Il Rovescio / mercredi 11 novembre 2020
Nous ne voulons pas faire comme si de rien n’était
[Aujourd’hui il y a eu une] manifestation à Milan.
On a eu connaissance de deux viols, le mois dernier, dans le quartier Corvetto [quartier populaire du sud-est de Milan ; NdAtt.]. Pendant les mois de confinement, quand tout le monde était obligé de rester à la maison, les violences domestiques ont augmenté. Tandis que le nombre d’homicides en Italie est en général en train de baisser, le nombre de femmes tuées augmente. Les données statistiques officielles signalent même que le 20% de la population féminine entre 16 et 70 ans déclare voir subi des violences de différentes natures de la part d’hommes ; on imagine qu’avec tout ce qui reste caché, ces pourcentages puissent grimper.
La violence endurée par les femmes est constante et fréquente. Souvent, elle est reconnue seulement quand elle atteint ses limites, des aspects macabres, pour être ensuite transformée en spectacle par les pages des journaux ; en revanche, la longue liste des « petites » violences se déroule sous une cape d’endurance silencieuse. En effet, souvent la honte et le sentiment de culpabilité l’emportent. La peur de rester seules et isolées bloque les jambes et amène des nombreuses femmes à subir en silence, afin de ne pas rompre des équilibres qui sont déjà difficiles à maintenir. Face à la violence, on se sent presque toujours impuissants. D’un côté parce que l’on vit dans une société où la solution des problèmes est déléguée à la police et aux tribunaux, les seuls qui auraient le pouvoir de « remettre les choses à leur place ». Au delà du doute quant au fait que s’adresser à tribunaux et police en général soit un choix judicieux, dans le cas spécifique d’épisodes de violences c’est pire encore. On se retrouve presque toujours devant des juges qui trouvent milles raisons pour justifier l’agresseur et qui, au final, font tomber la faute sur la femme. Voilà donc le cas d’un juge qui acquitte un homme accusé de viol car la victime « n’a pas assez crié » ; si la violence a eu lieu entre conjoints, la faute est à tous les deux, si la femme réagit, elle est folle ou socialement dangereuse, si elle porte une minijupe, elle favorise le viol.
D’un autre côté, ce n’est pas le fait de trouver le coupable qui fera disparaître le danger que cela arrive encore, à toi ou à une autre, une autre fois.
La différence entre les genres, au temps du capitalisme, a la finalité de mieux exploiter la population toute entière, chacun avec son propre rôle social bien défini. Aujourd’hui encore, les femmes les plus pauvres s’occupent de la reproduction sociale, de la maison et des gosses, souvent des gosses qui ne sont pas les leurs, liées par un rapport de travail salarié. L’image féminine est apte à remplir les publicités, les comptoirs des bars et à changer les couches pour bébés et pour personnes âgées. Aussi dans les milieux professionnels plus élevés, le éléments du féminin sont utilisé comme une compétences en plus, par exemple en cantonnant les femmes dans les relations diplomatiques et le soin du groupe. Le corps féminin n’est pas considéré comme partie intégrante d’une personne, mail il est transformé en un objet, jusqu’à devenir une marchandise. Dans ce monde, la violence contre les femmes, qu’elles soient femmes « de naissance » ou trans, trouve sa justification intrinsèque. Une violence qui, souvent, se croise avec celle de l’exploitation au travail, du chantage des papiers en règle et de la précarité économique. Comment se protéger ? Comme nous l’avons déjà mentionné, ce n’est pas le cas de demander de la protection aux forces de l’ordre, étant donné que ce sont elles qui, souvent, sont porteuses des pires comportements violents et sexistes et que, même lorsqu’ils punissent les agresseurs, en profitent pour créer un ennemi public qui légitime leur présence dans les rues et augmente leur pouvoir arbitraire. Ce n’est pas non plus le cas de faire rentrer dans le jeu les juges et les magistrats, étant donné que leur sentences condamnent à la taule des femmes, cis- et trans, qui se sont rebellées à leurs agresseurs, et définissent comme « socialement dangereuses » celles qui ne se repentissent pas.
Pour bon nombre d’entre nous, réussir à se protéger signifie assurer nos arrières mutuellement, se serrer les unes les autres jusqu’à avoir la force de retourner la peur, jusqu’à endiguer l’action d’hommes qui pensent que le corps d’une femme puisse être harcelé, jusqu’à faire peur à ceux qui légitiment cela.
A travers le monde, des groupes de femmes nous montrent qu’en s’unissant elles arrivent à mettre en place des solutions efficaces et à se protéger mutuellement, à faire face ensemble aux violences et parfois à contre-attaquer. Elles ouvrent des lieux protégés non contrôlés par les autorités publiques et gérés par les femmes qui les utilisent ; elles organisent des pratiques d’auto-défense.
Nous avons décide de pas faire comme si de rien n’était.
Corvetto est le quartier où nous avons décidé de vivre et nous voulons qu’il soit un endroit où l’on puisse être à l’aise. Chaque jour, dans ces rues, nous faisons face à la spéculation immobilière et à la rénovation urbaine, à coup d’expulsions locatives et d’évacuations ; dans ces rues il est difficile de joindre les deux bouts ; dans ces rues nous voudrions trouver la force de nous opposer à des dynamiques d’exclusion et d’exploitation. Nous voulons que ce quartier soit un endroit sûr. Non pas repli de caméras et de gardes, mais en faisant grandir parmi nous la conscience, la complicité, le respect et la confiance.
Aux viols qui ont eu lieu dans la rue, ces derniers mois, nous réagissons ainsi : une manifestation dans les rues de ce quartier. Une tentative que l’on souhaite reproductible et qui continue a rompre avec cette normalité. Ce sera une manifestation mixte, non pas parce que nous pensions que seulement avec des homme nous pouvons exprimer de la force, au contraire. Cependant, dans notre vie nous partageons des parcours mixtes et nous voulons grandir et nous responsabiliser ensemble ; aussi parce que nous pensons que, même si de manière différentes, la violence de genre est un problème qui touche tout le monde.
Nous ne pensons pas que la participation, symbolique, a une manifestation, soit suffisante, mais nous voudrions trouver des instruments pratiquer à utiliser pour faire face à ce type de situations, en refusant le chantage de l’État. Défiler en cortège pendant l’état d’urgence n’est certainement pas quelque chose de simple. La cohabitation avec une pandémie nous oblige à subir des nouvelles règles, qui sont en train de devenir la norme. Lutter est considéré comme une activité inutilement dangereuse. Les personnes qui essayent seront de plus en plus atteintes par des amendes chères et par des coups de matraque.
Nous soulignons encore plus l’exigence de ne pas déléguer les choix de nos vies aux institutions publiques (qui s’en fichent de nos vies), nous croyons dans la nécessitée absolue de poursuivre les luttes, tout type de lutte. Le fait de négocier l’espace de notre vie, jusqu’à pouvoir être dans la rue pour défendre notre intégrité physique est une exigence qui ne saurait être reportée. Nous ne nions pas l’existence du virus, mais nous voyons que les décisions qui sont prises visent seulement à empêcher l’effondrement de l’ordre sociale et économique. La prévention vis-à-vis d’une contagion exponentielle est quelque chose qui peut et doit être dans les mains de tout le monde, sans les menaces des décrets.
[Manifestions dans le quartier Corvetto (Milan)
14 novembre 2020 – Piazzale Corvetto, 15h]