États-Unis : « Il y a ce qui est mauvais et il y a ce qui est juste »

La dernière lettre de Willem Van Spronsen

extrait de Crimethinc / dimanche 14 juillet 2019

Note d’Attaque : Le 13 juillet 2019, a Tacoma, dans l’État de Washington (nord-ouest des États-Unis), Williem Van Spronsen a incendié un car utilisé pour la déportation des sans-papiers, devant le Northwest Detention Center. Le NWDC, une des plus grandes prisons pour sans-papiers des États-Unis, avec ses presque 1600 « places », est géré par une entreprise privée (le GEO Group) pour le compte de l’ICE (« Immigration and Customs Enforcement »). La date choisie par Willem tombe à un an de la grève de la faim que les prisonniers du NWDC avaient mené en 2018. Pendant que Willem essayait d’incendier aussi un réservoir de propane, il y a eu une fusillade avec des policiers, lors de laquelle il a été tué.

Voici sa dernière lettre, écrite peu avant de passer à l’action.

« Il y a ce qui est mauvais et il y a ce qui est juste.
C’est le moment d’agir contre les forces du mal.

Le mal dit qu’une vie vaut moins qu’une autre.
Le mal dit que les flux commerciaux sont notre objectif, ici.
Le mal dit que les camps de concentration sont nécessaires, pour les personnes considérées comme inférieures.
La servante du mal dit que les camps de concentration devraient être plus humains.
Prenez garde aux réformistes.

J’ai le cœur brisé d’un père
j’ai un corps brisé
et j’ai une aversion inébranlable pour l’injustice,
ce qui fait que je me retrouve ici.
C’est mon occasion pour essayer de faire la différence, je serais un ingrat si j’attendais une invitation plus explicite.

Je suis trois maîtres :
Don Pritts, mon guide spirituel, « l’amour sans l’action n’est qu’un mot. »
John Brown, mon guide moral, « ce dont il y a besoin, c’est l’action ! »
Emma Goldman, mon guide politique, « si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre partie à votre révolution. »

Je suis un rêveur tête-en-l’air, je crois à l’amour et à la rédemption.
Je crois que nous allons gagner.
Je suis joyeusement révolutionnaire. (Il aurait fallu lire Emma Goldman à l’école, à la place des conneries chauvinistes avec lesquelles on a été nourri.e.s. Mais je m’égare)(nous devrions tou.te.s regarder les photos des héroïnes du YPJ quand on hésite et on pense que nos rêves sont impossibles, mais je m’égare encore. Arrêtez-moi.)

En ces jours, quand des nervis fascistes s’attaquent à des personnes vulnérables dans les rues, au nom de l’État ou bien soutenus et défendus par l’État,

en ces jours de camps de détention/concentration très rentables et de bataille sémantique,

en ces jours de désespoir, de poursuite vaine et de nostalgie infinie,

nous vivons une montée visible du fascisme. (je dis visible, parce que ceux/celles qui ont fait attention l’ont vu survivre et prospérer pendant des décennies, sous la protection de l’État)(voir Howard Zinn, « Une histoire populaire des États-Unis ») Maintenant celui-ci suit son agenda de façon assumée, avec la coopération ouverte et pleine du gouvernement. Des gouvernements du monde entier.

Le fascisme sert les besoins de l’État, il sert les besoins du monde des affaires et il le fait à vos dépenses. Qui en profite ? Jeff Bezos, Warren Buffett, Elon Musk, Tim Cook, Bill Gates, Betsy de Vos, George Soros, Donald Trump, est-ce que je dois continuer ? Laissez-moi le dire encore : les riches (qui pensent que vous ne valez vraiment pas beaucoup) kiffent vraiment le gouvernement (tout gouvernement, partout, y compris les gouvernements « communistes »), puisqu’il fait les lois qui font que les riches deviennent encore plus riches. Simple. Pas besoin de trop y réfléchir.
(les patriotes là derrière, vous écoutez?)

Quand j’étais enfant, dans les Pays Bas de l’après-guerre, puis en France, on m’a raconté plein de choses sur la montée du fascisme dans les années 30. Je me suis promis que je ne serai pas un de ceux/celles qui regardent ailleurs pendant que leurs voisins sont arraché.e.s de chez eux/elles et emprisonné.e.s parce que considéré.e.s de quelque façon inférieur.e.s.
Vous n’êtes pas obligé.e.s de foutre le feu à ces ordures, mais est-ce que vous allez regarder ailleurs ?

On met à la preuve ici notre fondamentale confiance dans la vraie liberté, ainsi que notre responsabilité les un.e.s envers les autres.
Ceci est un appel aussi aux patriotes, à se révolter contre cette farce qui contredit tout ce que vous avez de sacré. Je vous connais. Je sais que dans vos cœurs vous savez que votre camp est celui du déshonneur. C’est le moment aussi pour vous de vous lever contre l’argent qui tire les ficelles de chaque foutu pantin qui prétend nous représenter.

Je suis quelqu’un qui vous aime tellement, vous tou.te.s et cette sphère qui tourne, et je vais accomplir la promesse que je m’était fait enfant, d’être meilleur.

Nous voilà, avec ces camps de concentration gérés par des entreprises pour faire du fric.
Nous voilà, avec des personnes basanées et marginales qui ont peur de se montrer, craignant la police/les services de l’immigration/les Proud Boys [milices d’extrême droite aux États-Unis ; NdAtt.]/les Beckies [mot du slang américain qui indique le stéréotype de la fille superficielle, blanche; NdAtt.].
Nous voilà, avec une planète presque épuisé par la cupidité du marché.

Je suis quelqu’un qui pense en noir et blanc.
Les camps de détention son des abomination.
Je ne resterai pas à regarder.
Je n’a pas beaucoup plus à dire que cela.

Je met de côté mon cœur brisé et je me soigne de la seule façon que je connais – en étant utile.
Je compartimente efficacement ma douleur…
Et c’est avec joie que je vais me mettre à cette tâche.
(à ceux/celles qui porteront le poids de mes actes : j’espère que vous utiliserez ce poids de la meilleure façon possible)

A mes compas :
je regrette de perdre le reste de la révolution.
Je vous remercie de l’honneur d’avoir été parmi vous.

Le fait d’avoir eu l’espace pour pouvoir être utile, de sentir que j’étais en train d’accomplir mes idéaux, cela a été le sommet spirituel de ma vie.

Faire ce que je peux pour défendre mes gens, précieuses et merveilleuses, c’est une expérience trop riche pour être décrite.

Mes compas trans m’ont transformé, en renforçant ma conviction qu’on sera conduit.e.s vers un futur rêvé par celles/ceux qui aujourd’hui sont les plus marginalisé.e.s parmi nous. J’en ai rêvé de façon si claire que je n’ai pas de regret à ne pas voir comment cela se réalisera. Merci de m’avoir conduit si loin.

Je suis un antifa, je suis aux côtés des compas, partout dans le monde, qui agissent, en toute situation, pour amour de la vie. Des compas qui savent que liberté signifie la vraie liberté pour pour tou.te.s et une vie qui vaille la peine d’être vécue.

Gardez la pêche !
Tout le pouvoir au peuple !
Bella ciao

Ne laissez pas vos flics idiots gaspiller de l’argent avec des « investigations » sur mon cas. Je me suis radicalisé lors des cours d’éducation civique, à 13 ans, quand on nous a expliqué le fonctionnement des élections. Ça a été à ce moment là que j’ai compris que le status quo n’était rien d’autre qu’un château de cartes. Par la suite, des lectures me l’ont confirmé. Je vous conseille fortement de lire !

Je ne fais partie d’aucune organisation, je me suis éloigné de toute organisation qui n’est pas d’accord avec me choix tactiques.

L’arme semi-automatique que j’ai utilisé était une AR15 peu chère, assemblée à la maison et non enregistrée; j’ai six chargeurs. J’encourage fortement les compas et les futur.e.s compas à s’armer. Nous avons maintenant la responsabilité de défendre le peuple de l’État prédateur : ignorez les lois et armez-vous, si vous en avez la possibilité. Moi je l’ai fait. »

Ce contenu a été publié dans Contre les frontières, Réflexions et débats sur l'attaque et l'anarchisme, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.