. Ces deux caractéristiques étaient pleinement satisfaites par Rodrigo Hinzpeter, qui était, en 2019, directeur du groupe Quiñenco, dont le président est Andronico Luksc ; avant, Hinzpeter avait été ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement Piñera et il a laissé une traînée de répression qui sera difficile à oublier. Il a durement réprimé les mobilisations sociales et étudiantes, dans le but de faire passer une loi caractérisée par des interdictions de toutes sortes, connue comme Loi Hinzpeter. En tant que ministre de l’Intérieur, il a été le responsable politique de l’assassinat du jeune Manuel Gutiérrez [lycéen de 16 ans, assassiné par les flics lors des manifestions étudiantes d’août 2012 ; NdAtt.], il a violemment réprimé les mobilisations sociales d’Aysén et de Freirina, il a militarisé le territoire mapuche, ce qui a provoqué des centaines de blessés, dont de nombreux enfants, et d’innombrables prisonniers.

En août 2010, nous avons fait l’objet, moi-même et treize autres personnes, des délires répressifs de Hinzpeter, qui, dans ses efforts pour en finir avec les attaques à la bombe qui avaient lieu depuis 2005, notamment dans le secteur est de la capitale, nous a emprisonnés, en inventant des preuves, en engageant des prisonniers disposés à corroborer l’hypothèse du parquet, hypothèse qui faisait référence à l’existence d’une association de malfaiteurs terroriste.

C’est pour ces raisons que j’ai décidé d’attaquer Hinzpeter, car je trouvais qu’il représentait un objectif tout à fait légitime. J’ai commencé à faire des recherches sur Hinzpeter (…) je suis allé regarder le bâtiment Itaú, pour voir le flux de personnes, celles qui entraient et qui sortaient ; j’ai essayé d’accéder au 14ème étage, où se trouvaient les bureaux du groupe Quiñenco, mais je n’ai pas pu le faire, à cause des stricts contrôles à l’entrée (…) du coup j’ai pensé que le mieux serait d’envoyer un colis explosif adressé au bureau de Rodrigo Hinzpeter, pour être sûr que ce soit lui qui ouvre le paquet.

A ce point, il est important de souligner que les attaques indiscriminées n’ont jamais fait partie de la pratique anarchiste, nos objectifs sont clairement définis et visent les responsables de l’oppression et de la répression. Puisque mon intention était d’effectuer une action éclatante (…) j’ai décidé d’utiliser de la dynamite.

Pendant l’année 2018 et le début de 2019, le contexte était marqué par la brutalité de la police à l’encontre des lycéens et étudiants qui manifestaient contre la Ley Aula Segura [loi sur la sécurité dans les lycées et les universités ; NdAtt.] et pur différentes requêtes. C’était courant de voir des images de Carabineros qui frappant tous les étudiants qu’ils croisaient, les faisant même sortir de leurs salles de classe pour les emmener dans des commissariats. Il est important de noter que cette lutte contre la Ley Aula Segura a été l’antécédent direct de l’appel à la fraude des transports en commun, lancé par des étudiants face à l’augmentation des tickets du métro, qui a été le déclencheur de la révolte commencée le 18 octobre.

Peut-être que sans la persévérance des étudiants et lycéens, rien n’aurait eu lieu, de ce qui s’est passé à partir de cette date ; du coup j’ai décidé de répondre à cette brutalité policière en attaquant les Carabineros dans leurs propres locaux ; mon idée était de les attaquer en tant qu’institution, pour ce qu’ils représentent, pour leur histoire de sang, de torture et de mort. J’ai décidé d’attaquer le 54ème commissariat de Huechuraba, comme geste de vengeance pour le meurtre, en septembre 1998, de la compagnonne Claudia López.

Bien qu’il soit clair pour moi que les fonctionnaires qui travaillaient dans ce commissariat en 2019 n’étaient pas ceux qui ont assassiné la compagnonne, c’est ce lieu qui a servi de centre des opérations à l’époque et il continue a en être de même lors de chaque journée de protestation. Avec mon action, j’ai voulu donner un signe de réponse : on n’oublie rien ni personne.

Mon intention était de ne blesser qu’un seul carabinier, le plus haut gradé : c’était le major Manuel Guzmán ; étant donné que mon intention était de ne blesser qu’un seul carabinier, l’explosif ne devait pas être très puissant, du coup j’ai utilisé de la poudre noire dans un tube de plomberie en acier.

Le but de cette action, donner une réponse et aux attaques des Carabineros et à celles d’un ancien ministre de l’Intérieur connu pour son visage répressif et devenu par la suite directeur d’un groupe économique qui possède pratiquement tout le Chili, a été pleinement atteint.

(…)

Par rapport au dénommé « fait n° 2 » (Tánica), je peux signaler, pour contextualiser. Pendant les derniers mois de 2019 et le début de 2020, la révolte commencée le 18 octobre 2019 était toujours vivante, de nombreuses manifestations se succédaient jour après jour, malgré la forte répression de la police. Le mois de mars s’approchait comme un mois clef, pendant lequel beaucoup de choses auraient pu arriver, parmi lesquelles les démissions de Piñera ; c’est dans ce contexte que j’ai décidé de contribuer à cette révolte par la collocation de deux engins explosifs.

La partie orientale de la capitale avait vu quelques manifestations, qui avaient été rejetées par les gens qui y vivent, par crainte d’être menacés et même de perdre leurs privilèges. On a pu voir des personnes qui manifestaient pacifiquement dans un centre commercial à La Dehesa [commune huppée du nord-est de la métropole de Santiago ; NdAtt.] être insultées et même agressées et on a vu aussi la manière dont l’armée et la police ont blindé ces quartiers, dans une complicité évidente entre les forces répressives et la classe des riches ; alors j’ai décidé de frapper ces secteurs, plus précisément un quartier parmi eux, le quartier de Santa María de Manquehue, où se trouve le journal El Mercurio, porte-parole historique des secteurs les plus conservateurs de ce pays. Je tiens à signaler que mon intention n’était pas de faire du mal aux gens, mais d’interrompre la normalité de ce quartier ; la preuve est que dans un premier temps j’ai pensé de placer les engins explosifs dans les toilettes du Café Kant, situé à l’intérieur de l’immeuble Tanica, mais j’ai finalement écarté cette idée, à cause du risque de blesser des personnes, et j’ai décidé de placer un engin explosif dans le jardin de la société immobilière Tánica, plus précisément sous un banc en ciment, qui amortirait l’explosion.

Cette attaque envisageait aussi un autre objectif : attaquer le GOPE [unité préposée aux opérations spéciales, dont celles de déminage ; NdAtt.] des Carabineros avec la détonation d’un autre engin explosif, placé de manière à exploser une demi-heure après le premier. (….) il exploserait au moment où le GOPE serait en train d’effectuer ses formalités administratives dans cette zone, dans le seul but de leur filer une belle trouille.

(…)

J’ai décidé d’attaquer les Carabineros parce que, en plus du fait qu’ils sont des ennemis historiques des anarchistes, à ce moment-là ils avaient déjà à leur actif des centaines de mutilations de globes oculaires. (…) J’ai décidé d’attaquer les Carabineros aussi parce qu’ils avaient torturé, tabassé et créé des centres de torture, comme celui de la station de métro Baquedano, dont l’existence est connue par tout le monde, même si la justice l’a niée.

Dès le début de la révolte, j’ai participé aux différentes mobilisations qui prenaient vie jour après jour et j’ai pu voir, à quelques mètres de moi, la façon dont des jeunes tombaient, ensanglantés par les plombs et les bombes lacrymogènes tirés par les Carabineros. C’est pourquoi la révolte a identifié les Carabineros comme l’un de ses principaux ennemis ; une attaque les visant était donc inévitable et complètement justifiée.

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