reçu par mail (légèrement adapté) / mercredi 14 août 2019
Suite à l’arrestation de l’anarchiste Vincenzo Vecchi, qui a eu lieu le 8 août grâce à la collaboration des polices italienne et française, le matin du 14 août, à 11h à la Cour d’Appel de Rennes, il y a eu la première audience pour statuer de son extradition vers l’Italie. Selon les rares informations disponibles, ce matin les juges n’ont rien décidé en ce qui concerne l’extradition, parce qu’ils manqueraient « plusieurs éléments » nécessaires. Une autre audience a été fixée, pour le 23 août. Jusqu’à là, Vincenzo devrait rester à la prison de Rennes.
[…] Le greffe de la taule n’a pas fourni le numéro d’écrou aux compas qui ont appelé, prétextant qu’il suffirait d’indiquer son nom et prénom pour que le courrier lui soit livré. On peut toujours essayer. Voici donc son adresse :
Vincenzo Vecchi
Centre pénitentiaire de Rennes-Vezin
Rue du Petit Pré
35132 – Vezin-le-Coquet
Vincenzo était en cavale, et recherché, depuis 2012, suite à sa condamnation définitive à 11 ans et 6 mois de prison pour cause d’inculpations (« dévastation et saccage ») liées aux journées de révolte contre le sommet du G8, qui a eu lieu à Gênes en juillet 2001.
Voici la déclaration de Vincenzo, lue au tribunal en 2007, pendant le procès contre une vingtaine de personnes, inculpées pour la révolte contre le G8 et pour certains faits qui se sont passés ces jours-là.
Déclaration à l’audience du 7 décembre 2007, au procès en première instance contre 25 inculpés pour la révolte contre le G8 de 2001 à Gênes.
Tout d’abord, une petite introduction : en tant qu’anarchiste, je pense que les concepts bourgeois de culpabilité et d’innocence sont totalement dépourvus de sens.
Ma décision de vouloir débattre dans un procès, à propos d’« actions délictueuses » dont on veut me tenir pour responsables, avec d’autres personnes, et surtout le fait d’exprimer ici ma façon d’être et de voir les choses, pourrait être interprétée de manière erronée. Il me faut donc préciser que l’esprit dans lequel je fais cette déclaration, après des années de mise en scène médiatique des faits dont on débat ici, c’est la volonté qu’on entende aussi la voix des inculpés. Avec cette courte intervention, je ne cherche cependant pas des voies de fuite, ni des justifications ; pour moi ça serait absurde même si la Cour décidait que se révolter est légitime : ce n’est pas son rôle.
Lire ces éventements à partir d’un certain point de vue, avec un certain type de langage (celui de la bureaucratie et des tribunaux) ne signifie pas seulement les prendre en compte de manière partielle, mais signifie en déformer la portée, le positionnement historique, social et politique, cela signifie les dénaturer complètement, en dehors du contexte dans lequel ils ont eu lieu.
Ce qu’on me reproche dans ce procès, le délit de dévastation et saccage, comporte, selon le langage du Code pénal, qu’« une pluralité de personnes prend possession de façon indiscriminée d’un grand nombre d’objets, afin de provoquer la dévastation ». Pour ce type de délit on demande des condamnations très longues, cela malgré le fait qu’il ne s’agit pas d’actions particulièrement détestables ni de crimes odieux.
J’ai toujours assumé la pleine responsabilité et les éventuelles conséquences de mes actions, y compris ma présence dans la journée de mobilisation contre le G8, le 20 juillet 2001; et même plus, je me sens honoré d’avoir participé, en homme libre, à une action radicale collective, sans aucune structure hégémonique au dessus de moi. Et je n’étais pas seul : avec moi il y avait des centaines de milliers de personnes qui, chacune avec ses petits moyens, ont œuvré pour s’opposer à un ordre mondial fondé sur l’économie capitaliste, qui se nomme aujourd’hui néoliberalisme… la bien connue globalisation économique, qui se dresse sur la faim de milliards de personnes, empoisonne la planète, pousse des masses à l’exil pour après les déporter et les enfermer, invente des guerres, massacre des populations entières : c’est ça que j’appelle dévastation et saccage.
Avec cet grande expérience en plein air qui a été faite à Gênes (pendant les mois précédents et pendant les journées de cette kermesse de dévastateurs et saccageurs planétaires), que quelque ringard s’obstine encore à appeler gestion de l’ordre public, il y a eu un clivage : après Gênes rien ne sera plus comme avant, ni dans les rues, ni, encore moins, lors des procès pour d’éventuels débordements.
Avec des sentences de ce type, on ouvre la voie à un modus operandi qui deviendra une pratique normale dans de tels cas, c’est à dire frapper dans le tas des manifestants, pour faire peur à quiconque ose participer à une manifestation, un cortège, une démonstration… je ne crois pas que ce soit exagéré de parler de mesures préventives de terrorisme psychologique.
Je ne discuterai par contre pas, ici, du concept de violence, qui est-ce qui l’exerce et qui doit s’en défendre et ainsi de suite : cela non pas pour tenir une attitude ambiguë par rapport à l’utilisation ou pas de certains moyens, dans la lutte de classe, mais parce que je pense que ce lieu n’est pas adapté à tenir un débat qui est le patrimoine du mouvement subversif, dont je fais partie.
Deux mots à propos du procès contre les policiers [en parallèle aux procès contre des manifestants, l’État démocratique italien a instruit aussi des procès aux flics accusés de violences – et de l’assassinat de Carlo Giuliani; inutile de dire que les sentences ont été bien plus clémentes ; NdAtt.].
On essaye, avec le procès aux prétendues forces de l’ordre, de donner une sensation d’équité… les procureurs ont voulu comparer les violences entre police et manifestants à une guerre entre bandes : sans trop de périphrases, je dis seulement que je ne songerais jamais à taper lâchement des personnes menottées, à genoux, dénudées ou dans une attitude visiblement inoffensive, avec l’intention précise d’humilier, dans le corps et dans l’esprit… Je suis habitué, désormais, à me voir traiter de provocateur, d’infiltré, etc. [après les émeutes, tout le cirque associatif/gauchiste a voulu croire que les affrontements étaient provoqués par quelques flics infiltrés; NdAtt.] et c’est dur, mais être comparé à un bourreau en uniforme, ça non… cette affirmation est révoltante ! Elle est digne de ceux qui l’ont formulée.
Et puis, instruire un procès contre des policiers et des carabinieri pour rappeler qu’on est dans une démocratie, signifie tout réduire à une poignée de fous violents, d’un côté, et à des cas de zèle excessif dans l’application de la loi, de l’autre côté. Cela, en plus d’être synonyme de misère intellectuelle, montre la faiblesse des raisons qui motivent l’engagement à préserver l’ordre social actuel.
De mon point de vue, faire le procès de la police en parallèle à celui des manifestants signifie donner aux prétendues forces de l’ordre un rôle trop importants dans ce qui s’est passé ; cela signifie enlever de l’importance aux actions menées par les personnes qui sont sorties dans la rue pour exprimer ce qu’ils pensent de cette société, en les cantonnant toutes dans un rôle de victimes d’un pouvoir tout-puissant. Carlo Giuliani, comme de nombreux autres de mes compagnons, a perdu sa vie pour avoir exprimé tout cela avec le courage et la dignité qui caractérisent depuis toujours ceux qui ne se soumettent pas à cet ordre des choses ; il ne sera pas le dernier, jusqu’à quand les rapports entre les personnes seront dictés par des instances externes, qui ne représentent qu’une petite minorité sociale. Et puisque je suis désabusé et que je donne la signification correcte au terme démocratie, l’idée qu’un représentant de l’ordre établi passe en procès pour avoir accompli son devoir me fait, sincèrement, rigoler. L’État fait le procès de l’État, dirait quelqu’un, et à raison.
Il va certainement y avoir des condamnations et je ne les vivrai certainement pas comme un signal d’indulgence ou d’acharnement à notre encontre, de la par de la Cour. Il faudra les considérer, en tout cas, comme une attaque vers tous ceux qui, d’une façon ou de l’autre, mettrons toujours en jeu leurs vies, afin de bouleverser l’existant de la meilleure manière possible.