Budapest (Hongrie) : Déclaration de Maja à son procès

Budapest Antifascist Solidarity Committee / vendredi 21 février 2025

Déclaration de Maja à son procès, faite à Budapest le 21 février

Aujourd’hui, le vendredi 21 février 2025, au tribunal de Budapest, a eu lieu l’audience préliminaire pour Maja. Maja s’est vu.e proposer un marché : 14 ans de prison en échange d’un aveu de culpabilité. Maja a refusé ce marché et, à la place, a lu une déclaration combative à la cour :

Oui, j’ai quelque chose à dire ; je voudrais parler à ceux qui représentent l’État hongrois et ses citoyen.nes et qui peuvent juger en leur nom. Mais aussi à toutes les personnes qui m’écoutent. Je sais que je ne suis pas seul.e ici aujourd’hui et ressentir cela me remplit d’une profonde gratitude. Je ne suis pas non plus le/la seul.e inculpé.e dans ce procès, la répression fait preuve d’une continuité oppressante. Mais ce que je lis aujourd’hui ne vaut que pour moi, tout le reste me semblerait prétentieux. Une chose est sûre : je ne serais pas ici aujourd’hui si je ne savais pas qu’il y a de nombreux cœurs enflammés par l’empathie et la solidarité.

Ainsi, je me retrouve ici, attaché.e avec des chaînes et accusé.e dans un pays pour lequel je n’existe pas en tant que personne non-binaire, en tant que Maja. C’est un État qui exclue et sépare ouvertement les personnes en raison de leur sexualité ou de leur genre ; je suis accusé.e par un État européen parce que je suis antifasciste. Malgré cela, j’ai décidé de parler, car aujourd’hui je suis ici parce que, il y a huit mois, j’ai été enlevé.e et extradé.e ici avec un acte en violation de la loi – par un pays dont la constitution promettait de respecter et de protéger ma dignité, mais dont les organes, supposés au service d’un État de droit, ont ignoré la plus haute juridiction allemande, en connaissance de cause de l’illégalité de leurs agissements et de la menace qui pèse sur moi ici. Ils m’ont amené.e dans un pays dont les convictions quant aux de droits de l’homme et aux principes démocratiques disparaissent même sur le papier, et où celles/ceux qui qui osent défendre l’autodétermination de chaque être humain et osent promettre « Plus jamais de fascisme » finissent aux oubliettes. Je sais que je suis ici parce que ma naissance renfermait une promesse, à partir de laquelle j’ai grandi : c’est la promesse de devenir un être humain. Je n’a jamais grandi seul.e, jamais complètement libre, privilégié.e et pourtant plein.e de souffrances, toujours à la recherche de la façon dont nous pourrions réaliser cette promesse, que plus jamais n’arrive ce qu’aucun diable ne pourrait réaliser. Seul l’être humain en était et en est capable, ainsi il crée encore aujourd’hui des structures étatiques totalitaires, oppressives et exterminatrices, poussé par la haine et la jalousie, fuyant devant l’imperfection. L’être humain a crée la Shoah et plus de cruautés que le ciel ne nous offre d’étoiles, mais en même temps il n’a jamais perdu l’espoir d’un demain de paix.

Je suis accusé.e par le parquet, qui dit reconnaître à l’intérieur de moi une haine enflammée, pendant qu’ils considèrent comme une minorité à protéger ceux qui glorifient les auteurs et les crimes de l’Holocauste. Il est donc indispensable de préciser que le parquet affirme que j’ai agressé physiquement des gens venues dans cette ville, il y a deux ans, pour participer à ce que l’on appelle le « Jour de l’honneur ». Il s’agit de quelques jours de manifestations, de marches et de concerts qui servent de rendez-vous international à l’extrême droite, légitimés et promus par des acteurs étatiques. Des gens s’y rassemblent pour marcher, pleins de fierté et avec une admiration explicite, sur les chemins que les fascistes allemands et hongrois ont empruntés autrefois pour fuir leur responsabilité d’assassins. Ils font la fête à des concerts de groupes profondément racistes et antisémites, qui appellent à la haine et à la violence, et donnent ainsi de l’argent à des réseaux terroristes de droite comme Blood and Honour. Et maintenant, nous nous sommes réuni.es ici aujourd’hui pour préparer un procès dans lequel j’ai déjà été condamné.e, dans lequel la détention préventive est déjà l’exécution d’une peine, alors que je suis confronté.e depuis huit mois à des conditions de détention qui violent les garanties données par la Hongrie. Ni les European Prison Rules ni les Nelson Mandela Rules des Nations unies ne sont respectées. En effet, je suis confronté.e à un isolement continu de longue durée, c’est-à-dire concrètement à moins de 30 minutes de contact humain par jour – depuis plus de 200 jours. Il s’agit d’une détention préventive dans laquelle je n’ai pas le droit d’étudier ni de travailler, dans laquelle on ne m’a pas donné suffisamment de livres, ni le vitamines nécessaires, ni de visites médicales en temps voulu, dans laquelle la lumière du jour en quantité suffisante et la nourriture saine manquent. J’ai été extradé.e vers une prison qui impose des mesures de sûreté humiliantes et dégradantes, pour lesquelles à ce jour il n’y a aucune justification ni explication. On doit se taire sur simple demande et j’ai dû porter des menottes même dans ma cellule, lors de visites officielles ou d’appels via Skype. Entre-temps, j’ai été forcé.e par plusieurs dizaines de personnes à me déshabiller nu.e devant elles et je n’osais pas me changer d’habits dans ma cellule, de honte, car une caméra y est restée accrochée, illégalement, pendant trois mois. Encore aujourd’hui restent les punaises de lit et les cafards, ainsi que la lumière allumée lors des contrôles horaires, qui me prive de sommeil la nuit. Un sommeil dans lequel je rêve de prendre enfin ma famille dans mes bras, des personnes à côté desquelles je n’ai pas le droit de faire mon deuil et que je ne peux voire que deux heures par mois, derrière des panneaux en plexiglas. Je suis ici aujourd’hui et je porte déjà en moi des séquelles psychiques et physiques. Ma vue diminue et mon corps s’affaiblit, alors que la prison me force à parler tout.e seul.e, en m’interdisant d’avoir suffisamment de contacts avec les autres détenus, à cause de mon identité queer. Il s’agit uniquement et seulement de me punir et de me briser dans mon être vivant. Ce n’est pas seulement la justice hongroise qui en est responsable, mais aussi, contrairement à ce qu’ils prétendent, chaque cour qui a prolongé ma détention préventive. La dernière fois, ils l’ont fait pour les deux ans et demi à venir ou alors jusqu’à la fin de ce procès.

Le fait que je sois assis.e seul.e sur le banc des accusés, aujourd’hui, a des raisons, car la justice hongroise a désormais perdu toute crédibilité et d’autres tribunaux européens refusent de coopérer. C’est exactement comma ça. Ce procès contre moi aurait dû avoir lieu lui aussi en Allemagne, avec ceux de tous les autres qui sont accusé.es là-bas, là où j’aurais pu me défendre et me préparer. J’attends que tout cela se termine enfin, qu’on me permette de me préparer au procès sur un pied d’égalité, que je ne sois pas privé.e de toute possibilité de développement personnel et que je ne sois plus puni.e avec une détention à l’isolement inhumaine, qui me laisse des dommages à long terme et qui me prive déjà de mes forces. Non seulement mes conditions de détention sont une punition, qui doit être condamnée, mais il y a aussi le fait qu’objectivement il ne subsiste aucun risque de fuite ou de récidive. Avant mon arrestation, je n’était pas à connaissance du mandat d’arrêt émis un mois plus tôt par les autorités allemandes ou hongroises et je n’ai jamais laissé entendre que je voudrais me soustraire à un quelconque procès.

Je tiens à préciser que je dois me défendre contre des prétendus éléments de preuves que je n’ai pas eu le droit de voir. À ce jour, il me manque encore le dossier complet, je dois me défendre contre un acte d’accusation dont les documents ne m’ont pas été traduits et que j’ai reçu en grande partie seulement en hongrois. Devrais-je me préparer, alors que mes avocat.es sont constamment renvoyé.es, à l’entrée de la prison, des avocat.es qui n’ont pas eu le droit de me montrer les actes du dossier, et maintenant vous attendez de moi que je m’exprime sur un acte d’accusation qui n’est que pure hypothèse ?! Dans lequel je ne peux pas trouver un seul mot qui esquisse ma vie, ma personnalité et qui s’appuie sur des faits ni, encore moins, qui expliquerait d’où sort l’affirmation selon laquelle je ferais partie d’une organisation criminelle. Vous attendez sérieusement de moi que je fasse miennes ces affirmations, que je les avoue et que je me laisse enfermer derrière des barreaux pour la durée de ma jeunesse à peine commencée ? Pendant quatorze ans, dans des prisons de haute sécurité, sans possibilité de libération conditionnelle, seulement pour vous épargner de montrer votre faiblesse, alors que vos théorèmes fragiles s’effondrent par manque de crédibilité. Chères procureures, soyez honnêtes, vous espérez que l’isolement me brise et que vous puissiez ainsi m’imposer une sentence sans procès.

Je dois préciser que je suis emprisonné.e depuis quatorze mois, arraché.e à ma vie antérieure depuis le 11 décembre 2023, privé.e de la possibilité de commencer mes études et de continuer mon travail, arraché.e à ma famille, privé.e de la possibilité de les soutenir et de participer à une société à laquelle je veux contribuer. Privé.e du besoin de m’épanouir et de me réaliser en tant qu’être humain. J’ai été privé.e de tout cela, dans le but de me briser en tant qu’être humain politique. Mais il me reste encore les paroles que j’écris et que je dis, tant que j’existe et que je pense, je ne me laisserai pas faire.

J’ai donc écrit moi aussi un acte d’accusation, qui raconte ce que j’ai vécu pendant l’année écoulée, cela m’a aidé à supporter les blessures et il se retrouve en partie dans ce que j’expose ici. Je tais ses détails oppressant, car aujourd’hui et dans ce procès, il s’agit de beaucoup plus que de moi seul.e. Il s’agit de la question de la société dans laquelle nous voulons vivre et si nous pouvons accepter les agissements de l’État, quand ils sont en contradiction avec nos valeurs morales. Je ne suis pas chez moi dans ce pays et je n’ai pas fini d’en apprendre la langue. Mais je sais ce qu’il fait à ses citoyen.nes, j’ai entendu comment il traite chaque personne qui lui est livrée sans défense. Oui, j’ai entendu des cris et des coups venant d’autres cellules, les gémissements et les pleurs, la colère et le désespoir qui, avec le temps, perdent toute mélodie humaine. J’ai vu des regards perdus et effrayés, entendu des mots méprisants qui apparaissent quand des personnes créent des systèmes et des lieux où elles essayent de ôter le libre arbitre à l’autre, de façon à créer du pouvoir sur autrui et le remplir avec des paroles de jugement et des actes de punition. J’ai vu des prisons en Allemagne et en Hongrie et je voudrais dire que les gens y sont privés de leur dignité, qu’ils/elles surveillent ou qu’elles/ils y soient surveillé.es. Je ne peux pas me permettre de juger les gens que j’y ai rencontrés, mais je sais simplement que la société y échoue.

Conscient.e de cela, je ne peux pas nier les moments où je suis assis.e au bureau de ma cellule et où il me semble impossible de garder avec moi la beauté du monde, mon esprit suit simplement la souffrance des autres prisonniers, interrompu par le martèlement de ses propres blessures.

On fuit l’impuissance, on se perd dans le sentiment de faiblesse, arraché.e à son propre corps, arraché.e à son passé et à son lendemain ; puis je vois simplement ce qui me semble inatteignable, mais c’est à partir de là que germe pour moi l’humanité, le legs de chercher quelque chose en commun l’un.e avec l’autre, sans condamner l’être humain pour sa façon d’être, son corps et ses capacités, la tentative de créer ensemble quelque chose de précieux, sans exploiter ni opprimer l’autre, d’avoir la capacité de se pardonner les un.es les autres sans se taire les choses et, enfin, d’admirer la façon dont, de toute cette confiance, germe un lendemain de paix à venir.

Mais les larmes de douleur disparaissent, après, quand je lis vos lettres, quand le journal me parle du monde et j’apprends qu’il y a des personnes qui préservent leurs utopies. Der personnes qui n’ont pas abandonné les évidences et les valeurs morales, qui sont prêtes à les défendre et à les créer, qui ne peuvent pas détourner le regarder de là où quelqu’un commet des actes de cruauté, qui cherchent l’imperfection humaine, qui ne les paralyse ni les aigrit, mis au contraire elles/ils vivent dans une tentative de créativité et de solidarité, en cherchant un moyen de sortir de la violence charriée par le pouvoir, la cupidité et la suffisance. J’admire chaque aspect de la vie quotidienne qui essaye de comprendre la complexité de notre monde et d’agir là où cela semble possible.

Je veux partager mon chemin avec celles/ceux qui doutent sans troquer leur morale et leur tendresse contre des promesses trompeuses de bonheur individuel. J’ai de l’estime pour tou.tes ceux/celles qui essaient de concevoir l’humanité comme une seule et de l’accomplir, sans perdre de vue le caractère unique de chaque être humain, ayant germé de ce qu’il/elle a vécu. Ce n’est pas un être parfait – non, nous échouons, nous ne pouvons échapper ni à nous-mêmes ni au monde. Mais nous avons la possibilité d’agir, nous pouvons apprendre à faire confiance aux autres et à nous-mêmes, nous sommes capables de grandir au-delà de nous-mêmes si nous essayons de comprendre, de concevoir et de décider à partir de l’impulsion de l’empathie. Nous avons la possibilité d’aider là où ça chauffe, là où il n’y a pas de protections et où les gens fuient, nous pouvons partager et rester là où la douleur, la souffrance est plus grande, en sachant toujours que nous ne sommes pas seul.es.

Même maintenant, je ne peux pas empêcher que mes yeux me fassent de plus en plus mal et se ferment à cause de la fatigue et que mes sens faiblissent. Mais même avec les paupières fermées, on ne peut pas échapper à la guerre, à la faim, à la destruction de l’environnement et à une répartition injuste, qui continuent à créer des faits douloureux. Une guerre d’agression fait toujours rage en Europe, il est impossible d’ignorer que le fascisme et sa suite prennent à nouveau racine, que ce soit sur un continent apparemment lointain ou dans le jardin d’à côté. Les aspirations totalitaires et le blocage autoritaire, dans nos sociétés, l’exclusion et l’isolement connaissent une renaissance. Je me demande : que se passera-t-il si tout le monde ne sauve que soi-même ? Échapperons-nous ainsi à l’impuissance collective ? Où nous laisserons-nous emporter par la peur et le désespoir ? J’ai fait moi-même l’expérience, ces dernières semaines, de la façon dont ceux-ci arrivent à paralyser l’esprit et le corps, de la façon dont ils me poussaient à abandonner l’espoir et à me détourner de la vie. Mais alors, à l’endroit où aucun rayon de soleil ne tombe depuis des mois, j’ai vu germer une plante délicate et j’ai su que l’hiver allait s’apaiser. Pour votre défense, j’ai dû admettre que – même si cet endroit est un enfer sur terre – les fleurs peuvent s’y épanouir, que ce soit dans des fissures des mur ou dans mon esprit. Il ne faut pas grand-chose, juste croire avant tout que le courage et la confiance en soi créent des grandes choses à partir d’un petit rien, car c’est de là que naissent la résilience et l’attente de jours meilleurs, c’est à partir de là que nous apprenons que chaque action détermine ce qui fleurira dans notre jardin au printemps. Souvent, je ne sais pas comment, je sais simplement qu’oser est nécessaire et si nous sommes honnêtes nous savons que c’est possible : on rencontre des personnes inconnues qui sont en tout point comme nous-mêmes.

Aujourd’hui, je vois quelques-uns de vos visages, j’ai lu quelques-uns de mes rêves, j’ai eu le droit de partager des moments de ma vie, j’ai ressenti de la solidarité, je vous admire et j’envie la façon dont vous soutenez une personne qui résiste, vous dépassez, avec vos mots et vos pensées, des frontières rouillées en fer froid et vous vous déployez dans un ensemble aimant, queer, dans l’auto-affirmation féministe, dans une empathie sans frontières et dans toutes les luttes émancipatrices, pour la justice entre tous les êtres humains.

Maintenant, mes mots arriveront bientôt à leur conclusion, pour aujourd’hui ; si nécessaire je refuserai de prendre la parole à nouveau, surtout si l’on continue à me garder en chaînes, à m’enfermer et à essayer de briser ma dignité par la violence. Car oui, il s’agit aujourd’hui comme avant de la question d’un procès digne d’un État de droit, de la question de savoir pourquoi il est permis que je subisse ces conditions de détention et que l’on essaye de me punir de cette manière humiliante et blessante. Mais ce n’est pas en mon pouvoir de changer cela. Les autorités allemandes m’ont extradé.e et n’ont pas respecté leur plus haute juridiction, la Hongrie viole les garanties données et le droit européen, montrant une fois de plus à quel point elle s’éloigne des valeurs supposément démocratiques. Il ne me reste plus qu’à le signaler, qu’à le refuser et à appeler tout le monde à le faire aussi. Je sais que je ne suis pas la/le seul.e à vivre tout cela et ainsi j’espère que mes mots parviendront aussi à tou.tes celles/ceux qui se soulèvent contre l’extrémisme de droite, le fascisme, le patriarcat, l’exploitation de la nature et de l’être humain, contre la violence et la répression structurelles et racistes, qui créent des alternatives et par là poursuivent et défendent l’émancipation, le fait d’être queer ainsi qu’une vie digne pour tout le monde, et que pour cela sont poursuivi.es et enfermé.es. Ils/elles tou.tes doivent savoir que je suis avec elles/eux avec mes mots et mes pensées, qu’ils/elles puissent bientôt être libres.

Mer derniers mots sont pour ma famille, mes ami.es, mes compas, mes avocat.es et toutes les personnes qui se tiennent à nos côtés. Vous me montrez que les utopies d’un monde meilleur ne sont pas si lointaines, vous me remplissez de force de vivre, vous faites que mon cœur continue à battre et vous me donnez toujours encore la conscience du fait que je ne disparaîtrai pas ici. Je sais que la gratitude me pousse à me battre, pour pouvoir vous rendre tout ça, un jour. Je vous aime sacrément.

Et à tou.tes les autres, je voudrais exprimer ma sincère gratitude d’avoir pris le temps de m’écouter.

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