Vetriolo, giornale anarchico, n° 2 / automne 2018
Il existe de nombreux lieux communs quant à la prison au sens large et, plus en particulier, quant aux différentes déclinaisons à travers lesquelles percevoir cette structure de coercition par antonomase et la façon de s’y opposer.
Dans le mouvement subversif, surgissent régulièrement des analyses et des propositions plus ou moins judicieuses sur la prison en général, sur les sections à Haute-surveillance avec leurs séparations entre détenus, sur les « luttes des prisonniers », sur la conflictualité présente, latente ou rêvée. C’est surtout cette dernière qui est répandue.
On est antiautoritaires à cause de sa raison, de son éthique et de son instinct et sur la base de ces puissants critères d’évaluation il est aisé de percevoir la distance entre certaines théories (et les généralisations confortables qui vont avec) et la réalité vécue.
Souvent l’enfermement ne fait que rendre plus évident, transparent, le mécanisme de la servitude volontaire : elle est la même pour tout individu, qu’il soit libre ou emprisonné.
On ne peut pas changer les rêves avec la vie, il est difficile de faire confusion entre une vision mythifiée de la prison comme école de lutte qui forme des consciences révolutionnaires, et la prison -hôpital de la réalité, un miroir d’une société-hôpital qui prive l’individu de tout choix existentiel, même minime, et voudrait instiller résignation, couardise et indifférence.
La dure rencontre, concrète, avec les placards de la dissidence et de l’altérité, prend la forme d’une adaptation collective : d’une usine de consommateurs libres à celle de leur contreparties en taule.
Dans les cages de la démocratie, la violence évidente est rare, mais féroce quand elle se manifeste ; au contraire est omniprésent l’énorme travail de classement, de médicalisation du malaise, d’infantilisation de l’individu, d’octroi des miettes démocratiques : une attribution sédative de petites portions de « vivable », dans un environnement qui est la non-vie par antonomase.
Toute proportion gardée, on passe sans sursaut du citoyen productif-consommateur au détenu-consommateur puis au paria total.
Du grand bazar de la réinsertion/ boutique équitable/ prison de Rebibbia, au restaurant dans la prison de Bollate ou dans celle des Vallettes, destiné à une clientèle externe (triée sur le volet) qui veut éprouver le frisson de l’enfermement le temps de sa pause-midi, ou encore en passant par toutes les déclinaisons (de « la restauration pour bobo » à l’artisanat typique des prisonniers) de la réinsertion/exploitation/travail en prison, on va aux trous sans aucun lien avec l’extérieur que sont les prisons en régime de 41bis [régime carcéral spécial, à très haute surveillance, crée par l’État dans les années 90 dans sa guerre contre les mafias et puis élargi au « terrorisme », c.a.d. aux groupes révolutionnaires ; NdAtt.], aux cages à poules que sont les Centres de détention pour migrants ou les sections « communes », surpeuplées, des prisons.
Un miroir des actuelles sociétés occidentales, où cages démocratiques et abattoirs pour êtres humains indésirables sont les seuls cadeaux offerts aux marginaux que ce système social n’a pas placé et/ou ne veut pas placer.
Quel qu’il soit l’enclos, indépendamment de la taille du maillage du filet et de l’acceptabilité des solutions offertes, ceux qui les offrent, dedans comme dehors, sont toujours les mêmes figures portées sur la récupération et sur l’exploitation économique : le pouvoir, laïque ou religieux, différentes associations avec leur cortège triste et multicolore d’éducateurs, opérateurs, volontaires ou autre.
En tant qu’anarchistes, on devrait affronter la question de la prison à partir d’une simple donnée empirique. On y finit dedans et on y résiste, avec son propre bagage pratique et théorique. A partir de là doit naître toute analyse ou hypothèse d’opposition et résistance au Moloch-prison.
Le fait de prendre pour des luttes celles qui n’en sont pas, ne veut pas dire que rien ne soit judicieux ou possible dans les prisons démocratiques. Au contraire, on remarque encore plus toute tentative de reprendre la liberté niée, dans la résistance consciente à l’assujettissement forcé et à la servitude volontaire que le « sain » et mortifère réalisme du possible oppose à l’impossible, à ce qui est déplacé.
Avec une pensée pour tous ces compagnons qui continuent à pratiquer l’impossible, à ceux qui ont sauté par-dessus le mur ou essayé de le faire.
Anna Beniamino
Rome, automne 2017