Italie : Une lettre de Peppe depuis la prison

Round Robin / lundi 10 février 2020

Ce communiqué a été écrit par Peppe quelques jours avant son transfert à la prison d’Alessandria [à la mi-janvier ; NdAtt.]. Il n’a aucune mesure de censure sur le courrier, mais à ce qu’il parait son courrier, notamment les lettres qui sortent, est soumis à des filtres et des retards importants.

Quelques mots de Peppe, depuis la taule de Montorio

Bonjour à tout le monde, je vous informe que, malgré tout, je vais bien !!!
Je ne suis plus en isolement, mais, depuis le 26 décembre 2019, je suis dans une « section fantôme », enterré vivant… je suis seul dans la cellule, la section est composée de 8 cellules, toutes vides, détruites, sans eau chaude ni chauffage !!! Sans douche, parfois l’éclairage reste allumée aussi la nuit, sans télé, avec les harcèlements de quelque maton zélé, qui par exemple fait claquer la porte à barreaux pendant que je dors ou qui empêche au détenu chargé de la distribution des repas de me donner du pain, ou bien d’autres petitesses qui, l’une après l’autre, deviennent une vraie torture physique et psychologique.

Mais je suis encore ici, enfermé, en train de crier pour réclamer mes droits !!!
Depuis mon premier jour à l’isolement, dès mon arrivée à la prison de Montorio [à Vérone ; NdAtt.], dans la sections punitive 2, aile 2, avec une caméra toujours braquée sur ma cellule, je ne suis pas resté les bras croisés, pour demander ce qui m’est dû. En ignorant mes demandes, on ne m’a sûrement pas rendu plus gérable et plus calme. Je connais très bien le traitement qui est réservé à nous, les anarchistes, je l’ai expérimenté lors de mes précédentes détentions (pour ne pas parler des persécutions de la part de la police, lors de la préparation de leur machination !!!).
Mais un individu ne doit pas se laisser abattre, ni démoraliser et il ne doit surtout pas se laisser soumettre dans ce qui est sa façon de vivre sa propre tension anarchiste. Je suis convaincu que le seul moyen de faire face à sa situation de détention est de continuer le long chemin ardu de la révolte contre tout pouvoir et toute forme d’autorité !!! En s’introduisant continuellement dans les flammes du présent, avec tout moyen à sa disposition.

Du coup, depuis le 28 novembre 2019 [quand il a été enfermé à la taule de Montorio, suite à son arrestation, le 26 ; NdAtt.], des cris de rage et de liberté se lèvent, des cris qui, en trois jours, ont influencé aussi la section 2, aile 1 ; on s’est donc retrouvés avec le pacificateur de service, l’imam, qui s’en est mêlé, et on est restés d’accord que après la déjeuner et sa prière de merde on aurait pu crier ; la section est alors restée en silence jusqu’à quand elle a explosé dans un grand battage des barreaux !!!

Tout cela, parce que depuis mon arrivée ici, je suis resté presque 4 semaines sans argent (le sale argent, mais quand il y en a besoin…), certainement pas à cause des personnes qui me soutiennent, à l’extérieur. A la date d’aujourd’hui je n’ai pas encore eu droit à aucun appel téléphonique, que ce soit à mes proches ou à mon avocat, mais le 4 janvier j’ai eu l’autorisation de faire des parloirs et le 7 j’ai pu recevoir mon premier colis, avec vêtements et denrées de première nécessité. Au parloir, Emi a pu se rendre compte de mon état.

J’ai donc décidé d’être encore plus dérangeant, encore plus gênant. Ils essayent de neutraliser l’individualité de quelqu’un et, croyez-moi mes chers compagnons, avec moi ça ne leur sera pas facile. La prison n’est pas un moyen d’insertion dans la société (cette société que, d’ailleurs, nous voulons détruire), mais elle n’est rien d’autre qu’une forme de répression brutale au service d’un État assassin et terroriste !!! Il y a beaucoup de misères dans les taules, y compris des attitudes désagréables et provocatrices de la part des matons (pas seulement à l’encontre de nous, les compagnons, mais aussi de ceux qui ne se plient pas à leur volonté) ; on essaye de nous mener à l’épuisement psychologique et de nous faire perdre patience. Par l’isolement, on essaye de nous affaiblir et de nous faire perdre notre lucidité, pour ensuite nous donner une récompense, récompense qu’on ne peut pas accepter !!!

Comme je disais, j’ai essayé par tous les moyens de me faire transférer de Montorio : hurlements, cris de slogans, battages des barreaux ; depuis cette obscurité dans laquelle on voulait m’enserrer, j’ai décidé de me faire entendre un peu plus (sans m’abaisser à des actes d’automutilation, que je n’ai jamais partagé).

Le 26 décembre, à 17h, j’ai déplacé la table, pour empêcher la fermeture de la porte blindée et j’ai balancé hors de ma cellule la petite armoire, les seaux, les balais, des torchons, des fruits et tout ce que j’avais sous la main. Bref, j’ai crée un peu d’espace et laissé entrer un peu de lumière dans la pièce. J’ai formalisé mon interdiction de rencontre avec tout le monde et jamais plus il y aura, de ma part, un salut cordial à l’encontre de quelqu’un qui porte une uniforme, notamment ceux qui nous enferment à clef avec leurs propres mains ! On ne peut pas fraterniser avec son ennemi, il nous faut la fierté et la cohérence d’aller toujours dans la direction contraire, obstinément, tout en connaissant les conséquences possibles (pour tout dire, je m’attendais à des rapports disciplinaires, à des jours d’isolement et à des plaintes, mais pas à être mis dans une aile inhabitable, sans eau chaude, sans douche, ni chauffage…).

Avant, j’étais dans la section 2, aile 2, qui déjà est destiné aux prisonniers en isolement ; elle est adaptées aux régimes AS2 et AS3 et c’est là que sont déplacés les détenus qui s’embrouillent avec les matons ou qui font quelque chose d’interdit par le règlement !!!
En effet, justement parce celle-là était déjà une sections punitive, j’aurais dû y rester pendant le nombre de jours qu’on m’avait donné comme sanctions disciplinaires (sanctions qui, comme d’habitude quand il s’agit d’anarchistes, sont innombrables).
Ensuite j’aurais dû retourner dans une section normale, mais non !!! Sciacca est anarchiste, donc c’est bien qu’il reste là où on ne voit même pas le soleil ! Du coup, depuis le 26 décembre, je suis dans le coin le plus sombre de la prison de Montorio, où rien ne marche.

La directrice m’a convoqué pour me notifier d’autres plaintes et d’autres sanctions, je n’y suis même pas allé, du coup on ne m’a pas déplacé dans la sections punitive et on m’a laissé ici à pourrir. Figurez-vous, avec rien d’autre qu’un stylo à ma disposition, je me suis amusé à passer quelques heures à dessiner et écrire sur ces murs, déjà délabré (avec milles noms sur ces murs gris, sordides et sombres comme la via de nos – aujourd’hui de miens – bourreaux), des paroles de chansons, quelques A cerclés et quelque slogan vieilli par des années de manifestations. Et les matons ont pensé que c’était leur devoir de recopier ces quelques graffitis pour les envoyer au Parquet de Turin ; ils sont vraiment tellement débiles qu’ils ont besoin de quatre graffitis pour comprendre que je suis anarchiste ? Que depuis des années je lutte, aux côtés de plein d’autres, contre ce statu quo ! Ou peut-être que leur dossier est toujours plus vide et chancelant ? Et ils essayent donc de me pousser à bout en m’enfermant ? Ils trouveront toujours ce doigt majeur prêt à l’usage !

J’ai encore à l’esprit la cellule sombre et grise, avec elle qui, d’un air condescendant et fraternel, me disait que « eux non plus ne croient à ce qu’on a écrit sur moi dans le dossier, et, étant donné que ma situation est grave et je risque des nombreuses années de prison, si j’en ai besoin, je peut la faire appeler, elle » (une graduée de la police). Cela en me mettant dans les mains des extraits d’écoutes de conversations de compagnons, amis, frères qui, malgré des nombreuses divergences, je respecte et je continuerai a respecter. Je réaffirme que, si ça avait été quelqu’un qui est pour moi comme un frère, un ami, un compagnon, j’aurais fait tout le possible pour empêcher sa déportation, même au risque de ma liberté !!! Parce qu’une chose est la déportation d’un certain nombre de migrants tous les mois, des personnes qui ont toute ma solidarité et ma proximité*. Autre chose est la déportation de quelqu’un avec qui on a partagé son pain, et cela ne veut pas dire tomber dans l’émotivité. C’était pour faire comprendre à ces porcs qui nous avaient mis sous écoute qu’on s’y serait mis à fond et que cette saleté de déportation ne serait pas passée comme une lettre à la poste. Il y a dans mon dossier ce seul coup de fil, mais ce jour-là je dois en avoir passé mille, et pas seulement vers l’Italie !!! Tous égaux !!! N’empêche, on peut comprendre, et par ces quelques lignes, et par le type de détention que je suis en train de subir, quelle a été ma réponse à la policière et à l’aide qu’elle me proposait !!!

(*Proximité et solidarité non pas pour le fait que les migrants veuillent rentrer dans les engrenages du système, rentrer dans cette même société contre laquelle nous nous battons, mais proximité et solidarité à cause des harcèlements, des humiliations, des tortures et de l’emprisonnement que des nombreuses personnes migrantes subissent, coupables d’avoir passé une ligne imaginaire appelée frontière. Pour fuir la faim, la guerre, la misère et l’exploitation, ils arrivent sur des côtes proches, où, à leur avis, on respire un air de liberté, de droits et de démocratie, tandis que pour nous il y a un air de guerre et dans nos têtes il n’y a que le mot « vengeance » !!! Bien entendu, chacun de nous l’exprime le mieux qu’il peut : il y a ceux qui lancent des balles de tennis [avec des messages pour les personnes enfermées dans des CRA ; NdAtt.], ceux qui écrivent sur des blog et font des tas de jolis communiqués, ceux qui font des tags ou brisent des vitrines. Puis il y a ceux qui font augmenter la tension, qui participent aux « affrontements » devant un CRA ou une prison, il y a ceux qui échappent aux dynamiques des luttes citoyennistes imposées pendant des années, pour faire comprendre aux personnes qui collaborent avec la machine répressive de l’État qu’elles peuvent et doivent être prises pour cible, pour qu’elles arrêtent, qu’aucun système autoritaire, étatique ou répressif peut les protéger et que nous n’oublierons rien et chaque coup sera rendu !!!)

Je veux dire fort et clair que, avec le même courage avec lequel nous portons nos luttes, dans les idées et les pratiques, en dehors de ces murs, nous devons avoir la même cohérence et donner un message fort à ceux qui essayent de nous mettre en cage, nous isoler, nous réduire au silence dans ces cages, et qu’à l’intérieur de ces murs ils ont enfermé des anarchistes, des rebelles, des révolutionnaires, qui ne se plieront jamais au pouvoir dominant !!!
Il y en a qui utilisent des techniques d’autodéfense mentale, en attendant que les harcèlements des matons finissent, il y en a qui réagissent à leurs exactions en cassant les panneaux de plexiglas des fenêtres, comme à Alessandria, il y en a qui saccagent la salle des parloirs (à Ferrara), qui essayent de reconquérir leur liberté en tentant de passer au dessus du mur de la prison de Brucoli, il y en a qui ont porté la grève de la faim jusqu’au but, comme à L’Aquila, et il y en a un qui, a Montorio, a organisé des battages des barreaux et a démoli sa cellule, en se heurtant à cette cage qui sont les matons.

On sait que des parties du monde, de Hongkong au Chili, brûlent de liberté, que la révolte fait rage d’un coin à l’autre du monde et c’est justement à cause de cela que ces messieurs, en toge, en uniforme ou en civil, tendent leurs doigts vers ces compagnons qui sont les plus exposés, qui gardent allumé ce foyer de révolte. Mais vous, bien-pensants de gauche, penseurs libertaires, populistes, correcteurs de virgules et chercheurs de visibilité, qu’en savez vous de ce qu’il ressent un compagnon anarchiste sincère ? Je suis habillé comme Bibendum, je ne me lave pas depuis 12 jours et je sens sur moi tout ce sang versé dans la Méditerranée ; dans ma tête tonnent les tremblements de froid et les cris de désespoir qui se lèvent des montagnes à nos frontières, des images comme des flash-back de cadavres gelés, sans chaussures, de centaines d’hommes et de femmes qui flottent, violacées et sans respirer ; ils cherchent la vengeance et tôt ou tard ils l’auront.

Des nombreux pays bombardés au nom de la démocratie, pour le gain de quelques-uns, ces porcs qu’on saignera, eux aussi, tôt ou tard ; voir ou savoir des territoires entiers saccagés, asséchés et dépeuplés, ou bien sentir ce poids de la machine technologique qui avance toujours plus et avoir la conscience de ne plus être des personnes libres, mais des nombres, et que chaque nombre a son fichier bien précis, avec photo, empreintes digitales, ADN. Et un réseau qui s’élargit comme une toile d’araignée, faite de contacts et de proches, d’amis, de connaissances et de membres de la famille ! Voilà ce qu’ils font ces messieurs, voilà ce qu’ils font ceux qui nous gouvernent, ceux qui détiennent le pouvoir, en habits bien propres, mais sans cœur et avec les mains tachées de sang, ils tuent, ils violent, ils bombardent, ils exterminent et ils essayent de détruire nos rêves de liberté, des rêves qui sont destructeurs en eux-mêmes !!!
Et ils utilisent leurs serviteurs, qui, comme des sales vers, rampent jour après jours dans nos vies, tellement proches de nous qu’on sent leur haleine puante dans le cou ! Mais s’ils se baissent à une telle mesquinerie et font tout cela, c’est parce qu’ils ont peur, et s’ils ont tellement peur, c’est parce que leur système et leur sécurité chancellent sur le bord de l’abîme et que le système qu’ils entretiennent à un niveau mondial est plein de défaillances, plein de fissures. Il suffit d’avoir un peu plus de courage et de frapper là où ça fait le plus mal, quand ils ne l’attendent pas. Et je ne parle certainement pas seulement d’une idée politique à porter ou à partager sur les réseaux sociaux, mais de participer aux luttes, d’être solidaires avec les compagnons qui luttent, au lieu de regarder qui a mis quoi sur Facebook !!! Nous devons être ce petit grain de sable qui bloque les engrenages de cette société néfaste. Et nous continuerons à être ces cœurs fous qui courent sur ces rêves colorés, sur ces rails de folie, encore ici à suer et à cracher du sang pour ces rêves de feu, chauds comme nos mains, forts comme notre rage !!!

J’ai répondu a tous les compagnons qui m’ont écrit, j’espère que mes lettres vous sont arrivées, parce que je n’ai pas eu de réponses. Bizarre ?! Ha ha ha. Vos lettres, vos journaux, vos brochures, m’ont vraiment tenu compagnie et votre chaleur a dépassé ces murs.

Une forte accolade à Madda, petite sœur, et à Nat. Et à Gimmi, frère !
Et une forte accolade, avec poings fermés et nerfs à vif, à tous les compagnons enfermés dans des prisons !
Allez, les gars, toujours à tête haute !!!

Pour l’anarchie, pour la liberté !
Feu à l’État !
Feu aux prisons !

Giuseppe Sciacca

 

Pour lui écrire :
Giuseppe Sciacca
C. C. “S. Michele”
Strada statale per Casale, 50/A
15121 – Alessandria (Italie)

NdAtt. : et n’oublions pas d’écrire à Marco (Marco Bisesti), enfermé dans la même prison pour l’opération Scripta Manent.

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