Cellule Déméter : changer pour que rien ne change

Reporterre / jeudi 3 février 2022

Mardi 1er février, l’association de défense des animaux L214 a obtenu la mise à l’arrêt de la cellule Déméter. Selon le tribunal administratif de Paris, « il est enjoint au ministre de l’Intérieur de faire cesser les activités de la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole qui visent à la prévention et au suivi d’“actions de nature idéologique” » dans un délai de deux mois, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour. Le suivi de ces actions par la cellule est illégal, car il s’agit « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ».

[…] Créée fin 2019, comme l’avait raconté dès le début Reporterre, la cellule de gendarmerie Déméter est censée lutter contre les vols de matériel dans les exploitations, mais aussi contre les actes « de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques », précisait le communiqué de presse. Le tout était matérialisé par une convention signée entre la gendarmerie nationale et les deux syndicats agricoles majoritaires, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs.

Le tribunal a refusé d’annuler cette convention — ce que demandaient, dans un premier recours, les associations Générations futures, Pollinis et L214. Il estime que ce contrat ne lèse pas les intérêts des associations requérantes. Ainsi, la première branche d’activités de la cellule Déméter (lutte contre les vols, etc) n’est pas affectée par la décision du tribunal.

« La cellule Déméter a été créée avec une focalisation sur les critiques du modèle d’agriculture intensive, défendue par les syndicats majoritaires, et pas pour des vols de tracteurs, a déclaré Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, à l’AFP. Aujourd’hui, Déméter est une coquille vide : c’est exactement ce que nous demandions. »

Dans un communiqué, L214 rappelle que la rapporteuse publique avait relevé « plusieurs cas d’intimidation de militants écologistes ou animalistes par la gendarmerie » et regretté « un déploiement de moyens démesuré », soit des « auditions à répétition, accès aux relevés téléphoniques, bornage de téléphone… »

Vendredi 28 janvier, neuf militants antispécistes étaient en procès au Mans pour répondre de faits de dégradations légères et de « vol » et « recel » d’agneaux. Pour eux, l’enquête qui les a conduits au tribunal a été menée par la cellule de renseignement de la gendarmerie Déméter.

 

extrait de Reporterre / vendredi 4 février 2022

[…] Mais ce sentiment de victoire a été de courte durée. Après analyse, maître Corinne Lepage, avocate des associations Pollinis et Générations futures, constate un jugement « décevant ». Lors de l’audience qui s’est tenue le 18 janvier, la rapporteuse publique (la magistrate chargée de conseiller les juges) avait demandé la dissolution de la cellule Déméter. La décision du tribunal est donc « très en retrait », regrette l’avocate. Le jugement est pour elle difficilement applicable. La cellule n’étant pas dissoute, « comment va-t-on pouvoir vérifier qu’elle ne mène effectivement plus d’actions de police idéologique », s’interroge-t-elle.

Par ailleurs, le tribunal s’est contenté d’un jugement de forme. Il a simplement estimé que la surveillance des « “actions de nature idéologique” consistant en “de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole” ne relèvent pas des compétences de la gendarmerie », définies dans la loi. « Il a répondu de la manière la moins politique et la plus juridique », déplore Julie Pêcheur, directrice du plaidoyer chez Pollinis. Le tribunal n’a pas relevé l’argumentaire des associations, qui estimaient notamment que la cellule Déméter constitue une entrave à la liberté d’expression. Il n’évoque même pas le concept dans sa décision. […]

Dans un communiqué publié mercredi 2 février au matin, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et celui de l’Agriculture, Julien Denormandie, ont « pris acte de la décision du tribunal administratif de Paris ». « La mission de Déméter sera […] précisée et cadrée dans un nouveau texte d’organisation interne qui prendra en compte les termes de la décision », ont-ils précisé. Ils ont aussi vanté les résultats de la cellule : « Les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont ainsi reculé de 8 % et les dégradations de 7 % par rapport à 2020 », précise le texte.

« Sur le fond rien n’est remis en cause, se félicite Étienne Gangneron, vice-président de la FNSEA. Le jugement ne change rien à la lutte contre les gens qui font des infractions, pénètrent dans les élevages, transgressent la loi. »

La cellule va pouvoir poursuivre le reste de ses missions, c’est-à-dire la lutte contre tout ce qui relève d’« infractions pénales (vols, dégradations, cambriolages, violations de domiciles, occupations illégales de terrains) », précise bien le jugement. Autrement dit, toutes les actions militantes pouvant correspondre à des infractions pourraient rester dans le périmètre de Déméter. Comme par exemple les intrusions dans les élevages permettant à L214 d’obtenir ses vidéos. Ou les dégradations légères que sont les tags de militants animalistes, qui étaient jugés au Mans vendredi 28 janvier, après une lourde enquête de la cellule Déméter. […]

[comme quoi, qu’est ce qu’on peut attendre d’un recours devant un tribunal ? NdAtt.]

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