La Nemesi / mercredi 8 novembre 2023
Au cours de cette dernière semaine, il y a eu les audiences finales du procès en première instance contre les compagnons anarchistes Mónica Caballero et Francisco Solar, arrêtés le 24 juillet 2020 et accusés (Francisco seulement) de l’envoi des colis piégés au 54ème commissariat des Carabineros et à Rodrigo Hinzpeter, ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense ainsi que dirigeant du groupe Quiñenco (25 juillet 2019), et, tous les deux, de la double attaque explosive dans l’immeuble de l’agence immobilière Tánica (27 février 2020), situé dans le quartier bourgeois de Vitacura (dans la région métropolitaine de Santiago), dans le contexte de la révolte généralisée qui a embrasé le Chili à partir d’octobre 2019. L’action contre le 54ème commissariat et contre Hinzpeter a été revendiquée par Cómplices Sediciosos / Fracción por la Venganza (Complices séditieux / Fraction pour la Vengeance), celle du bâtiment Tánica par Afinidades Armadas en Revuelta (Affinités armées en révolte).
En décembre 2022, Francisco a revendiqué, seul, la responsabilité des deux actions, en réaffirmant leurs motivations, le choix des objectifs et leur signification révolutionnaire.
Le 10 août 2022, après une série de prolongations du délai des enquêtes, les audiences préliminaires sont terminées et le parquet a fait connaître ses requêtes de condamnations : 30 ans de prison pour Mónica et 129 ans pour Francisco (selon le système judiciaire de l’État chilien, le parquet exprime ses requêtes avant la phase des débats contradictoires, appelée juicio oral). Le 18 juillet dernier, après un renvoi, le procès a donc commencé, mais les compagnons ont été présents seulement lors des premières et des dernières audiences, assistant aux autres en visioconférence. Lors de l’audience du 18 juillet, le procureur a changé ses requêtes initiales, en déclarant que le parquet souhaiterait imposer une peine comprise entre 20 et 25 ans à Mónica et une de 150 ans à Francisco. Pendant l’audience du 19 juillet, Francisco a réaffirmé son assomption de responsabilité pour toutes les actions.
L’arrestation et les audiences contre les compagnons ont été constamment suivies par les médias chiliens, étant donné l’importance du procès, qui vise à donner un avertissement aux anarchistes et aux formes de guérilla qui se sont développées au sein de la société chilienne, notamment ces dernières années, à partir de la révolte généralisée de 2019-2020. Pour chaque audience du procès il a eu une mobilisation solidaire, avec des activités d’agitation et de propagande, des émissions sur des radios solidaires, des initiatives dans la rue et des débats, la publication d’un journal à numéro unique (Complicidad y sedición [ici en anglais ; NdAtt.]).
Nous reproduisons ci-dessous la nouvelle du verdict et les déclarations finales des compagnons, présents dans la salle pendant l’audience du 6 novembre (il s’agit de transcriptions : il n’y a pas de version écrite, du coup la ponctuation a été définie par le traducteur [en langue italienne, d’où nous traduisons à notre tour ; NdAtt.]).
Le verdict contre les compagnons anarchistes Mónica Caballero et Francisco Solar
Hier, le 7 novembre 2023, pendant qu’à l’extérieur se tenait un rassemblement solidaire, la cour – après quatre mois de procès – a émis le verdict contre les compagnons Mónica et Francisco.
Francisco a été déclaré coupable d’être l’auteur de :
– deux envois d’engins explosifs (au 54ème commissariat des Carabineros et à Hinzpeter) ;
– une tentative d’homicide, sur des Carabineros ;
– un délit de blessures graves, sur un agent des Carabineros ;
– un délit de blessures ;
– cinq délits de blessures légères ;
– une dégradation (54ème commissariat) ;
– une tentative d’homicide, sur Hinzpeter ;
– deux délits de collocation d’engin explosif (bâtiment Tánica).
Il a été acquitté de l’accusation d’usurpation d’identité.
Mónica a été condamnée en tant que complice pour deux délits de collocation d’engin explosif (bâtiment Tánica), tandis qu’elle a été acquittée de l’accusation de possession de marijuana.
Pour résumer, la cour a répondu favorablement à presque toutes les requêtes du parquet, sauf, dans le cas de Francisco, en ce qui concerne une des accusations pour tentative d’homicide (qui a été transformée en blessures) et pour l’accusation d’usurpation d’identité (pour laquelle il a été acquitté) ; dans le cas de la compagnonne Mónica, le tribunal a modifié sa position, d’« auteur » des faits à « complice » et a rejeté certaines circonstances aggravantes demandées par les enquêteurs.
La cour devrait émettre la sentence définitive, avec le nombre d’années de prison qui pèseront sur chacun des deux, le 7 décembre.
Nous saluons les cœurs noirs qui se chargent de la tâche de frapper les puissants.
Amour et anarchie pour Mónica et Francisco.
Déclaration de Francisco Solar Domínguez
Bonjour,
Les actions dont j’ai déjà assumé la responsabilité, que j’ai revendiqué politiquement et pour lesquelles je serai condamné font toutes partie d’une longue tradition historique, notamment anarchiste, qui se charge, en première personne et sans la nécessité d’intermédiaires, de rendre les coups des puissants et des répresseurs ; car si quelqu’un pensait que leurs politiques de terreur, fondées sur des impositions et des restrictions de toute sorte ainsi que sur des vagues répressives lors desquelles, souvent, ils piétinent même leur propre légalité (que si souvent ils disent défendre et respecter), seraient passées inaperçues et n’auraient pas suscité des réponses, il se trompait lourdement.
Nous sommes nombreux à savoir attendre le moment opportun pour agir, à concevoir la mémoire non pas comme un coffre où ranger des souvenirs à contempler et des plaintes, mais plutôt comme un moteur qui donne de l’impulsion à l’action vengeresse, partie de notre pratique politique permanente, qui se nourrit de notre histoire, avec nos succès et nos défaites.
Et c’est cet exercice de mémoire qui a nourri les actions individuelles que j’ai réalisé en 2019 et en 2020 ; des actions individuelles qui n’avaient besoin ni d’un consensus ni d’un accord collectif, mais qui ont été le résultat d’une analyse, d’une décision et d’une volonté personnelles ; des actions qui, pour d’autres, ont été partie de la guérilla urbaine anarchiste et l’ont indubitablement renforcée ; une guérilla qui ne disparaît pas, malgré les continuels coups répressifs, en démontrant par les faits la praticabilité et l’efficacité des relations informelles orientées vers l’action révolutionnaire. En démontrant, par ailleurs, que pour réaliser des actions incisives il n’y a pas besoin d’une grande structure organisationnelle.
En ce sens, il est important de faire remarquer que les grandes organisations rigides et stables deviennent rapidement leur propre finalité, c’est-à-dire qu’elles s’organisent seulement pour renforcer l’organisation elle-même, contrairement aux organisations informelles, qui fondent leur relations sur l’attaque, ce qui leur confère ce dynamisme qui prévient le raidissement et la comparution de logiques bureaucratiques.
Les actions, en plus d’être des coups contre des représentant ou des symboles du pouvoir et en plus de démontrer que ces attaques sont possibles, sont un moyen de diffusion d’idées et de messages, des messages de rébellion et de liberté qui seront reçus et mis en œuvre par quiconque le désire. Des messages qui ne constituent un véritable danger pour l’ordre imposé que s’ils sont liés à ces actions.
Et je parle d’ordre imposé – une imposition qui, soit dit en passant, constitue le fondement des États modernes – parce que dans cette société il n’existe pas de contrat social par lequel les individus auraient délégué leur liberté à l’État en échange de liberté et de sécurité, mais, au contraire, l’État se fonde sur la spoliation, au cours de l’histoire, des libertés des individus, en les soumettant et en leur imposant des limites dans des aspects de plus en plus nombreux de leurs vies, ce qui renforce et perpétue la domination étatique. L’État n’est plus seulement une institution, mais on le retrouve dans chacune de nos relations, ce qui rend encore plus complexe et étendue la domination étatique ; par conséquent, les actions contre l’État ne sont pas seulement justifiées, mais aussi absolument nécessaires. Et certes – comme monsieur le Procureur l’a dit lui aussi dans la réquisition finale – « qu’on leur donne la parole ! », mais une parole qui soit inséparable de l’action révolutionnaire, parce qu’une parole qui prétende construire des nouvelles relations, exemptes de toute autorité, doit nécessairement aller de pair avec l’action révolutionnaire.
On ne peut pas nier la croissance et la prolifération des groupes anarchistes, ces derniers temps, ce qui a comporté le fait que des discours et des pratiques anti-autoritaires sont présents dans la majorité des mobilisations et des révoltes actuelles. Si l’on voit l’anarchie comme une tension plutôt que comme un point d’arrivée et si on la conçoit comme une lutte permanente contre toute expression de l’autorité, plutôt que comme une société parfaite ou un paradis sur terre, comme beaucoup de monde suggère, l’on comprend que ces actions individuelles violentes sont une partie incontournable de ce parcours de libération. Je veux faire comprendre très clairement que, le long de ce parcours, des actions comme celles-ci ne sont pas les premières et ne seront pas les dernières, mais, comme je l’ai déjà dit, elles font partie d’un continuum historique qui ne disparaîtra pas ; malgré le fait qu’on nous condamne à des dizaines d’années de prison, et même s’ils nous tuaient, il y aurait toujours des individus et des groupes d’individus qui sont disposés à riposter à la brutalité de l’État et du capitalisme : cela est inévitable.
Pour finir, je veux saisir cette occasion pour envoyer une salutation complice aux prisonniers et prisonnières anarchistes et subversifs qui luttent dans les prisons de ce pays.
Vive l’anarchie !
[6 novembre 2023]
Déclaration de Mónica Caballero Sepúlveda
Je vais essayer d’être assez rapide, étant donné que j’avais décidé de ne pas prendre la parole en cette occasion ; je considère cependant qu’il est nécessaire de clarifier une série de questions assez spécifiques, par rapport à certaines affirmations, notamment du Procureur.
Du coup j’ai décidé de faire une déclaration finale dans ce procès, qui vise à être une punition exemplaire, parce que je ne peux pas laisser passer l’opportunité de défendre et de clarifier une série d’aspects qui ont affaire aux idées et aux pratiques que j’ai défendu et adopté dans la pratique au cours des derniers 20 ans de ma vie.
Monsieur le Procureur a demandé à mon coïnculpé si je suis anarchiste. Oui, bien sûr je suis anarchiste, mais qu’est-ce que cela signifie ? En disant anarchisme, je fais référence à un ensemble d’idées et de pratiques qui, encadrées par des principes qui sont par exemple l’entraide, la solidarité, l’autogestion, construisent des idées et des pratiques s’inscrivant dans la destruction et dans la construction ; qu’est-ce que je veux dire par cela ? La construction de ce qui est…
Quand je fais référence à l’anarchisme, j’entends cet ensemble d’idées et de pratiques qui, sur la base de principes comme l’entraide, la solidarité et l’autogestion, construisent les conditions pour que tous et toutes se développent de manière intégrale ; néanmoins ces conditions visent en même temps la destruction de toute forme de domination. Qu’est-ce que j’entends par « toute forme de domination » ? Ces formes de domination qui sont par exemple l’actuel système d’oppression économique, c’est-à-dire le capitalisme, et aussi l’hégémonie du pouvoir politique, c’est-à-dire l’État actuel.
Au sein de ces pratiques, nous, les anarchistes, avons un large choix, comme disait correctement le Procureur. Parmi les pratiques anarchistes il y a la violence, mais elle n’est pas l’apanage uniquement de l’anarchisme et en même temps l’anarchisme n’envisage pas la violence comme sa seule expression pratique ; et oui, il y a des compagnons qui ont placé des engins ou qui ont envoyé de engins explosifs, mais j’insiste : cette pratique de violence politique n’appartient pas seulement à l’anarchisme et l’anarchisme ne fait pas que exercer de la violence politique.
Par rapport à tout cela, je dois nécessairement poser une question et, en même temps, y répondre : qu’est-ce qui caractérise la pratique anarchiste ? Les pratiques anarchistes, violentes ou pas, s’inscrivent nécessairement dans les idées anti-autoritaires et en tirent leur inspiration. On ne peut pas séparer l’idée de la pratique anti-autoritaire anarchiste, et même plus largement révolutionnaire, sans prendre en compte la complémentarité entre idée et pratique. C’est-à-dire que les pratiques anarchistes ne tiennent pas debout sans la colonne vertébrale des idées. En clarifiant cette importante question sur le rapport entre idée et pratique, je peux dire avec certitude catégorique qu’une pratique anarchiste, violente ou pas, ne sera jamais utilisée de manière indiscriminée.
Le Procureur, dans une de ses répliques, pardon, dans sa réquisition, a mentionné un concept très important et ancien chez nous, les anarchistes : il a parlé de la propagande par le fait. La perspective du Procureur sur la propagande par le fait, ou ce qu’il a essayé d’expliquer par rapport à ce concept, est une manière très myope de la concevoir, essentiellement parce qu’il a essayé de la situer dans le contexte historique où celle-ci a vecu son apogée. Si je me rappelle bien, entre la fin du XIX siècle et le début du XX, pendant un congrès à Londres, un groupe d’anarchistes de différents endroits du monde a assumé comme pratique la propagande par le fait et a concrétisé cette propagande par le fait par des assassinats, des engins explosifs et une longue liste d’autres épisodes. Mais la propagande par le fait est bien plus que cela. Ce que je suis en train de faire, ce que mon coïnculpé est en train de faire en ce procès, par nos mots, c’est de la propagande par le fait ; tel est le point : tout cela va bien plus loin que la simple utilisation de la violence, dans ce cas précis d’engins explosifs.
Je dois aussi souligner que, dans ce procès comme dans tous les autres procédures pénales où j’ai été inculpée ou dont j’ai été spectatrice, contre des compagnons et des compagnonnes au Chili ou dans d’autres endroits du monde, on a toujours assimilé notre vision politique à des faits délictueux, et il me semble curieux, pour ne pas dire plus, de nier cet aspect de l’enquête ; dans le cas contraire quel aurait été le sens de la saisie de dizaines ou peut-être de centaines de livres, de centaines ou de milliers de tracts, d’affiches, de brochures et ainsi de suite ? Je ne comprend pas que cela puisse avoir un autre objectif que l’étude de notre conception du monde ou de notre façon d’entendre la politique ou l’affrontement avec la domination et je ne comprend pas pourquoi on nie cet aspect.
Comme je le disais, je suis anarchiste, donc ennemie de toute forme de domination, soumission ou oppression réalisée par le biais de toute structure de pouvoir ; du coup l’État, dans toutes ses formes et représentations, est illégitime. En partant de l’idée que celui-ci, l’État, s’est crée et consolidé à partir de l’idée du bien commun, ou du moins du bien de la grande majorité, ce qui est assez loin de la vérité, je vis dans un monde où un groupe privilégié existe au prix de la misère de la grande majorité. Construire des formes antagonistes aux relations de pouvoir est nécessaire pour l’existence d’un développement intégral de tous les habitants de ce monde, humains et animaux.
Pour finir, je peux dire à toutes les personnes présentes que j’attends assez tranquillement le verdict de ce procès, parce que je sais que les idées d’émancipation auxquelles j’ai dédié une grosse partie de ma vie me transcendent.
Dernière chose : aux personnes présentes et à mes compagnons et compagnonnes qui sont ici, tout comme à ceux qui entendront ou liront mes mots par la suite, je peux dire que jusqu’à mon dernier souffle j’affirmerai toujours : mort à l’État et vive l’anarchie !
[6 novembre 2023]