anarchistnews.org / vendredi 29 mai 2020
Dans l’après-midi, quand je suis arrivé.e dans le 3ème arrondissement, l’ambiance était joviale : des milliers de personnes se détendaient autour d’un feu de voitures, dans le petit centre commercial Target, dévasté. Avec en toile de fond une chute d’eau jaillissant du squelette calciné d’un immeuble de deux étages en construction, largement détruit par le feu, les gens célébraient leur victoire et à quel point la situation dans son ensemble était surréaliste. Des véhicules bondés, avec des personnes penchées aux fenêtres, zigzaguaient sur le parking de Target en criant « Nique les flics ! » et en chantant à tue-tête « Fuck the police » de Lil Boosie, une chanson qui est devenue caractéristique de la culture émeutière du Midwest [la région des États-Unis où se trouvent Minneapolis et d’autres grandes villes comme Chicago, Detroit, Indianapolis etc. ; NdAtt.].
Au coucher du soleil, les esprit ont tourné à la rage et le siège du commissariat du troisième arrondissement a commencé pour de bon. A la fin, le bâtiment a été défoncé et la foule est entrée. Dans un dernier effort pour garder leurs locaux, les keufs se sont lâchement retranchés dans l’arrière du commissariat et ont lancé des gaz lacrymogènes sur la masse de combattant.e.s en colère. Fatigué.e.s et d’humeur à se battre, les habitant.e.s libres du nord [Minneapolis est dans le nord des États-Unis, à quelques 400 km de la frontière avec le Canada ; NdAtt.] ont bombardé de projectiles l’ennemi mal équipé, caché derrière des murs de fortune en contreplaqué, et qui, lentement, se faisait déborder. Avec leurs munitions qui étant probablement en train de s’épuiser et aucune autre possibilité à part une retraite stratégique mais pathétique, la police ne pouvait plus empêcher la prise du bâtiment par la foule. Le commissariat a été pris.
Alors que le sommet des flammes d’un bâtiment de deux étages à un pâté de maisons de là touchaient le ciel, le troisième commissariat s’est transformé en une piñata. Ses clôtures ont été démolies et la structure remplie de trous ; la partie avant a été incendiée et des flammes de 6 mètres de haut marquaient une victoire parfaite. En ce moment, les émeutier.e.s sont entré.e.s dans ce que je ne pourrais décrire que comme une frénésie extatique, alors qu’un fléau de plusieurs décennies a été supprimé et avec lui la douleur que sa façade personnifiait. Alors que des milliers de personnes étaient assises et regardaient cette saloperie brûler, je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux générations de personnes tourmentées, torturées et/ou assassinées par les sous-humains qui se promenaient dans les couloirs de ce commissariat. La précision de cet acte de justice autogérée suintait le vitriol et la fureur de la vengeance ancestrale.
En ce moment, des émeutier.e.s ont pénétré dans la partie arrière du commissariat, qui n’était pas en feu – c’est un bâtiment très long – et elles/ils ont commencé à y piller des armes, des gilets pare-balles, des munitions et d’autres choses utiles. Il y avait des rumeurs selon lesquelles les émeutier.e.s essayaient de mettre le feu à la partie arrière du bâtiment, mais je soupçonne qu’elles/ils ne l’ont pas fait à cause de tous les trucs qu’ils/elles étaient en train d’y piller. Certaines personnes se sont chargées de mettre le feu à des déchets sur le parking, tandis que la foule regardait le spectacle avec admiration. Au même temps, un autre bâtiment a été incendié, plus loin dans la rue ; je ne peux pas confirmer lequel c’était, même si je pouvais voir les flammes au loin.
Les premiers coups de feu de la nuit ont résonné dans l’air quand des patriotes semblaient tirer vers le ciel à l’arme semi-automatique, en racontant toutes sortes de conneries en mode « blabla… 1776 [référence à l’indépendance des États-Unis ; NdAtt.]… blabla… nous ne nous soumettrons pas au Nouvel Ordre Mondial… ». Au début, cela a choqué les gens, à cause des tirs, mais il est finalement devenu évident que ces imbéciles étaient surtout à la recherche d’un court extrait sonore et d’une victoire symbolique et temporaire, pour montrer sur les réseaux sociaux leur présence ici ou pour une connerie quelconque, car l’un de ces imbéciles semblait diffuser en direct ses agissements à ses followers. Après avoir bombe leurs torses pendant quelques minutes, ils sont partis.
C’est à ce moment que des gens ont commencé à signaler que la Garde nationale était déployée pour reprendre le commissariat du 3e. Cela a eu un effet tangible sur l’attitude de 10 % des gens (surtout avec tous les coups de feu entendus dans les quartiers environnants), mais la plupart des autres semblaient ne pas s’inquiéter. Certain.e.s ont continué à construire des barricades enflammées, d’autres ont pillé Arby’s [une chaîne de restauration rapide ; NdAtt.] (et ont fini par y mettre le feu) et d’autres encore ont dansé sur et autour des voitures en chantant à tue-tête du Meek Mill, tandis que des sauvages à moto, remplis de boissons énergisantes, faisaient fumer leurs roues et d’autres trucs de fous, partout où ils/elle trouvaient de la place. Si je devais décrire l’ambiance de ce moment, je dirais qu’elle se situe quelque part entre « Fast and Furious » (sans compter cette merde de « Tokyo Drift ») et l’esprit de Ferguson [l’été 2014, des grosse émeutes ont secoué cette ville américaine, suite à un autre assassinat policier ; NdAtt.].
Bien que je puisse raconter avec plus précision ce qui s’est passé dans le troisième arrondissement, l’ensemble des Villes jumelles [Minneapolis et sa voisine, Saint-Paul, capitale du Minnesota ; NdAtt.] a été mis à sac. Le magasin H&M dans les quartiers chic aurait été pillé, il y a eu des émeutes et des pillages dans le centre-ville de Minneapolis et après une journée de destruction de magasins dans le quartier de Midway, les émeutier.e.s se sont tourné.e.s vers d’autres lieux à St. Paul. Sans compter les quelques récits de petits pillages et la recrudescence générale de la criminalité dans les deux villes, car les « gens normaux » se sont probablement rendu compte que si les flics ne peuvent pas protéger un quartier miteux sans faire appel à la Garde nationale, c’est qu’ils sont débordés et ne peuvent tout simplement pas être partout.
Alors que je me retirais pour la nuit, la destruction semblait continuer à un rythme effréné, avec des rumeurs d’incendies dans l’ensemble des Villes jumelles et des récits de foules qui se concentraient dans le 1er et/ou le 4ème arrondissement, le 5ème étant censé être complètement abandonné.
Il est difficile de résumer en images l’énergie de la bataille pour le 3ème arrondissement. Je pense qu’il aurait fallu y être. Le panorama actuel de Lake Street rappelle des scènes du film « Los Angeles 2013 », puisque de 5 à 10 longs bâtiments de Minneapolis étaient soit en feu, soit détruits, sans aucune (presque) présence policière, ni aucun espoir de répit de l’insatiable danse de guerre. Si l’esprit de cette nuit est une indication de ce qui va arriver à l’avenir, je doute sérieusement que l’arrestation des assassins de Floyd ou l’intervention de la Garde nationale puissent faire quelque chose pour maîtriser la colère des gens. Il s’agit de prendre sa revanche, à une époque où il y a beaucoup de choses dont il faut se venger.
La victoire morale et stratégique du défi et du saccage du commissariat du 3ème est incalculable et la force symbolique libérée, ainsi que les possibilité ouvertes pour les révoltes futures, ne sont rien de moins qu’incroyables.
Les postes de police PEUVENT être pris d’assaut.
L’État PEUT être plié à notre volonté.
Vive l’anarchie et les gens libres du Nord !