AMW English / jeudi 18 avril 2019
Parmi vos cauchemars, nos morts sont les premiers
Nous assumons la responsabilité de l’attaque à la grenade du 22 mars contre le Consulat de Russie de la rue Tzavella, à Chalandri (banlieue nord d’Athènes).
Chaque État cherche sa perpétuation, ce qui est particulièrement important tant pour son existence que pour la préservation et l’expansion de son espace vital. On définit l’espace vital d’une structure étatique comme un concept qui aborde tout intérêt économique et spatiale. La concrétisation de cette politique est ce qu’on appelle communément l’impérialisme. Cette politique n‘est pas un choix stratégique d’un état, mais mais elle est indissociable de son existence même. Automatiquement, tout État met en œuvre ou suit le politique impérialiste dictée par une caste présente dans ce même pays. Cette position vient renverser la rhétorique de la sainte alliance des plus petits parmi les États contre les plus puissants, que la gauche a essayé de faire passer pendant des années et qu’une partie du milieu anarchiste partage. Le long des années, des nombreuses alliances se sont nouées et, par conséquent, des nombreux accrochages, selon les intérêts en jeu. Derrière le voile de ces contrastes évidents, en combinaison avec la conjoncture économique et politique, se créent ou s’ajustent des contradictions dans les dynamiques de chaque État. Les relations entre les États ont toujours été une variante dynamique, qui change selon le sujet touché, plutôt qu’une situation statique.
Sur la base des éléments ci-dessus, depuis la moitié du siècle dernier, il y a deux États qui ont essentiellement dominé l’échiquier mondial, les États-Unis et la Russie (jusqu’en 1991 comme Union Soviétique). Un erreur qu’on trouve être répandu dans les approches gauchistes est que ces deux États seraient des pôles d’un conflit perpétuel, ce qui revient à ignorer délibérément les stratégies (géo)politiques communes qu’ils ont dessiné au fil des années, depuis la division des zones d’influence politique lors de la conférence de Yalta en février 1945, ainsi que le soutien politique aux interventions militaires en Syrie. Une partie du même récit porte une critique très unilatérale de ce qu’on appelle l’« impérialisme américain », tout en fermant les yeux sur la politique expansionniste de la Russie, en cachant nombre des crimes de guerre qu’elle a commis. Nous ne faisons aucune distinction entre ces deux États, puisque nous considérons leurs politiques tout aussi hostiles.
Rappelant les fantômes du passé
La démocratie bourgeoise a été instaurée en Russie en 1991, après la chute du régime communiste. Pendant beaucoup d’années, on a perçu une nostalgie généralisée pour la gestion politique de l’Union Soviétique, ce qui nous paraît complètement idiot, puisque, sous couvert de changement de régime politique, certain.e.s semblent ignorer consciemment le pouvoir qui gouverne l’existence même de l’État. Ces nostalgiques ignorent aussi, et souvent défendent, les visées expansionnistes de l’URSS, en cautionnant ce choix stratégique d’un État ami, puisqu’ils considèrent comme une guerre « rouge » la défense du régime socialiste. Ils ont tenté de nier la politique criminelle de l’intervention militaire de 1979 en Afghanistan, la dure répression de la rébellion de 1956 en Hongrie, l’ingérance violente et la répression en Tchécoslovaquie (1968) et surtout l’invasion de la Pologne en 1939, quand des millions de personnes ont été massacrés, en collaboration avec l’Allemagne nazie. Nous voulons par ailleurs souligner ici que quand on parle de tactiques militaires et et d’interventions militaires, cela signifie la stratégie constante de terroriser et assassiner des civils, pour renforcer l’armée d’occupation. C’est évident pour nous que toute armée qui envahit un autre pays, en plus de l’affrontement frontal avec les troupes adversaires, a le choix politique de diffuser un sentiment de peur et d’insécurité parmi la population civile. Cela se fait par des attentats à la bombe dans différents endroit publics (souvent des écoles et des hôpitaux), tout en détruisant au même temps les structures productives, dans le but d’appauvrir les gens. Il est ridicule et hypocrite de lire des analyses larmoyantes des attentats à la bombe commis par les États-Unis, tout en ignorant les crimes russes.
Un autre exemple tangible des pratiques de cet État quand il était en difficulté ont été les relations avec l’armée anarchiste noire d’Ukraine de Nestor Makhno. La direction communiste de l’époque a profité du dynamisme et des capacités militaires de cette armée, en réalisant des alliances contre les nationalistes de l’armée blanche. Puis, lorsqu’elle a compris qu’elle n’avait plus rien à gagner de cette alliance, elle s’est rendue compte que les intérêts idéologiques et politiques des deux parties étaient en conflit, puisque les anarchistes d’Ukraine ne soutenaient pas le modèle communiste, les Bolcheviques ont décidé de les exterminer – politiquement, bien sûr. Les communistes ne voulaient pas permettre à une structure anarchiste d’exister dans une zone géographique si proche, puisqu’ils avaient déjà à faire avec leurs opposants internes. Le régime a mobilisé, pour la répression interne d’opposants politiques, toutes tendances confondues, la Tchéka (organisation identique au GUN du Parti communiste grec), qui a commencé par assassiner les nationalistes et les partisans du régime tsariste, puis des anarchistes, des trotskystes et même des stalinistes qui avaient choisi de s’opposer à toute décision de la ligne politique centrale, au nom de l’uniformité sociopolitique du totalitarisme.
Le pouvoir est « régénéré », la décomposition continue
La Russie, après la restauration du système de libre marché et la chute du totalitarisme communiste, a évolué vers une nouvelle forme d’autocratie, sous couvert de démocratie. Afin de reconstruire son prestige économique et politique, elle a continué et continue encore, comme prévu, de
défendre ses exigences géopolitiques et ses internets, dans des accrochages internationaux. Au sommet de la hiérarchie politique, le même président, fidèle aux traditions russes, s’est résolument engagé à se créer un profil de leader qui a quelque chose d’un glorieux tzar et quelque chose d’un solide Secrétaire général du Parti communiste. Au sommet d l’élite économique, il y a une puissante clique de riches oligarques, une nouvelle version de l’aristocratie. La religion orthodoxe, le conservatisme et les anciennes traditions sont restées immuables dans le temps, malgré le changement de régime, et ils sont les piliers de la nouvelle Russie apparemment renée. Ces piliers ont été bien établis depuis les temps du socialisme et ont été préservés dans un environnement étouffant d’autarcie gouvernementale très intense. Ces concepts composent le puzzle d’une éthique sociale unique, qui mène à la discipline, à l’apathie et à l’inactivité des groupes sociaux les plus pauvres. Alors que le nationalisme et le chauvinisme dominent la sphère sociale de Russie, en même temps, tout signe d’opposition aux normes dominantes, toute expression radicale, toute forme d’activisme, toute humeur agressive envers le pouvoir, ont impitoyablement frappées par un puissant mécanisme étatique qui garde les reflets de la répression soviétique. En particulier, en février 2018, plusieurs anarchistes ont été arrêtés, torturés et mis en prison pour avoir accroché une banderole qui disait « Le FSB est le plus grand terroriste » et pour leur participation supposée à Narodnaya Samooborona. Quelque mois plus tôt, le FSB a arrêté et torturé 8 anarchistes pour leur faire avouer leur participation au « Réseau ». La frénésie de la répression étatique dans l’élimination de l’action anarchiste ne s’est pas arrêté là. En février dernier, 10 compas ont été pris en otage par l’État, tabassé et soumis à des décharges électriques, pour leur faire avouer leur culpabilité et « balancer » leurs compas. Azat Miftahov, accusé de fabrication d’explosif et d’avoir rejoint Narodnaya Samooborona, reste dans les mains de l’État, contrairement à ses compas, qui ont été torturés puis relâchés.
Le 31 octobre dernier, l’anarchiste Mikhail Zhlobitsky, agé de 17 ans, est entré dans les bureaux du FSB à Arkhangelsk et a déclenché un engin explosif, en causant des sérieux dégâts au bâtiment, blessant trois flics et perdant sa vie. Quand cette nouvelle nous est parvenue, on a éprouvé un sentiment de profond chagrin à la mort de notre frère que nous n’avons peut-être jamais connu, mais c’est comme si on l’avait connu pendant des années, puisque nos choix sont les mêmes, les ennemis honnis les mêmes. Nos sentiments à l’égard de Mikhail ont fait naître ces mots, des mots qui ne sont pas simplement creux et artificiels, mais des mots qui sont imprégnés et chargés de rage, des mots qui, une fois couchés sur le papier, ont fait des étincelles et on déclenché notre désir de tirer la goupille de la grenade pour la balancer contre les bureaux du Consulat de Russie, réalisant notre plus féroce désir de vengeance. Le cauchemar que le compagnon a causé aux flics fédéraux du FSB sera ravivé chaque fois que nous ou quelques autres compagnons décide d’attaquer. Mikhail, comme tout.e compa qui a donné sa vie pour l’Anarchie, vivra a nouveau à travers les actions de rétorsion et sèmera la terreur parmi les pathétiques journalistes et les juges et flics inquiets. Comme signe minimal de respect pour notre compagnon décédé, nous avons choisi de donner son nom à l’attaque que nous avons accompli.
Force et solidarité avec les anarchistes Yuliy Boyarshinov, Vasiliy Kuksov, Dmitriy Pchelintsev, Arman Sagynbaev, Andrey Chernov, Ilya Shakurskiy, Igor Shishkin, Viktor Filinkov, ceux arrêtés le 1er février 2019 et Azat Miftahov.
Entendez-vous le bruit venant de loin ? Ce sont les cris désespérés qui arrivent des chambres de torture. Les coups des balles dans le corps. Le bruit glauque fait par le corps quand il est traversé par le courant, lors des chocs électriques. Ils sont près d’ici, ils réclament leurs compas disparu.e.s et se demandent s’ils sont encore en vie et s’ils sont dans un centre de détention secret. C’est le deuil, la rage, mais aussi l’engourdissement, pour le jeun qui a fait vengeance en donnant sa propre vie. Ce sont nos compas et ils souffrent. Écoutez attentivement…
Cellule de vengeance « Mikhail Zhlobitsky », FAI/FRI