reçu par mail / jeudi 19 mai 2022
Vous nous trouverez à notre place, car nous ne saurions être à la votre.
A propos de l’enquête « Diamante »
A l’aube du 16 mars 2022, à Rome, deux anarchistes sont interpellés par les policiers de la DIGOS et par le ROS des Carabinieri, sur ordre du Parquet de Gênes et du procureur Federico Manotti.
Les chefs d’inculpation sont : fabrication et possession de matériel explosif (art. 1 et 2 de la loi 895/67) dans le but de porter atteinte à la sécurité publique (art. 435 du code pénal), le tout avec la finalité de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique (art. 270 bis, paragraphe 1, du code pénal), en complicité avec d’autres personnes actuellement non identifiées.
Avec cette enquête, nommée « Diamante » [diamant ; NdAtt.], il y en a aussi une autre d’ouverte, nommée « Tenaglia » [tenaille ; NdAtt.], qui porte sur des sabotages incendiaires de pylônes, d’antennes-relais et d’armoires techniques qui ont eu lieu en 2021 en Liguria, ainsi que sur d’autres actions qui ont eu lieu il y a plusieurs années et qui, parfois, sont insérées dans la liste simplement pour la forme, reprises d’autres enquêtes génoises, précédentes et sans succès, du même proc’.
Cela semble plutôt une stratégie pour gonfler l’opération répressive, étant donné qu’il n’y a rien qui relie concrètement ces faits avec notre arrestation pour possession de matériel explosif.
Naturellement, dans cette enquête on trouve l’habituelle révision du sens, ainsi que des analyses souvent sans tête ni queue, fabriquées à la hâte, qui sont censées décrire les « courants » du mouvement anarchiste, les réduisant à des « camps », en plus d’un travail superficiel de copier-colles de choses déjà écrites dans des nombreuses autres enquêtes contre des anarchistes ; ce sont tous des éléments qu’on peut considérer comme absolument inutiles à examiner.
L’enquête qui a porté aux arrestations commence avec la découverte, en juin 2021, dans un bois en Liguria, de matériel explosif, de matériel électrique et d’autres engins. On apprend du dossier de l’enquête que ces récipients ont été découverts par un quidam, qui a dit par la suite avoir été motivé par l’espérance de trouver de la drogue et qui, après cette découverte, est allée chez les carabiniers avec un ami, pour leur dire ce qu’il avait trouvé. Les deux ont collaboré en donnant aux forces de l’ordre des informations et des descriptions et ont été considérés comme suspects, mis sous enquête et sous écoute et filés par ces mêmes carabiniers auxquels ils avaient fait appel, pour être ensuite mis hors de cause.
Après la découverte des récipients, les carabiniers ont installé des caméras photo/vidéo à déclenchement automatique, pour « capturer » toute personne se rapprochant de ce secteur. Par la suite, une figure masculine sera photographiée, par l’arrière, dans les environs du lieu de découverte du matériel ; la police déclare reconnaître cette personne et dit pouvoir l’identifier. On peut apprendre du dossier d’enquête et des rapports de la police scientifique et du RIS de Parma des Carabinieri, que les comparaisons faites avec les échantillons d’ADN présents dans leurs bases de données, dans le but d’identifier quelqu’un.e, sont négatives ou bien qu’il n’y aucune trace d’ADN, aucune empreinte digitale ou autre, sur les nombreux objets trouvés dans le bois. Il faut signaler le fait qu’en cette occasion la police a mis en place des écoutes et des filatures de compagnons proches des deux inculpés et a aussi effectué un « prélèvement » discret de l’ADN d’un compagnon de passage à Gênes, par le biais des verres utilisés dans un bar en plein air.
Dans l’enquête Diamante, où nous sommes inculpés, Gianluca et moi, de même que dans les dernières enquêtes en Italie, un autre élément qui est criminalisé et considéré comme une preuve utilisable pour établir la peine, et la culpabilité en général, est la solidarité. Sur ce point, nous allons laisser aux juges leur « intime conviction », parce que, pour nous, la solidarité reste un principe de fraternité auquel nous ne manquerons jamais. Pour étaler cette suggestion, les enquêteurs sollicitent en particulier les procédures pénales qui sont déjà en cours contre nous deux, ainsi que contre cinq autres compas, par rapport à l’interruption du procès Scripta Manent. Lors de l’audience du 11 février 2019 dans la salle bunkerisée de la prison de Turin, un gros groupe de compas a exprimé sa solidarité chaleureuse et concrète avec les anarchistes qui passaient à procès. Le procureur Roberto Sparagna n’a pas pu prendre la parole pour prononcer son réquisitoire. Après que plusieurs slogans ont été criés et après la lecture d’un texte en solidarité, la Cour a interrompu l’audience et la salle a été vidée par la police anti-émeute.
En cohérence avec la stratégie employée déjà à l’époque par la répression, qui visait à isoler les prisonnier.e.s et à affaiblir le soutien qui leur est exprimé, en réprimant les différentes manifestations de proximité et de solidarité, à la suite de la présence au procès de février, la préfecture de Turin a délivré une soixantaine d’interdictions de paraître dans cette ville et sept plaintes pour interruption de service public et outrage, qui ont ensuite porté à des condamnations en première instance avec des peines allant de 6 mois à un an de prison.
En plus de cette affaire, un autre élément considéré comme aggravant pour Gianluca est la récente opération Sibilla, menée par le Parquet de Perugia, où il est mis en examen, avec 6 autres compas, accusé.e.s du délit défini par l’article 270 bis du code pénal (association avec finalité de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique), suite à la conception, la rédaction, l’impression et la diffusion, aussi par des moyens informatiques, du journal anarchiste Vetriolo. Ils/elles ont aussi accusé.e.s en vertu de l’art. 414 c.p. (provocation aux crimes et délits), pour la rédaction et la diffusion de communiqués dont le contenu incite à la commission de délits contre la personnalité de l’État, avec des finalités de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique. Dans le cadre de cette opération, deux sites internet de contre-information ont été censurés, parce que considérés comme une circonstance aggravante du délit de provocation (par le biais d’un instrument numérique).
Les anarchistes, on dit souvent que cela ne nous intéresse pas de savoir si les inculpés sont « coupables » ou « innocents ». C’est vraiment le cas. Il ne doit pas nous intéresser de nous reconnaître de la sorte, face à la justice bourgeoise. A mon avis, il faudrait par contre parler, du moins dans notre cas, de « routine », pour ce qui concerne des révolutionnaires : les perquisitions, les enquêtes, les imprévus, les attaques répressives de l’État (pour ne citer que des choses négatives).
Cela ne signifie pas que nous devons subir passivement les éventements, mais reconnaître que notre champ de bataille est ailleurs : dans les rues, dans les lieu de l’exploitation par le travail, là où il y a l’autorité, la prévarication, l’oppression, avec leurs structures et leurs responsables, là où des humains et des animaux sont enfermés, là où la Terre est empoisonnée, là où l’action directe et l’attaque prennent forme et donnent un sens aux théories de l’anarchisme.
Nous ne pouvons pas nous sentir « persécutés » par l’État ou « victimes » de la répression si, une fois qu’on a reconnu les principes et les perspectives de l’anarchisme, nous avons déclaré la guerre sociale contre le Capitalisme, contre toute institution, tout patron, toute autorité. Cela serait une mensonge inacceptable et incongrue, que de se considérer comme des victimes ou des personnes persécutées, et cela nous amènerait à des prises de distances faciles, à des dissociations ou encore au risque de renier les idées dans lesquelles nous croyons, dans le but d’obtenir quelque réduction de peine fictive ou les primes d’une logique paternaliste.
Pour revenir à l’analyse du dossier, ce qui frappe avec une ironie amère est le fait que, en ce temps de guerre, c’est l’OTAN qui fait école en cette enquête, nous éclairant sur la définition des dénommés IED (improvised explosive device, engin explosif improvisé). Dans le rapport d’analyse du matériel saisi, la Section de Chimie du RIS des Carabinieri de Parma utilise justement l’érudition de sa préparation militaire. Probablement, un quelque « opérateur technique », comme ils appellent en démocratie les répresseurs et les assassins en uniforme, a trouvé le temps, entre un bombardement à sous-munitions et un autre à l’hydrogène, sur la tête de civils, et les négociations pour la fourniture d’armes et de munitions à des pays en guerre, d’écrire la définition des typologies et des techniques de construction des « engins explosifs improvisés ».
L’OTAN n’est pas une organisation de défense, mais une organisation militaire impérialiste, qui a pur but l’expansion de son influence de pouvoir géopolitique ; en effet, les guerres lors desquelles l’OTAN est intervenue activement, par l’invasion de territoires, sont nombreuses. Cependant, comme pour un paradoxe absurde, la sécurité à laquelle les États aspirent est définies en termes de puissance nucléaire à disposition de leurs armées, de pouvoir d’extraction ou de gestion de ressources fossiles ou d’appartenance à cette organisation militaire. Ces choix politiques sont le plus clair des enseignements quant au fait que ce qui détermine les rapports de force est toujours le niveau de violence que les différents acteur peuvent atteindre.
Assurément, la politique internationale n’a rien à voir avec la morale ou l’éthique, mais elle représente de manière assez exemplaire, à travers les visées expansionnistes des organisation militaires ou des Empires, l’étroit maillage du pouvoir, qui, à grande échelle, par la politique capitaliste va-t-en-guerre, pille des territoires stratégiques et fonctionnels aux intérêts économiques des États, des grandes entreprises, des multinationales et des banques qui leur prêtent les capitaux.
Au niveau planétaire, les gouvernements de toute tendance ont soutenu l’expansion impérialiste et néocoloniale des États et des grandes puissances, au carrefour entre pouvoir politique, économique et militaire, et, dans une période récente, ils ont organisé le néocolonialisme en Afrique. L’Italie a par exemple participé à l’occupation militaire de pays comme l’Irak, la Libye, le Yémen, la Somalie, le Liban, l’Afghanistan, dans le travail exténuant d’intégration du monde entier avec les nécessités des lobbys du marché et de l’exploitation des ressources, selon les besoins de l’Occident, mais pas seulement. Tout cela en administrant d’une main de fer les migrations des opprimés, par le financement de dictatures qui gèrent les frontières, par les morts dans la Méditerranée, par la construction de camps en Libye et le recours à des mercenaires et à des militaires lors des rafles aux frontières orientales de l’Europe et sur les côtes septentrionales de l’Afrique. Aucune de leurs interventions n’a libéré des pays « en voie de développement » de l’étau du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale.
Mais l’oppression ne se dessine pas seulement à un niveau mondial. Même si on restreint le regard, plus proche de nous, on voit que ce que les gouvernements, dans leur forme « post-démocratique », proposent au niveau national n’est certainement pas la politeìa, mais la consécration des élites au pouvoir, dans le signe du maintient, par le profit, de l’ordre établi.
En effet, en Europe, même les partis du populisme de gauche ont utilisé l’austérité pour faire face à la récession économique, en faisant payer celle-ci aux exploités, par l’augmentation de la crise des dettes, alors que la délocalisation de la production a produit des chômeurs ici et encore plus d’exploités à l’étranger, et par l’augmentation des capitaux des grandes entreprises. Dans certains cas, le capitalisme a trouvé une solution à la crise de la globalisation dans le protectionnisme, en augmentant la richesse des producteurs, dans une spirale sans fin d’inégalité et d’exploitation, pour le privilège de peux, sur le dos du plus grand nombre.
La critique de ce système de pouvoir ne peut qu’être totale.
Dans l’opposition à cet ordre autoritaire imposé, les révoltes, les parcours de lutte radicale, les pratiques individuelles de libération, les révolutions sont, comme depuis toujours dans l’histoire, les moments où la lutte pour la dignité et la justice sociale détermine la croissance humaine, éthique, individuelle ou sociale, et l’émancipation, individuelle ou collective. Les luttes anarchistes et les pratique révolutionnaires font partie elles aussi de ce parcours.
Les rébellions contre l’oppression ont eu lieu et vivent malgré le nationalisme, la répression ou le réformisme, qui ont toujours fermé les horizons conquis par les révolutions et par les luttes pour la liberté, et ont toujours essayé, dans le monde occidental, de restaurer les valeurs de l’ordre libéral de la production et de la consommation, ainsi que le monopole étatique de la violence, exercée par ses appareils armés.
En Italie, en particulier, cela a été possible aussi grâce à des dirigeants politiques qui ont couvert avec le secret d’État des massacres délibérés de civils, alors qu’aujourd’hui, par une utilisation alambiquée de l’appareil législatif et juridique, des accusations de massacre indiscriminé sont portées contre des compagnons et des compagnonnes, pour des massacres qui n’ont jamais eu lieu. Prochainement, des compas anarchistes qui n’ont jamais renié leur parcours révolutionnaire verront la continuation, dans les salles des tribunaux italiens, des procès où ils/elles sont accusé.e.s de massacre indiscriminé. Ces représailles vindicatives, légitimées par le pouvoir, sont une tentative évidente de frapper les compas et aussi la portée, la cohérence et l’intégrité de l’idée anarchiste. Cela fait partie des jeux du pouvoir, aussi du pouvoir démocratique, et de son engagement continuel à créer une narration historique révisionniste, pour que celle-ci influence directement la psychologie collective et qu’elle aide indirectement à la gestion sociale de l’ordre intérieur et à la lutte contre ses ennemis.
A ce propos, je veux envoyer mes salutations, au-delà des barreaux, à celui qui est un exemple de détermination et de cohérence, le compagnon Alfredo Cospito, qui, pendant des années d’emprisonnement dans des sections à Haute sécurité, a continué à défendre avec obstination son idée anarchiste et les pratiques révolutionnaires. Par ses écrits, ouverts au mouvement anarchiste, par ses contributions à des rencontres et à des journaux, par la publication de ses livres, il a apporté sa contribution au débat hors de la prison, il a protesté et s’est solidarisé avec d’autres prisonniers, sans jamais se baisser à des compromis idéologiques ou à des prises des distance des pratiques de l’anarchisme. Maintenant, pour lui aussi s’est concrétisé l’épouvantail punitif du 41 bis, ce régime de prison dure qui, dans l’Italie républicaine « libre et démocratique », légitime l’État dans sa pratique de la torture psycho-physique et qui planifie l’anéantissement de la personne. En effet, début mai Alfredo a été transféré au régime 41 bis.
Du coup, encore plus dans un pareil moment, je réaffirme ma solidarité et ma proximité avec Alfredo, un ami et un compagnon qui nous trouvera toujours à ses côtés, et je renouvelle ma solidarité aux compas qui passent en jugement sous l’inculpation de massacre indiscriminé.
La fonction de la répression est de conserver les rapports de privilège, mais, tant que ceux-ci continueront à exister, ils trouveront toujours des individus indomptables, prêts à les combattre.
Longue vie à l’anarchie.
Evelin Sterni, et anarchiste.