Gilets Jaunes à Paris : compte-rendu à chaud du bouillonnant 1er décembre

NdAtt. : un compte-rendu honnête, dans l’excitation ambiante, de la journée émeutière du 1er décembre à Paris et de quelques uns des limites d’un mouvement comme celui des Gilets jaunes, où on côtoie aussi des fachos…

Paris-Luttes.info / dimanche 2 décembre 2018

Ce samedi 1er décembre, nous avons participé à la manifestation des gilets jaunes, troisième journée de mobilisation autour de revendications toujours aussi larges. Cette manifestation s’est transformée en l’une des plus grandes émeutes que la capitale ait connue depuis 30 ans. Un compte-rendu à plusieurs mains, forcément incomplet vu l’étendue des événements, qui n’arrivera néanmoins pas à tirer des lignes claires sur l’identité du mouvement…

Premier acte : matinée autour de la place de l’étoile.

Les gilets jaunes voulaient aller sur les Champs-Élysées. Seulement voila, le dispositif des flics était très coercitif et a refroidi de nombreuses personnes à aller sur « les champs ». Cela ressemblait en effet plus à un piège qu’autre chose.

Quand nous sommes arrivés sur la place de l’étoile vers midi c’était déjà le gros bordel depuis quasiment trois heures. D’après des camarades qu’on croise sur place, les affrontements ont été extrêmement violents sous l’arc de triomphe toute la matinée. Visiblement il y a eu beaucoup de blessé.e.s. C’est également là que seront le plus présents les groupes d’extrême droite radicale. Le GUD est notamment là. Nous verrons ici une bonne partie des murs souillés par des croix celtiques. L’extrême-droite dans sa tendance « légaliste » semble aussi bien présente. Visiblement et selon plusieurs témoignages, ces tendances fachos resteront présentes toute la journée autour de la place de l’Étoile bien qu’elles soient difficiles à quantifier.

Ce qui est sûr c’est qu’en venant avenue de la Grande Armée on cause un peu aux gens et c’est clair qu’il y a une grande confusion et des réacs dans le mouvement. On tombe par exemple sur des vétérans de l’armée et des flics venus en masse et qui sentent bon le fascisme. Mais à coté de ça on a des jeunes de cités, des femmes, des hommes, une grande variété de personnes venues avec chacun sa colère. On nage globalement dans la plus grande confusion. Sur la place de l’Étoile on voit des slogans anti-vaccins, une banderole dénonçant la « loi schiappa pédophile »… Bref c’est n’importe quoi et ça tend toujours plus vers des trucs confus quand tu discutes avec les gens. Internet a fait des dégâts dans le prolétariat et la fachosphère encore plus. Enfin y a surtout un gros ras-le-bol. Tout le monde en a marre et exprime un rapport de classe évident.

Vers 13h, une grosse manifestation sauvage d’environ 800 personnes part de la place de l’étoile, lassées de voir des lacrymos s’abattre sur leur gueule. Les slogans/insultes fusent et ciblent les bourgeois qui peuplent le quartier. A chaque fois qu’une personne du premier étage est aperçue en train de filmer de chez elle, elle se prend des oeufs par les manifestants avec des moqueries et des insultes.

 

Acte 2, les manifestations se dispersent dans tout Paris

Cette manifestation sauvage part de l’avenue Carnot et on se retrouve avenue Hoche. Le public est toujours le même, pères et mères de familles, beaucoup de banlieusards mais pas forcément des gens de cités. Les gens à qui on a causé sont plutôt des prolos. Sur l’avenue Hoche on retrouve un gros mouvement de camarades cheminots qui bougent en direction de la gare St Lazare.

On part tous ensemble pour 14h et donner corps au rendez-vous posé par le collectif Adama et de l’action antifascite Paris-banlieue. A travers le 8e arrondissement et sur les trajets, on croise de nombreux gilets jaunes qui sont un peu perdus et fuient les affrontements. Sur Haussman c’est une vraie marée humaine qui nous emporte. Il y a vraiment beaucoup de monde. On se retrouve à Saint-Lazare pour la manif Adama. Quand on arrive la manif est déjà partie. Il y a une foule considérable. On arrive à Opéra c’est énorme, en descendant l’avenue il y a des milliers de gens. Le public est plus camarade, tous les gens ne portent pas de gilets jaunes. Mais tout le monde est déterminé. Il y a un cortège Queer qui est bien dynamique, des collectifs de violences policières et des gilets jaunes qui passaient par là (par centaines) et qui se greffent à la dynamique.


Le cortège se poursuit sur la rue de Rivoli. Une partie va vers l’hôtel de ville où elle sera dégagée à coup de lacrymos vers 15h, une plus grosse partie va essayer de forcer le barrage des flics vers la Concorde. Sur la rue de Rivoli, à l’entrée de la place, un canon à eau et des camions de Gendarmes mobiles bloquent les 1500 manifestants plutôt marqués à gauche. Beaucoup de militants sont présents. Les affrontements sont incessants entre les deux camps. Tirs de lacrymos permanents. Nous sommes très aidés par le vent violent qui rabat les gaz sur les gendarmes. Le canon à eau est actionné et nous canarde allègrement. Moment cocasse : le canon à eau commence à manquer de pression ça devient ridicule. C’est le moment que choisissent des manifestants pour brûler une bagnole. Tout le monde applaudit. Ca réchauffe notre petit coeur mouillé par la pluie. Beaucoup restent, il y a des affrontements et des barricades un peu partout autour de la place. Certains partent direction Bastille ou Hôtel de Ville… On bifurque pour aller vers Saint-Augustin, et on comprend qu’à chaque coin de rue ça peut partir ; une nouvelle barricade au milieu d’un boulevard dont on connait pas le nom parce qu’on connait pas ces quartiers, ça brasse, les gens se rassemblent, certains errent, d’autres tracent, puis ça se densifie, on arrive à St Augustin (près de Saint-Lazare).

Depuis 15h, plus de 3000 personnes y affluent aux cris de « Macron Démission ». Au son des percussions de la caisse claire, on bloque rapidement la circulation. A l’aide des panneaux de chantier du quartier, trois barricades sont rapidement montées boulevard Haussmann et rue de la Boétie. Une Audi a le malheur de s’aventurer sur le boulevard, elle sera vite réquisitionnée auprès de sa conductrice afin de consolider la barricade enflammée ! Les gendarmes mobiles bloquent trois avenues et la police montée est de sortie. Beaucoup de pavés sont descellés et balancés sur les cordons de flics. Pendant plus d’une heure, gazage incessant de la place par les flics, les gens sont assez déter pour décider de ne pas à bouger tout de suite. Une banque est explosée, un camion est retourné.

La garde montée


Les affrontement s’intensifient et s’éparpillent encore plus

A un moment, vers 16h30, les flics en ont eu marre et décident d’évacuer toute la place Saint-Augustin. Ils dégagent tout le monde à la lacrymo et cette fois la ligne de manifestants cède. On reflue boulevard Malesherbes vers Madeleine et on prend une petite rue pour se retrouver sur Haussman. Et là on hallucine complètement. Le boulevard Haussman est en travaux mais il est surtout en feu. Trois grands brasiers se dressent sur le classieux boulevard. C’est un gros bordel.
On se retrouve à St Lazare où la tension est encore forte vers 17h15 avec notamment des membre de la BAC. Tout au long de la journée dans cette partie de Paris des camarades étaient présents, il ne s’agit pas ici de dire que l’extrême droite n’était pas présente mais elle semblait clairement minoritaire.

Un faf avec un bouclier de flic

Quelques scènes improbables durant cette période : des gilets jaunes tapent gentiment sur les vitres d’un resto de luxe en gueulant « faites péter les huitres », le patron d’une brasserie bien chère ferme boutique complètement en panique, des enfants regardent tranquillement les vitrines de Noël alors qu’il y a des barricades en feu quelques centaines de mètres plus loin…Et globalement les gens se sourient, les commerçants sortent sur leur pas de porte pour encourager les petits cortèges, y’a même pas mal de conducteur.rice.s bloqué.e.s qui acceptent la situation en se marrant. Le côté jouissif de l’imprévisibilité se transmet. Aucune hostilité envers les violences et même une famille qui sort de ses courses de Noël qu’on entend dire sur un ton anodin : « Tiens ils auraient du péter cette banque aussi ».

Près du jardin des Tuileries

Vers 16h30 rue Danielle Casanova (oui ça n’existe pas que dans les villes cocos il faut croire) une bagnole de flics (vide ou dont les poulets se sont enfuis ?) est d’abord secouée, puis finalement pillée et défoncée. Les souches de contredanses et les avis d’enlèvement décorent le trottoir, un k-way noir qui n’en avait pas se retrouve avec un gilet jaune…siglé police ! Une fois les vitres finies au tonfa, un petit feu de joie commence dans la voiture. Les pompiers arriveront avant qu’elle ne flambe totalement mais cette voiture-là ne risque plus de tamponner qui que ce soit !

Les gens reculent ensuite rue de la Paix (excusez du peu) qui retrouve une animation qu’elle n’avait pas vue depuis… jamais ? Il se trouve que les sapins sont en plastique mais crament quand même plutôt bien.
Avec tous ces feux et ceux du boulevard des Capucines (les pompiers passent dans tous les sens, presque au hasard pourrait-on croire) l’Opéra n’est plus visible à cinquante mètres. Pour retrouver un peu d’air frais une manif va partir sur la rue du 4 septembre, à coup de « Siamo tutti antifacisti » (déso Verdi), pas de marseillaise ici. Le seul drapeau français est celui d’un égaré de la FI. Comme il n’y a pas un seul keuf et que la Bourse historique n’est pas loin, décision est prise d’aller vérifier le cours du pavé. Après un peu d’hésitation le checkpoint de la grille extérieure est enfoncé (No borders !) et les gens montent les marches pour toquer au carreau. Quelques vitres cèdent, d’autres portes s’ouvrent, et le hall s’anime un peu. Il semblait quand même très vide, les pétards résonnaient beaucoup.
Lassé de ces quartiers bourgeois aussi sinistres que déserts, après quelques tours de ruelles (coucou la voiture de flics garée au mauvais endroit au mauvais moment !) le cortège retrouve la circulation sur les grands boulevards, et décide de favoriser les rencontres en utilisant le mobilier urbain et le matériel de chantier omniprésents pour ralentir le rythme trépidant des grandes artères de la ville moderne. Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous ! Le boulevard Sébastopol s’y prête aussi de bon gré. Quelques banques qui manquaient de budget guirlandes (la crise que voulez-vous !) font un effort de déco en répandant de jolis éclats de verre brillants sur les trottoirs.
Les jardins des Halles sont un peu déserts, le parvis de l’Hôtel de Ville aussi. Après 2-3 heures de manif entre camarades et jeunes de tèç sans voir un.e seul.e keuf et une dernière barricade de barrières sur le quai de l’Hôtel de Ville, le cortège se disperse. Pour mieux revenir la prochaine fois ?

Bilan de la journée
Difficile de faire un bilan de cette journée complètement folle, d’autant qu’on en a vu une toute petite partie. Plusieurs éléments peuvent néanmoins nous guider pour les prochaines jours :

  • Le climat est véritablement insurrectionnel. Les gens veulent vraiment la peau du gouvernement et n’ont aucune peur de le voir tomber. Alors forcément il ne s’agit pas d’une insurrection au sens révolutionnaire type communiste mais les gens n’ont pas peur du saut dans le vide… A voir ce que va nous ramener le vide.
  • La police ne maîtrise pas le bordel ambiant. Elle ne peut pas. Les forces sont trop disparates, dispersées et fermées au compromis.
  • La présence de la gauche et notamment de la gauche révolutionnaire a changé la physionomie de la manifestation. Les dégradations orientées sur les banques par exemple sont le fruit d’un travail politique mené en amont. Nos slogans sont partiellement repris et l’initiative du collectif Adama a été très efficace. Bref nous existons politiquement dans le mouvement désormais.
  • Malgré cela il nous faut rester prudent sur les perspectives émancipatrices de ce mouvement où l’extrême-droite est réellement présente. Cet élément est à prendre en compte et nous devons lutter avec acharnement contre cette présence.
  • Les émeutes et actes de révolte ne se sont pas concentrées à Paris. On a pu voir du bordel un peu partout en France, dans les grandes villes comme de plus petites, avec par exemple la préfecture cramée au Puy-en-Velay ou attaquée à Dijon), des émeutes à Charleville-Mézières ou à Toulouse, des affrontements en Ardèche. La répression a été également féroce, de très nombreux blessés graves, des mains arrachées par les grenades GLI-F4 (comme à Tours), et de nombreuses arrestations.

Des anarchistes

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