Une lettre d’Antonio, depuis la prison, quelques jours avant son transfert en arrestation domiciliaire.
Macerie / dimanche 20 août 2017
Prison Le Vallette [Turin, Italie ; NdT], 5 août 2017
Et nous voilà une fois encore ici, dans les cellules d’une prison.
Nous sommes accusés à nouveau de « nous en être mêlé », d’avoir essayé d’empêcher l’énième rafle d’immigrés dans le quartier où nous vivons.
Bloquer une rafle est un objectif très compliqué et les forces de l’ordre se pointent désormais équipées en anti-émeute, parfois même à cheval, comme ça a été le cas à Milan, et mènent une vraie opération militaire.
Se solidariser avec les personnes arrêtées et rendre « visible » la rafle est, malheureusement, le mince résultat qu’on arrive à obtenir.
Cela peut paraître bizarre d’entendre parler de « rendre visible » un événement énorme comme une rafle de la police au beau milieu d’un quartier, une situation dans laquelle les voitures de police sérigraphiées, leurs camionnettes, les CRS avec casques et matraques ne passent certes pas inaperçus.
Et c’est justement ça le point. En ce temps sombres, les soldats armés jusqu’aux dents qui se baladent dans nos rues et les rafles sur des bases ethniques, qui ont tant horrifié la démocratie de l’après-guerre, sont les habitudes de la vie de tous les jours. La normalité, on le sait est faite de barbarie.
Cette même normalité qui planait sur l’Europe du passé, ce monde des bourreaux qui « simplement exécutaient des ordres » et des solutions techniques. Les mêmes places, où l’indifférence des passants de cette époque-là fait écho avec les fenêtres fermées des bâtiments d’aujourd’hui.
La chasse à l’immigré ne sert pas seulement à tenir sous l’étau une partie de la population, elle est un aspect de la plus générale guerre aux pauvres, dont la police est le bras armé.
De plus, la sécurisation de l’émigration, qui est en train d’atteindre, ces dernières années, des niveaux inimaginables, a le but d’identifier dans l’immigré, à travers la narration politique et médiatique, le faux coupable de la misère dans laquelle l’État nous a embourbés.
C’est justement dans les quartiers périphériques des villes, où des familles avec des loyers impayés sont expulsées de leur maisons et où l’on trime dans des boulots de super-exploités, que se répand le cauchemar d’une guerre parmi les exclus.
La grande arnaque est servie et trop nombreux sont ceux qui sont tombés.
Empêcher que cela arrive, par ceux qui ont décidé de ne pas vivre en misérables, c’est la raison pour laquelle on est constamment incarcérés et interdits de séjour, la raison pour laquelle on est tabassés et humiliés dans les commissariats.
Pas de problème, cependant : c’est la raison même pour laquelle nous résistons, en serrant les dents, et nous nous organisons contre la brutalité qui nous entoure.
Un détenu de ma section l’a dit : « A faire la guerre à l’État on perd toujours », certes, je suis d’accord, on perd tout, vraiment tout, mais pas la dignité.
Liberté pour tous et toutes,
Antonio