Italie : Je te hais dans toutes les langues du monde

Il Rovescio / mercredi 2 février 2022

Je te hais dans toutes les langues du monde
Invitation à une mobilisation internationaliste le 25 avril et le 1er mai

Ces dernières vingt ans, on s’est éloignés des idées révolutionnaire : les compagnons eux-mêmes ont arrêté de croire que leur idée puisse avoir la possibilité et la capacité d’aller plus loin. Des idées révolutionnaires qui, au contraire, sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais.

Le fait d’arrêter de lutter, de croire dans la possibilité de « gagner », c’est-à-dire de détruire réellement cette société et de faire dérailler une histoire qui court vers la catastrophe – sanitaire, écologique, militaire – a rendu les opprimés plus faibles, a permis aux patrons de poursuivre un tournant autoritaire dans leur gestion de la société. Ces derniers temps, cette amère vérité a été plus évidente que jamais, dans une continuité qui s’est exprimée – pour se limiter seulement aux deux dernières années – avec le massacre de mars 2020 dans les prisons, avec les usines qui tournaient et la répression féroce de Confindustria [le Medef italien ; NdAtt.], tandis que les individus étaient obligés de rester enfermés chez eux, avec un redémarrage de l’économie qui ne s’est soucié de rien, comme en témoignent dramatiquement les morts du travail, les massacres pour le profit, comme celui de Stresa*, les agressions et les meurtres devant les portes des dépôts en grève (et cette liste pourrait continuer). Justement l’absence d’une perspective révolutionnaire concrète fait que les sommeils des patrons sont paisibles, qu’ils peuvent exiger toujours plus.

Il s’agit d’un tournant autoritaire de nature clairement classiste : depuis toujours, les prolétaires vivent soumis à des nombreux chantages, à partir du chantage fondamental : devoir travailler pour vivre, mais ils sont en train de se multiplier, ces derniers temps. Le Pass sanitaire vient s’ajouter en tant qu’instrument en plus dans l’attaque portée par les patrons**, en déterminant de manière de plus en plus totalisante la vie quotidienne. Les décrets-loi de ces deux dernières années durcissent avant tout le chantage du travail, qui est, depuis toujours, un instrument de massification et de discipline au sein de la société.

La méthode utilisée pour rendre plus acceptables les nouvelles impositions et le durcissement du contrôle est l’élan vers l’Unité nationale, par laquelle on appelle le peuple à se ressembler autour du drapeau, pour se défendre de l’ennemi. Le gouvernement et l’État deviennent l’expression de la collectivité, de la communauté, qui demande à chacun et chacune de suivre ses directives, rendues objectives en citant des scientifiques et des techniques, les nouveaux prêtres de cette époque. Le sentiment de communauté est utilisé pour pousser les individus à se sacrifier, tant au travail que dans la vie quotidienne, pour une prétendue « grande famille », comme si on était vraiment tous dans le même bateau. Cette pratique n’est pas quelque chose de nouveau : elle est normalement utilisée pendant les guerres, dans les usines qui suivent la méthode d’Olivetti et les différentes dystopies dérivées du système de production Toyota***, avec la collectivisation des problèmes des patrons et la responsabilisation individuelle des exploités. Ceux qui ne répondent pas à l’appel sont reconnus et stigmatisés comme fous ou déviants et perdent même la dignité d’exprimer leurs motivations.

Une dynamique semblable pourrait se présenter à nouveau, par rapport aux politiques énergétiques de l’Union européenne. Cette dernière année, les médias sont en train de prêter une attention toute particulière à l’urgence climatique, ce qui est le résultat paradoxal d’un capitalisme qui est en train de détruire le monde et qui veut s’offrir la solution aux problèmes qui a lui-même crée. En tirant profit des fêtes du jour de l’an, la Commission européenne a rétabli, en toute discrétion, le nucléaire de quatrième génération dans sa liste des énergies soit-disant propres, sur lesquelles investir dans le cadre du Recovery and Resilience Plan. Encore une fois, on dira que ceux qui s’y opposent sont des défenseurs de l’utilisation du charbon, des ennemis de la résolution de l’urgence. Ce que l’on ne veut pas voir c’est que le problème est la société de l’énergie elle-même, ainsi que l’industrialisation capitaliste.

Face à la guerre de classe menée par les patrons, des compagnons et des compagnonnes – pas seulement en Italie – ont répondu, sans attendre que quelqu’un d’autre le fasse pour eux, par des pratiques d’attaque que nous partageons et qui nous appartiennent aussi. Nous sommes proches de nos frères et sœurs, ceux qui ne sont pas connus et ceux qui aujourd’hui payent avec des années de taule leur choix de prendre position et d’agir contre ces personnes qui, chaque jour, nous tuent, nous et le monde où nous vivons. Et nous sommes proches aussi des compagnons et des compagnonnes qui sont en taule car accusés de pratiques anarchistes, souvent simplement à cause de ce qu’ils ont dit ou écrit.

Les attaques récentes contre la presse anarchistes, avec des nombreux autres faits récents, semblent renvoyer à une dynamique d’intolérance toujours plus forte à l’encontre des opposants. En réalité, dans cette forme actualisée de démocratie, ce qui est effectivement en danger n’est pas la fantomatique liberté d’expression en soi, mais les mots cohérents qui appellent à l’action, la solidarité explicite avec ceux qui ont traversé des parcours de liberté, avec ceux qui ont démontré par les faits et non pas par des bavardages que cet ordre social n’est pas un destin inéluctable, mais qu’il peut et il doit saigner.

Des mots cohérents et des faits conséquents que nous voulons continuer à assumer. L’Unité nationale appelle à la guerre. Notre internationalisme aussi, mais à une guerre de bien autre nature.

 

Dans cet esprit, nous proposons deux rassemblements/manifestations, au cours du printemps prochain : le 25 avril [jour de fête nationale en Italie ; NdAtt.] à Spoleto et le Premier mai à Carrara. Conscients que deux manifestations ne pourront pas influencer concrètement la tendance en cours, nous pensons néanmoins que l’anarchisme doit à nouveau prendre la rue, avec la force et la cohérence de ses idées.

Pour une affiche de propagande efficace, qui ne fasse aucun pas en arrière sur les contenus, mais qui soit aussi enraciné dans cette période historique, nous avons pensé à ces points provisoires, auxquels d’autres pourront s’ajouter, si la situation change ou sur demande des compagnons de route que nous trouverons :

– Contre le tournant autoritaire
– Contre l’unité nationale
– Contre le nucléaire
– En défense de la presse anarchiste
– En solidarité avec les prisonniers révolutionnaires et les pratiques dont ils sont accusés

Anarchistes

 
Pour ceux qui veulent participer à construire cette mobilisation, on se voit samedi 26 février à 16 heures au Circolo Culturale Anarchico Goliardo Fiaschi, à Carrara (via degli Ulivi).
 

Notes d’Attaque :
* le 23 mai 2021, une cabine de la téléphérique touristique du Mont Mottarone est tombée, provoquant 14 morts. Depuis la réouverture de l’installation après le confinement, un mois plus tôt, la cabine roulait sans frein d’urgence, car les dirigeants, qui étaient à connaissance de ses problèmes, avaient choisi de la faire fonctionner quand-même.
** On rappelle qu’en Italie, depuis octobre, le Pass sanitaire est nécessaire pour accéder à tous les lieux de travail.
*** Adriano Olivetti, issu d’une famille d’industriels d’Ivrea, a porté, avec son Movimento Comunità, dans le deuxième après-guerre, une vision holistique de la société, fondée sur une tentative très paternaliste de collaboration entre patronat et ouvriers.
Le système de production mis à point dans les usine Toyota dans la deuxième moitié du XXe siècle se base sur les deux principes d’une production « juste-à-temps » et automatisée. Il est l’un des précurseurs du système de production/gestion Lean (qui vise l’absence de gaspillages de matériel et de temps) tant à la mode aujourd’hui et que les managers ont le culot de présenter comme « humain » et « écologique ».

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