Au revoir crapule !

huffingtonpost / mardi 21 octobre 2014

http://media-cache-ec0.pinimg.com/736x/3b/7e/b9/3b7eb9da56fde6102bd1380fdae832c5.jpgChristophe de Margerie est mort. Le PDG de Total, 63 ans, est décédé dans un accident d’avion survenu dans la nuit du lundi 20 au mardi 21 octobre à l’aéroport de Vnoukovo, près de Moscou, a confirmé le groupe pétrolier, qui a révisé le bilan de l’accident à quatre morts. « Le groupe Total confirme avec une grande émotion et une profonde tristesse que son président-directeur général Christophe de Margerie est décédé cette nuit peu après 22h (heure de Paris) dans un accident d’avion, à l’aéroport de Vnoukovo de Moscou, à la suite d’une collision avec un engin de déneigement », a-t-il indiqué dans un communiqué. […]

Total : pourquoi les Français n’aiment pas les patrons ?

lefigaro / mardi 21 octobre 2014

Les critiques virulentes des internautes et de certains politiques ont succédé aux hommages rendus à Christophe de Margerie. Hervé Joly revient sur la relation ambivalente entre les Français et leurs chefs d’entreprises.


Hervé Joly est directeur de recherche CNRS (laboratoire Triangle, Université de Lyon)


FigaroVox: Aux hommages officiels, quelques heures après la disparition de Christophe de Margerie succédaient les critiques parfois très virulentes des internautes sur le groupe Total. «Les grands féodaux sont touchés. Ils sont fragiles. Le successeur nous volera-t-il moins?» a même été jusqu’à twitter Gérard Filoche, membre du bureau national du PS. Comment expliquez-vous ces réactions? Celles-ci sont-elles liées à une détestation particulière du patronat en France?

Hervé JOLY: Il ne faut pas surestimer l’importance de ces réactions, l’anonymat d’internet prête au défoulement. Quant à Gérard Filoche, on ne se demande comment il peut se regarder dans la glace tous les matins en se rasant comme membre d’un parti de gouvernement… L’impuissance de la gauche de gauche à peser politiquement fait visiblement perdre les pédales à certains. On l’a vu également, dans un autre domaine, avec l’étonnant appel à la censure de la conférence inaugurale du philosophe Marcel Gauchet aux Rencontres historiques de Blois, sous prétexte qu’il ne serait pas dans la ligne pour parler de rébellion, qui sortait également du cadre légitime du débat d’idées. Ceci dit, n’oublions pas que, en 1986, le PDG de Renault Georges Besse était, comme d’autres de ses homologues en Allemagne et en Italie, abattu par des militants de l’ultra-gauche. À cette aune, un twitt même de mauvais goût reflète une remarquable pacification des mœurs.

S’agit-il d’une longue tradition historique? Comment a évolué l’image du patronat en France au fil du temps?

Le patronat, et le grand patronat en particulier, a toujours été critiqué. Son image était bien pire dans la crise des années 1930 quand il licenciait en masse ou à la Libération quand les «trusts» étaient accusés de collaboration avec l’Allemagne nazie. Pendant les Trente Glorieuses, les patrons sont restés discrets alors que les entreprises distribuaient du pouvoir d’achat en masse. Depuis 1974, on parle plus d’usines qui ferment que d’usines qui embauchent. La brève «réconciliation des Français avec l’entreprise» dans les années 1980, incarnée par une figure patronale aussi ambiguë que celle de Bernard Tapie, n’a pas résisté à l’échec des privatisations et au rééquilibrage des dividendes aux dépens des salaires.

N’est-ce pas également lié au cas particuliers du groupe Total qui profite notamment d’une fiscalité clémente en France?

Le groupe Total a tout pour déplaire. Il a pour activité principale une industrie accusée de contribuer massivement à une catastrophe écologique annoncée, alors que le consommateur à la pompe, qui s’exonère de toute responsabilité en la matière, trouve l’essence trop chère. L’État qui se gave en taxes a beau jeu de mettre en avant les marges des compagnies pétrolières. Après avoir cédé une grande partie de ses activités chimiques, Total tend à réduire en France des activités de raffinage déséquilibrées par la surconsommation de diesel. On lui reproche d’investir massivement à l’étranger et de payer ses impôts là où il fait des profits, tout en lui interdisant d’exploiter d’éventuels hydrocarbures non conventionnels dans le sous-sol national.

75% des Français affirment aimer leur entreprise. Leurs critiques semblent surtout viser les grands groupes. Certaines multinationales, comme Total, pratiquent-elles un capitalisme hors sol qui n’a plus rien avoir avec le capitalisme traditionnel et sa dimension paternaliste?

En France, il y a une tendance small is beautiful. Le problème des PME françaises est qu’elles sont plutôt petites que moyennes. Il n’existe plus un réseau suffisant d’entreprises intermédiaires de quelques milliers de salariés qui, comme en Allemagne, pourraient incarner un patronat ancré dans les territoires. Les grandes entreprises, dirigées depuis d’anonymes tours de La Défense, apparaissent effectivement hors sol. Sur le sol national, leurs activités résiduelles sont fragmentées et ne s’inscrivent plus guère dans de grandes usines qui portent l’activité économique d’une région entière.

Christophe de Margerie pouvait-il être considéré comme un véritable capitaine d’industrie ou s’inscrivait-il dans un capitalisme purement managérial?

Le PDG d’un groupe aussi étendu que Total ne peut pas être un capitaine d’industrie qui construit son empire à sa main. Il n’était que le porte-parole d’une technostructure qui existait avant lui et existera après lui. Sa valeur ajoutée reposait sur l’ancienneté d’une carrière maison faite en dehors de la voie royale des grands corps et sur une faconde moustachue qui faisait oublier ses origines bourgeoises et contrastait avec l’austérité patronale habituelle. La personnalité de ses dauphins présumés suggère qu’il pourrait s’agir d’une parenthèse.

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