Anarchist Fighter / s.d., mais début juillet 2019
Nous vivons dans un monde où le flux incessant d’informations et l’actualisation constante des nouvelles évincent même les événements les plus importants du passé récent.
Cependant, parmi toutes les choses qui se passent, il y en a qui ne peuvent pas s’estomper. L’une d’elles a eu lieu le 31 octobre 2018. L’anarchiste Mikhail Zhlobitsky a mené des représailles, en déclenchant un engin explosif dans le bâtiment du FSB [les services secrets de la Fédération de Russie, digne héritiers du KGB soviétique ; NdAtt.], à Arkhangelsk. C’était un acte de sacrifice de soi : Mikhail Zhlobitsky est mort.
Il a laissé une note indiquant que cette démarche courageuse était motivée par les atrocités commises par les forces de sécurité contre les anarchistes qu’elles avaient arrêté.e.s.
Quel est le sens éthique et vital de l’attaque de Mikhail Zhlobitski contre ces bourreaux ? Si chaque action est une affirmation, qu’est ce que nous a dit Mikhail, en allant consciemment vers une mort certaine ? Qu’est ce qu’il nous a rappelé, à quoi nous a-t-il fait penser ?
Tout d’abord, il nous a fait penser au sacrifice de soi et à son sens. On n’y pense pas vraiment, quand de telles choses se produisent quelque part loin de chez soi. Mais quand la bombe est entre les mains de quelqu’un de notre pays, de quelqu’un qui a nos idées, qu’on pourrait connaître, ces pensées nous rattrapent avec une tempête d’émotions.
Qu’est-ce que le sacrifice de soi et pourquoi en avons-nous besoin ?
I. Ne pas être esclave
Le sacrifice de soi n’est pas seulement une question de mort.
On peut sacrifier non seulement sa vie, mais aussi beaucoup de choses dans la vie : passe-temps et habitudes, confort et sécurité, la possibilité de voir sa famille et ses amis ou la possibilité de visiter ses lieux d’origine, etc.
Personne parmi nous est masochiste. On est content.e.s de minimiser les sacrifices. Mais il y a des lois inexorables de la vie humaine. La plus simple d’entre elle dit que pour réussir quelque chose, il faut presque toujours sacrifier quelque chose. Au moins du temps et de l’effort. Une autre loi est beaucoup plus grave….
Une personne qui évite à tout prix de souffrir est condamnée à être esclave. Cette idée n’est pas nouvelle, mais on la garde rarement à l’esprit. En fait, tout cela est évident. Les dirigeants et les patrons offrent toujours aux gens une certaine paix et une certaine sécurité, en échange de leur soumission et de leur fidélité.
En cas de désobéissance, les oppresseurs nous menacent de persécution ou de violence. Ainsi, les personnes pour lesquelles le confort et l’intégrité personnelle passent avant tout et ne peuvent pas faire de sacrifices sont condamnées à être soumises et mises à genoux. Au jour d’aujourd’hui, le processus de soumission est rendu moins rude par les modes de communication actuels et par l’accès à toutes sortes de divertissements, mais il s’agit toujours d’un processus de soumission.
Mais ceux/celles qui sont prêt.e.s à refuser ces appâts au nom de leur dignité ont une chance de gagner la liberté. Cependant, il n’y a aucune possibilité de s’asseoir dans un « havre de paix », d’éviter les privations et les menaces et d’être libre. Ce ne sont pas que des mots et l’on s’en rend compte lorsque l’explosion retentit dans les bureaux du FSB.
On comprend alors qu’il est temps soit de se mettre à l’écart, après avoir poussé un couinement de soumission à l’adresse de ceux qui sont au pouvoir, soit de se battre et de se sacrifier. Si on a pris la décision de se battre, on doit gagner et maintenir sa capacité de sacrifier à la fois de petits plaisirs superficiels et des choses vraiment importantes, profondes et chères pour nous, si cela est nécessaire pour la lutte. Enfin, surmonter la peur de la torture, de la douleur, de la prison – c’est la voie que chacun.e doit suivre pour être libre.
II. Sans sacrifice de soi, on ne peut pas changer le monde.
Le sacrifice de soi est aussi une question de mort.
Dans le monde moderne du « jeu humain », où tout existe pour le plaisir, les gens sacrifient rarement leur vie pour des idéaux. Après tout, aujourd’hui la vie est perçue comme un billet pour la suite du banquet, la continuation des vacances, l’occasion de nouveaux plaisirs et jouissances. Du coup, la vie devient « la chose la plus chère » – devient quelque chose qui est sauvegardé à tout prix.
Les révolutionnaires voient la vie différemment. Nous croyons que la vie n’a de sens que si elle incarne les valeurs les plus élevées, dont la liberté et l’égalité. Pour nous, une personne doit vivre selon sa conscience et selon ses véritables idéaux et convictions. Même si cela apporte de la souffrance et peut coûter la vie.
Il est évident qu’une lutte sans compromis contre le système provoquera inévitablement de la violence de sa part. Et on doit réaliser qu’on pourrait souffrir et même mourir. Cette probabilité n’est pas du tout faible. Quelqu’un pourrait répondre par cette comparaison : « Une chose est de se battre et une autre est de se suicider ». Oui, se mettre dans une situation de danger mortel et sacrifier consciemment sa vie sont des choses très différentes. Mais ils ont une chose très importante en commun : le fait d’être prêt.e.s à renoncer à sa propre vie, au nom de valeurs qui donnent un sens à la vie.
Oui, les pensées sur la mort sont terribles. En outre, historiquement l’anarchisme n’est pas religieux, donc la plupart d’entre nous n’attendent pas le paradis après la mort. De plus, certains de nos contemporains aiment présenter l’anarchisme comme une vision du monde extrêmement pacifique. La tâche de l’anarchisme est d’atteindre une vie libre et juste. Cependant, ceci est souvent mélangé de manière trompeuse avec le désir d’une vie confortable et « sans problèmes », dans un monde utopique, sur le chemin duquel il est souhaitable d’éviter toute forme de souffrance.
Ceci est une distorsion fatale. Appliqué à l’anarchisme, elle la prive complètement de son esprit héroïque et antagonique, qui fait partie intégrante de son essence.
Les héros sont immortels
L’attaque militante de Mikhaïl Zhlobitski est quelque chose d’important. Elle résonnera pendant des années, plus forte ou plus discrète, comme une musique de fond, accompagnant toute activité anarchiste en Russie. Alors, de quel genre de son s’agira-t-il, d’un son de malédiction ou d’un son de bénédiction ?
L’action de Mikhail ne sera pas oubliée. L’explosion d’Arkhangelsk a sonné comme un amer reproche et comme un appel au combat. Cet appel ne lâchera pas et ne laissera en paix aucun cœur révolutionnaire honnête n’ayant pas été dévoré par la peur.
Liberté ou mort !
Vive la révolution !