La Nemesi / lundi 8 janvier 2024
Déclaration à propos du début du procès avec jugement immédiat contre quatre anarchistes sous enquête dans l’opération Scripta Scelera
Nous prenons publiquement la parole à l’occasion du début du procès contre Gaia, Gino, Luigi et Paolo, avant tout pour exprimer notre complète proximité à leur encontre. Nous sommes certains que ces mois passés aux arrestations domiciliaires – avec l’isolement imposé par les restrictions, l’interdiction donc de tout contact avec leurs proches les plus chers – ne les ont pas fait plier. En cette période pendant laquelle on nous a éloignés, notre affection pour eux n’a pas disparu.
Nous prenons donc la parole parce que nous voulons réaffirmer notre ferme opposition à la tentative de morceler la procédure judiciaire appelée Scripta Scelera, dans laquelle nous sommes dix prévenus, tous accusés en vertu des articles 270 bis, 414, 270 bis §1 du code pénal (et pour quatre de nous aussi en vertu de l’article 278), pour avoir rédigé, publié et diffusé le bimensuel anarchiste internationaliste Bezmotivny. Cette procédure judiciaire a été caractérisée par deux requêtes, de la part du procureur de Gênes, de détention préventive en prison pour les dix prévenus. Suite à la deuxième requête, de mars 2023, le juge d’instruction a ordonné, en août, neuf mesures de contrôle judiciaire, dont les arrestations domiciliaires avec toutes les restrictions pour les quatre compagnons qui seront jugés aujourd’hui en vertu des articles 414, 270 bis §1 et 278 du code pénal, ainsi que l’interdiction de sortir de la commune de résidence (et de chez soi, la nuit) pour cinq autres, tandis qu’un prévenu est en liberté.
État donne le caractère unitaire, dans tous les stades jusqu’à maintenant, de cette enquête, la décision de « morceler » la procédure judiciaire en différents tronçons est une bizarre tentative politique de briser et de saper la solidarité, de diluer la mobilisation en défense de la presse anarchiste et même l’initiative des inculpés au procès. Une tentative d’arriver, pour ainsi dire en catimini, à une quelque condamnation qui puisse servir comme un précédent supplémentaire à utiliser à l’avenir contre les publications anarchistes et révolutionnaires et qui puisse en outre servir de mise en garde à l’encontre de ce qui reste de la presse « dissidente ». L’enjeu est l’existence de nos publications. Celles dont on nous accuse en cette occasion sont des infractions que votre justice elle-même définit explicitement comme des « délits d’opinion ». Par conséquent, le procès qui s’ouvre aujourd’hui est un procès objectivement politique, puisque on y discutera de la possibilité, pour les anarchistes, d’avoir des publications, surtout de la possibilité ou pas d’écrire ce que nous voulons et non pas ce qui nous est concédé par une censure réactionnaire.
Il y a plus encore. La décision de « séparer » partiellement un tronçon de procès, c’est-à-dire de nous en exclure, dans un premier temps – sans ordonner un non-lieu, mais, au contraire, pendant que les mesures de contrôle judiciaire à notre encontre se poursuivent – est scandaleux même selon les principes de votre justice. Certains des sujets qui seront discutés au tribunal de Massa à partir d’aujourd’hui ont un contenu, abstrait autant que concret, qui nous concerne et qui affectera notre position judiciaire, à l’avenir. Quand les membres de la police politique, qui ont étudié avec tellement de zèle les différents numéros du journal, défileront dans la salle du tribunal et fourniront leurs exégèses de Bezmotivy, nos avocats ne seront pas là pour les contre-interrogatoires et nous ne serons pas là pour faire d’éventuelles déclarations. Il en ira de même quand on discutera d’un article supposément écrit à plusieurs, par nous aussi. Sans parler des écoutes et de leurs transcriptions. La juge d’instruction qui s’est prêtée à ce petit jeu, en accueillant favorablement la requête de jugement immédiat présentée par le procureur seulement pour quatre inculpés, a même refusé de nous concéder la possibilité d’assister au procès (exception faite, évidemment, pour le compagnon qui est en liberté, pour qui ce problème ne se pose pas).
Au delà des technicismes, qui ne valent pas grand-chose, la substance est évidente pour quiconque : si le tribunal rendra un jugement sur le journal qui va contre nos intérêts, ou dans le cas d’affirmations à propos des différents textes, qui seraient jugés comme des « provocations aux crimes et délits », difficilement un procès futur pourra changer la donne. Que ce soit pour le lâche respect pour la décision prise par un collègue, que ce soit parce que le tribunal de Massa est assez petit pour qu’il y ait la possibilité qu’on passe à procès avec le même juge, qui, à moins d’être atteint de schizophrénie, ne changera certainement pas sa conviction.
Le seul espace qui nous restera pour une éventuelle défense technique sera de démontrer de n’avoir rien à voir avec le journal et ses textes, ce qui nous amènerait donc sur le voie de la désolidarisation. Si nous prenons la parole aujourd’hui, c’est surtout pour dire que nous ne ferons jamais ce choix. Qu’il soit bien claire que les opportunistes, les magouilleurs, les acrobates ne sont pas de ce côté-ci de la barricade.
D’ailleurs, nous sommes fermement convaincus qu’on ne peut faire aucune confiance aux tribunaux et à leurs serviteurs, qui, s’ils sont là pour garantir quelque chose, c’est uniquement pour garantir le principe d’autorité et l’oppression de classe. Cependant, assister à des telles acrobaties dans les procédures, pour arriver à frapper un journal anarchiste, nous fait vraiment penser que l’on est face à la descente aux enfers de la pensée libérale. Tant mieux, on a toujours apprécié la franchise.
Nous serons tout aussi francs. Les perquisitions, les arrestations, les mises en examen, le procès et même les acrobaties procédurales les plus dignes des Jeux olympiques ne suffiront pas à faire taire les anarchistes. Nous n’avons pas peur d’affirmer que nous sommes ennemis de l’État et du capital. Face à une société capitaliste qui ne peut laisser que de ruines, où la possibilité d’une guerre mondiale est toujours plus proche, une société qui a transformé notre planète en déchetterie, face à tout cela, les menaces de la répression sont vraiment peu de chose. C’est plutôt l’État qui craint les anarchistes, parce que les anarchistes sont une voix infatigable qui porte la nécessité d’en finir avec tout cela.
L’une des grandes richesses de l’anarchiste se trouve dans sa ténacité, dans l’élan projectuel constant et illimité, qui découle d’un profond désir de liberté. Notre persévérance dans l’agitation et dans la propagande anarchiste est et sera toujours une contribution à la lutte et une expression de cette ténacité.
Solidarité et complicité avec Gaia, Gino, Luigi et Paolo !
8 janvier 2024
Luca Aloisi, Michele Fabiani, Francesco Rota, Veronica Zegarelli