Publicacion Refractario / jeudi 28 juin 2018
Le 5 mai 2010, une nouvelle grève générale était appelée en Grèce. Une grande manifestation et des émeutes secouèrent la ville d’Athènes. Tandis que des manifestants essayaient de rentrer dans le Parlement et affrontaient la police, plusieurs magasins étaient pillés et brûlés. Dans ce contexte, un groupe de compagnon.ne.s anarchistes a attaqué à l’aide de cocktails Molotov une succursale de la banque Marfin, l’incendiant sans se rendre compte que 3 employés étaient restés bloqués à l’intérieur.
Ce fait a été utilisé jusqu’à aujourd’hui pour récriminer la violence anarchiste dans la rue, tant de la part de la presse et des puissants que des secteurs plus pacifiques de l’anarchisme.
En 2013 Thodoris Sipsas a été arrêté, accusé de l’incendie de la banque et de la mort des trois employés. Il a finalement été acquitté de toutes les charges. Cette même année, ce sont trois responsables de la banque Marfin qui ont été accusés de sécurité insuffisante vis-à-vis de leurs employés.
La Conspiration des Cellules de Feu développe dans ce texte une réflexion sur ce qui s’est passé à ce moment là et sur l’état du mouvement acrate. Il s’avère important de reconnaître les différences entre les événements qui ont eu lieu en Grèce et à Valparaiso, principalement par le cours des faits durant l’incendie. En Grèce, l’incendie a eu lieu contre une banque, où se trouvait des employés bien que la banque semblait fermée ; tandis qu’à Valparaiso, l’attaque incendiaire a eu lieu dans une pharmacie, et la fumée de l’incendie a asphyxié un employé municipal qui travaillait quelques étages au-dessus.
En prenant en compte ces différences, la transmission d’expérience face à de telles situations s’avère toujours productive, visant toujours à renforcer le combat anarchiste, la lutte dans la rue et la confrontation.
[NdAtt.: Le 5 mai 2010, il y a eu en Grèce une grève générale contre le vote au Parlement, le lendemain, du plan d’austérité voulu par la « Troika » (UE, BCE, FMI). 200.000 personnes ont manifesté à Athènes, d’autres à Thessalonique et dans d’autres villes. Dans la capitale, 3 bâtiments ont été incendiés, dont une filiale de la banque Marfin. A l’intérieur il y avait 20 personnes, qui sont restées bloquées. Trois y ont trouvé la mort.
Nous pensons que cette réflexion, comme celle faite par des compas chilien.ne.s lors d’un fait similaire qui a eu lieu à Valparaiso, peut avoir un intérêt aussi en France. La problématique des possibles conséquences de la violence révolutionnaire, et de la façon de les affronter, ne doit pas être ignorée. Au cas contraire, on courrait le risque que de telles tragédies se produisent ici aussi (et parfois ça aurait pu être le cas, comme lors de certaines manifs de ces trois dernières années). Et si cela arrivait, comment ne pas tomber dans l’immobilisme, la peur ou, pire, les « prises de distance » ?
Il y a des élements de ce texte que nous ne partageons pas. La distinction entre « cibles sans signification » et « belles cibles », comme ils/elles font les compas, ne nous appartient pas. Même des structures « minimes » comme les arrêts de bus, les kiosques etc. ont une fonction pour l’autorité économique et étatique. Idem pour les citations du chef du groupe maoïste Sendero Luminoso, responsable entre autres saloperies de massacres de villageois dans les Andes péruviennes dans les années 80 et 90. Cependant, ces exemples ne changent rien à l’importance du fond d’un texte comme celui-ci.
Ce texte a été traduit depuis sa version anglaise, publié en juillet 2010.]
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Déclaration à propos des événements du 5 mai 2010 en Grèce
Et la mort n’aura plus de pouvoir…
Lors des incidents du 5 mai, avec l’incendie de la banque Marfin il y a eu trois employé.e.s de la banque qui sont mort.e.s et des milliers de vérités « calcinées ».
L’atmosphère suffocante et l’hypocrisie larmoyante de la propagande officielle, ainsi que l’humanisme moralisant usé des Cassandres du mouvement radical nous obligent à prendre position publiquement à propos de ces événements. Cela ne signifie pas que nous parlons en tant que « spécialistes » de la violence, ou que nous serions des procureurs auto-proclamés ou avocats des personnes qui ont attaqué le bâtiment de la banque.
Mais nous pensons qu’il faut que certaines choses soient dites et mises sur la table. Pour ce faire, la présence concrète et la connaissance de ce qui est arrivé ce jour là n’est pas, à ce point, nécessaire. D’après nous, ce qu’il faut c’est une attitude sérieuse et responsable face à des pratiques révolutionnaires de ce type (comme brûler une banque), ainsi que le fait de les soumettre à l’examen et à l'(auto)critique d’un fait réel (la mort de trois employé.e.s, qui n’étaient pas la cible de la violence révolutionnaire).
Le nihilisme révolutionnaire que nous exprimons suppose une pensée élaborée et une pratique qui a été construite loin des démonstrations de faux cynisme du type « allons, c’était des employé.e.s de banque, c’est bien qu’ils aient brûlé…», mais aussi loin des pleureuses hypocrites qui cherchent des coupables à qui faire des reproches, tout en prêchant depuis leur position d’infaillibles révolutionnaires humanistes.
Mais commençons par le début…
Dans la métropole et dans cette parodie de vie que nous vivons, la mort n’est rien d’autre qu’un fait divers de plus, un morceau d’information distant, parmi tant d’autres, une colonne dans un journal, une autre statistique.
Chaque jour des personnes meurent, de maladies dans des hôpitaux, dans des accidents de la route, à cause d’accidents dans les galères du travail, d’overdose dans des passages souterrains. Et on veut nous apprendre à être insensibles face à ces nombreuses morts anonymes. Parce que ce ne sont que des chiffres : « trois morts dans un accident de voiture, deux morts d’overdose ». Ça ne « vend» pas dans les médias, ils ne sont pas prévus dans l’emballage supposé humanitaire, donc ils ne font pas d’audience.
Bref, ce sont des morts qui n’apportent rien au système. Tous les bourreaux de la télé, du plus conservateur jusqu’au plus subversif, qui étaient soi-disant choqués par les trois morts de la banque Marfin, ne seraient même pas capables, même pas pendant une minute, de traiter de la même manière toutes les morts anonymes provoquées par le système qu’ils servent loyalement.
La vérité c’est que, à partir des faits du 5 mai, on a vu se mettre en place un obscène pillage de tombe et un puissant marché des sentiments dans l’intérêt du système.
Victimes collatérales et pillages de tombes émotifs
Face à la crise sociale imminente, le spectacle de la mort a causé son propre court-circuit. Les manifs « ont diminué », des sondages de l’opinion publique contraires aux manifestations et aux grèves ont suivi, les fleurs du Premier ministre ont été déposées en direct à la télé, les flics ont envahi le squat « Zaimi » et le « Groupe de migrants» à Exarchia, les unes des journaux à propos des « anarchistes assassins » ont fleuri, les fascistes ont appelé à un rassemblement devant la banque et la situation en est au point de la dénonciation publique de « ces bandes » et de la confusion mentale « individualiste-nihiliste-chaotique » et des «stupides assassins », de la part de caricatures de clowns anarchistes [Nous ne savons pas avec certitude à quels communiqués font référence les compas de la CCF. Même si les termes cités ne sont pas exactement les mêmes (peut-être à cause des traductions successives), on pense qu’il s’agit, entre autre, du texte « L’anarchie est une lutte pour la VIE, la LIBERTÉ et la DIGNITÉ« , signé par le Collectif anarchiste Cercle du feu et le Bulletin anarchiste Drapeau Noir; NdAtt.].
Mais au-delà de la propagande et de ses techniques, les faits restent des faits. Trois employé.e.s de banque, qui n’étaient pas la cible, sont morts lors de l’incendie de la banque où ils étaient en train de travailler. Là, c’est à notre tour de ne pas tomber dans le piège des statistiques ou de la manipulation émotionnelle. Nous ne parlerons certainement pas le langage du « mauvais moment » ou des « victimes collatérales ». Car c’est le langage de l’ennemi et ça nous rappelle la rhétorique de l’armée américaine et de ses généraux lors de la guerre en Afghanistan. D’autre part, nous ne ferons pas semblant de commémorer la mort de trois personnes, car, aussi tragique que ce soit pour leurs familles, ce serait une autre nouvelle stérile si ça n’était pas le résultat, dans ce lieu et moment précis, d’une pratique révolutionnaire.
En quelques mots, nous ne demandons aucun espace sentimental dans la « sphère du spectacle », faisant semblant d’être secoué.e.s par un délire humanitaire nourri par la télé, dans lequel déjà assez de personnes venant du mouvement radical se sont embourbées. Non, nous n’agirons pas comme des « gros durs exclusivement dévoués à la cause », mais nous croyons que si ces trois morts avaient eu lieu dans un accident de la route, peu de monde aurait été au courant, même seulement à titre d’information. Du coup, ce n’est pas le triste fait de la mort qui a agi de catalyseur pour créer une atmosphère anesthésiée et gênante, mais sa cause. Ainsi, nous devons creuser dans la réflexion, pour analyser le problème à ses racines, évitant tout pillage de tombe émotif.
Si c’est vrai qu’il y en a qui veulent chercher des assassins brutaux, alors ils doivent chercher dans les rangs des Vgenopoulos (le propriétaire de la banque) et de ses semblables. Sa gestion et ses ordres, conjointement à l’obéissance de la part du personnel, sont ce qui les a amené à travailler dans une banque qui n’avait pas de système anti-incendie, derrière des portes fermées. Les bâtards du type de Vgenopoulos sont les instigateurs de dizaines de morts (physiques ou mentales) de travailleur.euse.s, que ce soit par des accidents ou dans l’humiliation quotidienne et les conditions de travail imposées par la discipline. Une fois ceci posé, nous pouvons maintenant faire face à nos propres carences, lacunes, erreurs, négligences, de manière à forcer la sortie d’urgence pour échapper à une pensée unilatérale qui veut rendre les patrons responsables de tout, ce qui nous soulage mais ne nous fait pas avancer.
Qui est donc responsable de la mort de ces trois employé.e.s de banque ?
La pratique révolutionnaire du « frapper et disparaître »
Parlons maintenant de possibilités, de stratégies et d’habitudes. Pour commencer, depuis des décennies, ici en Grèce le « frapper et disparaître » est une pratique bien rodée, lors des grosses manifestations. On parle de petits groupes combatifs de manifestants anti-autoritaires qui sortent du cortège principal des manifestants et mènent des actions éclairs contre des cibles choisies à l’avance (banques, véhicules de médias, police antiémeute), retournant ensuite dans la masse des gens, afin de frapper à nouveau ou de disparaître. En ce qui concerne la dimension politique de cette pratique, il faut souligner que le « frapper et disparaître » n’appartient pas exclusivement à une tendance particulière parmi les anarchistes. Les anarchistes « sociaux » utilisent (ou utilisaient, surtout par le passé, quand ils constituaient une composante plus puissante) le « frapper et disparaître » dans la logique de faire déraper la manifestation et diffuser la conflictualité. Ils pensent que, de cette façon, ils agissent comme détonateur d’explosion sociale et contribuent à l’aggravation de la lutte sociale.
La tendance insurrectionaliste intermédiaire a hérité de la pratique du « frapper et disparaître », et y a apporté quelques évolutions organisationnelles permanentes, s’agissant principalement de l’expérience de moments de conflit et des relations (solidarité, auto-organisation, dépassement des rôles) qui sont développés en dehors des stéréotypes dominants prédéfinis. L’élément commun à ces deux composantes est celui d’identifier les manifestations syndicales comme des moments de lutte sociale, que les « anarchistes sociaux » et les insurrectionalistes encouragent, avec leur présence et l’action en leur sein.
La nouvelle tendance anarchiste, individualiste/nihiliste, le troisième pôle dans cette description, dessine une nouvelle perception par rapport aux luttes sociales et aux manifestations. Dans la masse des dizaines de milliers de personnes qui suivent comme un troupeau lors des manifestations de travailleurs, nous ne reconnaissons pas forcément des personnes qui partagent nos valeurs ou parlent le langage de la libération. Les mobilisations sociales sont un méli-mélo d’incohérences et de comportements qui couvrent tous les territoires de la pensée humaine, du conservatisme paysan au patriotisme de gauche, aux alternos, aux réformistes, jusqu’au point de vue anarchiste.
La manifestation fonctionne comme l’addition de milliers de personnes distinctes, qui suivent des chemins différents, parfois hostiles les uns aux autres, qui s’unissent soit par intérêt, soit à l’occasion d’un appel des syndicats (comme lors de l’opposition aux lois sur les assurances [en Grèce ; NdAtt.]). La grosse majorité des composantes de telles manifestations demande le retour à la vie d’avant (avant le vote de la législation qui touche à leurs droits) ou, dans sa version plus de gauche, l’amélioration de la norme à travers des solutions plus progressistes et humaines, dans les limites du capitalisme ou du communisme d’État. Ce n’est pas une coïncidence si les slogans les plus répandus lors des manifs demandent l’application de lois équitables, contre les mesures anticonstitutionnelles du gouvernement.
Même la déviation combative d’une manifestation de son parcours est souvent une amas de contradictions. Lors du siège agressif du Parlement, le 5 mai, certain.e.s manifestant.e.s chantaient l’hymne national, d’autres jetaient des pierres, d’autres demandaient à la police antiémeute de les rejoindre, le Parti Communiste balançait les fauteur.euse.s de troubles, d’autres criaient contre ceux/celles qui cassaient des banques tandis que certain.e.s les applaudissaient et les anarchistes dressaient des barricades.
Un large panel de comportements de toute sorte, répété des milliers de fois ces trente dernières années.
Avant-garde révolutionnaire et militarisme révolutionnaire
Nous, avec notre vision, ne constituons pas une avant-garde révolutionnaire illuminée, ni une bande élitiste. Chacun.e de nous a vécu des contradictions, y a été melé.e, y a participé, jusqu’à ce que le besoin d’un développement personnel et d’esprit, les expériences différentes, les discussions et les observations collectives, les pages intéressantes dans des livres et des manuels, les réflexions individuelles et le désir d’exacerber l’action révolutionnaire aient exigé de repenser notre participation aux manifestations. A cause de la typologie d’idées et d’actions que nous exprimons, le fait que les conflits se limitent à éclater de temps à autre ne nous satisfait plus.
Nous croyons en des structures organisées qui ont un impact et dans une perspective clairement révolutionnaire, avec une mémoire, un présent et une perspective. Il n’y a pas de relation entre l’anarchiste cagoulé.e qui « casse et incendie » parce qu’elle/il refuse les miettes qui lui sont offertes en guise de vie, qui refuse la culture du spectacle, la valeur de l’argent et une conscience soumise, et l’employé « énervé » qui lève pour un instant la tête parce qu’il sent que ça ne va pas. Ce dernier est la même personne qui, auparavant, quand il était confortablement rangé, était dérangé par les « fauteurs de troubles ».
Il y a un énorme écart de valeurs, qu’aucune violence et aucun moment de conflit ne comblera, s’il n’y a pas une sensibilisation et une conscience de soi fondamentale. Nous considérons comme des contributions allant dans cette direction de sensibilisation révolutionnaire les déclarations, les textes, les livres, les brochures, les tags sur les murs, les affiches. C’est notre attaque de propagande théorique contre une système qui mérite de mourir. Et les manifestations ? Les manifestations y contribuent elles aussi, mais nous devons les voir dans une nouvelle perspective. Personne n’est née guérillero.a ou révolutionnaire, il s’agit d’un processus graduel d’évolution pour définir sa vie sans compromis.
Les manifestations telles que celle du 5 mai sont les préliminaires nécessaires, la porte d’entrée appropriée pour ceux/celles qui veulent avoir un premier contact avec la violence révolutionnaire. Du coup, le développement du « frapper et disparaître » dans des conditions non favorables, avec des flics par centaines en ville est une expérience qui tranche pour celles/ceux qui veulent aiguiser leurs outils théoriques et pratiques dans les conditions de bataille dans la métropole. Ce sont les exigences appropriées pour le développement pratique d’autres formes d’action de la part de la nouvelle guérilla. Notre but est d’organiser le « militarisme révolutionnaire ». Une perception anti-hiérarchique, sans chefs, rangs et suiveurs, qui favorisera la création de groupes de combat anti-autoritaires petits et flexibles, qui cartographieront la ville, les cibles, les voies de fuite, qui seront équipés du nécessaire, qui développeront les relations avec les groupes d’affinité respectifs, seront ouverts (avec l’attention nécessaire) à des nouveaux.elles compagnon.ne.s, élaboreront des plans d’attaque et utiliseront (sans cependant y devenir hostiles) les « manifestations pour les droits des travailleurs » comme un cheval de Troie pour des campagnes révolutionnaires. Il n’y a du coup pas de question par rapport à la participation ou non aux manifestations, mais plutôt par rapport à l’évolution [du mouvent anarchiste – et aussi de cette participation ; NdAtt.].
Nous pensons que c’est seulement à travers la dimension organisée de la violence révolutionnaire que seront favorisées la cohérence, la continuité et la rigueur qui « éviteront » dans le futur des « échecs » avec des résultats si tragiques que le cas de la banque Marfin. C’est la seule façon à travers laquelle le nouveau mouvement de guérilla se propagera comme perception et comme pratique, provoquant le chaos dans la routine stérile de l’ennui organisé.
Les balances et les conséquences
Tout ceci est écrit en tant que contribution au débat dialectique de pensée et d’action entre des courants politiques différents, non pas dans le but de justifier ou couvrir quelque chose. C’est bien connu que cette attaque précise contre la banque Marfin ne portait pas la signature idéologique de la pensée politique des personnes qui l’ont menée. Si on se base sur la cible (une filiale bancaire), n’importe qui, de toute tendance anarchiste (et pas que) pourrait l’incendier. Mais il est certes assez pratique, pour les grandes gueules dans les assemblées, de coller ce qui s’est passé sur le dos de notre courant politique.
Les déclarations qui disent qu’on est touché.e.s par ce qui s’est passé et les textes d’humanitarisme missionnaire qui ont circulé venant de quelques collectifs anarchistes, avec la certitude de la condamnation concernant l’origine des « auteurs », ont offert l’exemple du vide définitif d’arguments politiques contre la « tendance nihiliste » qui « parasite le mouvement anarchiste ». Leur stupidité ne nous dérange pas, mais quand certaines personnes atteignent le point dangereux d’en « balancer » d’autres lors d’assemblées ou dans des bars, simplement pour satisfaire les oreilles impatientes de la police, ces individus seront donc traités comme ils le méritent : comme des balances, avec les conséquences qui en découlent.
Action qui vise un but et échec autiste
Pour retourner au comment et au pourquoi de l’affaire Marfin, peu importe quelle tendance anarchiste on exprime en tant qu’individu ou collectif, il faut reconnaître que les trois courants politiques (« anarchistes sociaux », « insurrectionalistes », « individualistes-nihilistes ») ont une caractéristique commune. La délimitation claire des actions qui visent un but (bâtiments du gouvernement, forces de l’ordre, symboles de richesse). Les trois employé.e.s qui étaient en train de travailler un jour de grève ne peuvent pas être considérés comme des ennemis, mais pas non plus comme des alliés. Du coup, en aucun cas ils peuvent être considérés comme l’objectif de cette attaque.
La finalité de ce que nous écrivons n’est pas d’enjoliver la situation, ni de suivre la logique de l’équidistance. C’est pour cette raison que, en marge des cibles prédéfinies, on n’oublie pas les attaques autistes sur des cibles sans signification (arrêts de bus, cabines téléphoniques, kiosques, des voitures au hasard), mais notre position est que cela constitue un exemple d’irresponsabilité, qui n’a jamais rien influencé de substantiel. Au contraire, le bâtiment de la Marfin (dans la Place Korai), en tant que palais d’une banque, constituait une belle cible.
On ne peut pas savoir ce qui s’est vraiment passé là, ni ce qui s’est dit, mais nous avons connaissance de la faiblesse chronique qui, à notre avis, a contribué à ce résultat. Nous faisons référence au fétichisme de la violence désorganisée et au peu d’importance donné aux moyens d’attaque.
Le pistolet déchargé tue…
Pour dire la froide vérité, c’est simplement un hasard que l’accident qui s’est produit à la banque Marfin ne soit pas arrivé avant. Chaque rebelle devrait établir un rapport précis de compréhension et de perception des moyens d’action qu’elle/il utilise. Tous les moyens d’action, de la pierre jusqu’au pistolet mitrailleur, peuvent se retourner, tel un boomerang, contre nous-mêmes. C’est pour cela qu’on dit qu’un « pistolet déchargé » tue plus facilement qu’un « chargé ». Les « armes déchargées » sont aussi des moyens, mais les personnes qui les utilisent n’ont pas conscience de leur emploi ni de leur efficacité. Avec ce qui s’est passé à la banque Marfin certaines personnes ont donc « découvert l’eau tiède », bien que pendant des années la situation ait été la même. Combien de fois, par le passé, lors des manifs ou pendant des attaques « nocturnes », des compagnon.ne.s se sont brûlé.e.s avec des cocktails Molotov, car fabriqués de façon médiocre, ou parce que quelqu’un.e allait trop vite pour « frapper » le premier ? Combien de fois des compagnon.ne.s ont été blessé.e.s par les pierres que d’autres, « impatient.e.s », lançaient depuis les lignes arrières sans même voir leurs cibles ? Et aussi, pour ceux/celles qui ont la mémoire courte, combien de fois les anarchistes se sont embrouillés pendant des manifs à cause de positions et comportements différents ?
Les exemples sont innombrables. Tous impliquent la même faiblesse. La séparation entre théorie et pratique, entre conscience et action.
La violence révolutionnaire apparaît comme un fétiche, reproduisant souvent le modèle de comportement machiste dominant : l’arrogance, les rôles et les « spécialisations ». Cette contradiction dans le comportement, au sein du mouvement radical, sert d’échelle de valeur dans le classement du leadership informel.
Parallèle à cela, des compagnon.ne.s plus jeunes héritent de ces relations et les reproduisent à leur tour, comme des erreurs récurrentes, mais aussi avec leur propre responsabilité individuelle. La violence, les moyens, leur utilisation, leur fabrication, les précautions, les expérimentations, les techniques, jusqu’ici n’ont jamais été mises sur la table pour des discussions collectives, afin d’y enlever le statut de fétiche, afin que la connaissance et l’appropriation effective puissent « entrer ». Il s’agissait du privilège des plus « initiés », qui « protégeaient » par ce biais leurs « rangs ». La violence devient un jeu d’adrénaline, une compétition informelle pour voir qui « casse » le plus.
Nous maintenons que, au contraire, la conscience est ce qui nous motive à développer nos compétences dans le combat et notre connaissance, de façon à nous permettre d’attaquer l’ennemi.
« Lors de entraînements, toute préparation militaire était subordonnée à la préparation politique. Quand on manipulait des produits chimiques sensibles, on nous disait de penser toujours à l’idéologie et on aurait été capable de faire tout et bien » (Abimael Guzman – Organisation révolutionnaire Sendero Luminoso).
A côté du fétichisme de la violence on voit aussi une connaissance qui n’est que partielle. Certain.e.s compagnon.ne.s ne connaissent pas l’efficacité des instruments de violence et leurs dangers, ils/elles en font un usage excessif, comme dans le cas des heures de combats spectaculaires lors de la défense des universités, mais aussi dans les attaques non-organisées contre la police antiémeute à Exarchia, avec des dizaines de cocktails Molotov qui d’habitude ne font que « noircir » le macadam, tandis que les mêmes personnes, si elles avaient discuté et s’étaient organisées, auraient pu écraser les flics et brûler leurs véhicules.
En plus de cette tradition d’adoration et en parallèle de la méconnaissance de l’utilisation des moyens, il y a la critique venant des « experts » de la violence qui ne font plus rien. Une toile de comportements dédaigneux et critiques, à partir de la position pépère de celles/ceux qui ne participent pas à la pratique révolutionnaire, avec l’excuse de l’expérience « plus ancienne », « quand les choses n’étaient pas comme maintenant, mais mieux ». Des raisonnements figés avec l’exhibition de vieilles expériences, qui dictent à chaque fois quel devrait être l’usage approprié de la violence et le contenu du mouvement de guérilla, en essayant inlassablement de dévaloriser toute pensée et pratique innovante. Des syndromes d’une façon de penser peureuse et timide, qui admire et aime ce qui est lointain dans la sphère sécurisante de l’histoire et qui démontre une arrogance de théoriciens envers ce qui essaie d’exister ici et maintenant.
Dans toute cette confusion des consciences, les personnes qui ont mis le feu à la banque Marfin, soit n’ont pas vu les gens à l’intérieur (négligence qui n’arrive pas pour la première fois – par exemple lors de l’attaque nocturne organisée contre la banque nationale sur la rue Panepistimiou, il y a quatre ans, deux ou trois personnes sont restées bloquées sur le toit), soit, ce qui est pire, elles/ils les ont vues, mais ne pensaient pas que ces personnes auraient pu mourir à cause de quelques cocktails Molotov. Même sans les connaître, nous sommes convaincu.e.s que si quelqu’un.e leur avait donné un pistolet, ils/elles n’auraient pas tiré sur ces employé.e.s. Du coup, elles/ils ne voulaient pas les tuer, même s’il y a probablement eu des voix assez stupides et cyniques disant « laissez-les mourir, ce ne sont que des fonctionnaires de banque ».
Si quelque chose a mené aux événements du 5 mai, il s’agit de l’abcès d’une tradition dominante qui couvait depuis des décennies au sein du mouvement radical ; aujourd’hui, avant tout, chacun.e doit répondre à soi-même par l’auto-critique. La plupart de ce qui a été écrit ici est en accord avec ce que nous comprenons à partir de notre expérience et de nos propres lacunes, sans être dans des élucubrations sophistiquées de quelques personnes « externes ».
Nous voyons dans cette occasion l’étincelle nécessaire pour stimuler nos pensées et nos actions, aboutissant à la publication d’un manifeste des positions et valeurs du courant nihiliste, de l’individualisme anarchiste et du terrorisme révolutionnaire que nous portons.
En même temps, le récent communiqué d’un « groupe de compagnon.ne.s qui a contribué à l’activité catastrophique qui a eu lieu dans le centre-ville lors de la manifestation du 5 mai » montre que toute expérience qui veut être révolutionnaire doit se donner comme priorité celle de créer des moments et des lieux pour la discussion et l’examen. Les compagnon.ne.s, à travers leur texte, sans tenir compte des accords et désaccords, vont précisément dans le sens de reprendre une dialectique révolutionnaire indispensable.
Le pari de la révolution ne se jouera pas dans les termes d’une supériorité militaire, ni avec des aphorismes religieux vides de contenu politique. Le nouveau mouvement de guérilla métropolitaine est un processus qui « frappe » avant tout au beau milieu des rapports humains.
Tout commence par là.
Conspiration des Cellules de Feu
Groupe de guérilla de terroristes
Fraction nihiliste