Surveillance : l’ampleur de l’enquête du G20 en Suisse

Renverse.co / jeudi 12 septembre 2019

Neuf mois après le sommet du G20 à Hambourg en 2017, la police a frappé simultanément à trois endroits en Suisse : le 29 mai 2018, à 6 heures du matin, une personne recherchée a été interpellée et temporairement arrêtée près de Winterthur, dans le canton de Zurich. Deux autres endroits ont fait l’objet d’une descente policière en même temps. Lors de celles-ci, divers supports de stockage électroniques, des téléphones et d’autres articles ont été confisqués. Mais comment s’est déroulée en amont l’enquête de l’opération nommée « Alster » ?

Nous avons eu accès à une partie des dossiers de la police cantonale d’Argovie et avons décidé de publier les informations que nous y avons trouvées – pour montrer l’étendue de la surveillance policière, pour partager des informations sur le fonctionnement des autorités répressives dans de tels cas et pour avoir de la matière pour se défendre et protéger dans de futurs cas de surveillance. Mais comme nous l’avons déjà dit, nous supposons que nous n’avons eu accès qu’à une fraction des documents que les enquêteur·rices ont utilisés.

L’Opération Alster

En décembre 2017, les autorités judiciaires de Hambourg publient des photos de personnes accusées d’avoir participé aux manifestations contre le sommet du G20, et demandent l’aide à plusieurs États européens pour identifier les personnes recherchées. En janvier 2018, la police cantonale argovienne répond en affirmant qu’elle a trouvé une des personnes recherchées. Le Parquet de Hambourg dépose une demande d’entraide judiciaire le 16 mars 2018 et sollicite l’aide de l’Office Fédéral de la Justice pour l’ »affaire de l’Elbchaussee ». La demande d’entraide judiciaire se fonde sur les infractions « d’émeute » en concours avec « incendie intentionnel ». [1] Dans sa demande, le Parquet de Hambourg requiert les mesures de surveillance suivantes :

– Surveillance de communications téléphoniques : Surveillance et enregistrement des télécommunications, numéro de téléphone et des connexions internets.
– Évaluation des données relatives au trafic de téléphones mobiles au cours des six derniers mois.
IMSI-Catcher pour la détermination de numéros de téléphones mobiles, de cartes SIM et de leurs localisations.
– Surveillance de la personne accusée, demandant explicitement la permission d’utiliser des émetteurs GPS à cette fin. Les résultats de l’observation doivent également être documentés avec des photographies, des données personnelles et des données sur le véhicule.
– Perquisition du domicile, incluant les chambres d’habitation, les salles annexes et les locaux techniques.
– Une fois ces mesures prises, interrogatoire du prévenu. Une « liste appropriée de questions peut être envoyée en temps voulu », écrit le Parquet de Hambourg.

La surveillance est mise en place durant un peu plus de deux mois. Avec l’exception de l’évaluation des données du téléphone portable, qui sont de toute façon conservées pendant six mois, conformément à la loi suisse.

La salade bureaucratique

Cinq jours plus tard, le 21 mars, le Parquet argovien examine la requête et la juge recevable. L’argumentation : en raison des accusations « particulièrement graves » et parce que l’incendie intentionnel est également punissable en Suisse, les mesures de surveillance seraient ordonnées et exécutées. En conséquence, la demande d’entraide juridique ne doit plus qu’être approuvée par le Tribunal des mesures de contrainte d’Argovie (TMC).

Toutefois, le 10 avril 2018, le TMC rejette la demande en première instance. « La suspicion urgente n’a pas encore été confirmée ou corroborée », écrit le TMC. Le Parquet d’Argovie doit selon lui, justifier plus précisément pourquoi les mesures de surveillance demandées sont nécessaires. En ce qui concerne les données de téléphones mobiles, la TMC écrit par exemple que la conservation des données n’est rétroactive que sur six mois et que leur évaluation ne commencerait donc que trois mois après le « moment en question ». La période où la personne est accusée du crime serait donc de toute façon ratée.

Le même jour, le Parquet répond en renvoyant la même demande, soulignant que les enquêtes des autres pays ne doivent pas être remises en cause. Neuf jours après le rejet de la première demande, le TMC approuve finalement également les mesures ordonnées.

C’est le début de l’enquête et de l’opération Alster. Un début d’enquête pourtant balbutiant ; l’évaluation des données des téléphones portables – accessibles jusqu’à six mois rétroactivement – ne fournissant aucune information sur l’infraction présumée, qui se serait produite au début du mois de juillet 2017. De plus, le numéro de téléphone portable enregistré sur au nom de l’accusé ne fournit pas non plus beaucoup d’informations – il n’a probablement pas été utilisé depuis un certain temps. Néanmoins, toutes les tentatives d’appel sur ce numéro sont évaluées par la police.

Afin de connaître le numéro de téléphone portable actuel de l’inculpé, la police judiciaire argovienne poursuit son enquête en recourant à l’assurance automobile de l’inculpé. La compagnie d’assurance (La Mobilière) transmet immédiatement à la police le numéro de téléphone que l’accusé avait indiqué lors de la souscription à l’assurance – elle signale également une panne du véhicule. Le service de dépannage confirme également le numéro communiqué par la compagnie d’assurance. Ce numéro est enregistré au nom d’une personne inexistante à une adresse inexistante.

Surveillance en temps réel de la personne accusée

À la mi-mai, soit environ deux semaines avant les raids à l’échelle européenne, l’Unité spéciale d’enquête de la police judiciaire d’Argovie ordonne au Parquet d’Argovie une surveillance du suspect et une surveillance en temps réel de son téléphone portable.

Il ressort du dossier qu’au moins deux jours de surveillance personnelle sont effectués, durant lesquels le numéro de téléphone mobile est confirmé au moyen d’un capteur IMSI. La personne est observée et photographiée pendant plusieurs heures au cours d’un long trajet qu’il entreprend en transport en commun. De plus, toutes les personnes qui sont en contact actif avec la personne sont documentées nominalement. Après cette nouvelle vérification du numéro de téléphone mobile, les observations n’ont plus lieu que de manière ponctuelle.

Les données de téléphonie mobile du numéro ainsi déterminées sont également évaluées retrospectivement sur une période de six mois. Pendant la surveillance en temps réel, toutes les conversations téléphoniques et les SMS sont enregistrés, mot par mot. « Hej, check tes mails », le contenu de cet appel que l’accusé reçoit le 23 mai déclenche une requête d’urgence auprès de « Microsoft » de la part du Parquet argovien. Le fournisseur de courrier électronique doit immédiatement publier les données et logs de connection entre le 1er avril 2018 et le 23 mai 2018. Accompagnant la requête, la note : « Veuillez vous assurer que le titulaire du compte n’est pas informé de cette mesure ».

Coup de pied dans la fourmilière et surveillance

Le Parquet de Hambourg a alors demandé, plus de neuf mois après le moment présumé du crime, les données de communication du téléphone portable – pourtant rétroactives seulement sur six mois. Mais que cherchait-il alors à découvrir ainsi ? Le but de cette requête était vraisemblablement d’observer l’agitation qui a eu lieu lors de moments où l’enquête était susceptible de provoquer des comportements exceptionnels du suspect et de son entourage. Le premier coup de pied dans la fourmilière a été la mise au pilori en ligne du G20 en décembre 2017. Les personnes qui ont appelé le numéro de l’accusé ce jour-là ont été fichés et contrôlées dans un deuxième temps. Toutes les données les concernant – provenant du casier judiciaire, des bases de données « Polaris », « Janus » et « HIS », ainsi que de Facebook et Google – ont été collectées. Ce qui s’est passé ensuite avec ces données ne se trouve pas dans le dossier.

Un deuxième coup de pied dans la fourmilière est fixé à la mi-mai – environ deux semaines avant les perquisitions – lorsque l’observation bat déjà son plein. Cette fois, le stimulus est la suppression d’une photo de recherche sur le pilori en ligne du G20. Le but est de voir comment la personne observée réagit, avec quelles personnes elle prend contact ou si d’autres éléments anormaux peuvent être détectés. Ici aussi, rien d’autre ne ressort du dossier.

Accès à l’échelle européenne

Les objectifs de la perquisition :

– Les ordinateurs et autres supports de stockage sur lesquels les enregistrements vidéo, les – photos du crime pourraient être stockés, ce qui pourrait conduire à l’enquête sur les complices*, les délinquants ou des tiers impliqués.
– Les vêtements de l’accusé (à des fins de comparaison avec les images vidéo du crime)
– Téléphones mobiles
– Tablette
– Documents écrits
– Découvertes fortuites

Toutefois, la personne recherchée n’est appréhendée ni dans le centre culturel ni dans son lieu de résidence car elle se trouve alors dans un autre lieu dans le canton de Zurich. Il faut toutefois supposer que les autorités chargées de l’enquête en étaient informées à l’avance, car la perquisition du lieu situé près de Winterthur se passe exactement au même moment qu’aux deux autres endroits.

Près de Winterthur, c’est la police cantonale zurichoise qui est mobilisée. De nombreux policiers, tous en civils, encerclent la propriété. Les personnes présentes sont arrachées de leurs lits et doivent présenter leur carte d’identité. Les policiers frappent alors trois fois par hasard : ils arrêtent deux personnes recherchées en Suisse et une personne se séjournant illégalement en Suisse.

Cependant, ils ne trouvent pas la personne recherchée dans le cadre d’Alster dans la maison. Elle est arrêtée quelques instants plus tard dans un véhicule garé à proximité. Comme dans la voiture se trouve également un chien, un policier spécialisé équipé d’un épais rembourrage allant de la tête aux pieds doit d’abord être déployé. Les quatre personnes arrêtées sont ensuite emmenées dans des voitures de police banalisées et la personne recherchée par le Parquet de Hambourg est remise à police argovienne à la frontière cantonale.

L’accusé est emmené à son domicile, où deux policiers de la commission spéciale « Schwarzer Block » (Ndlt : black block) de Hambourg l’attendent déjà. On lui montre des objets confisqués. L’accusée est ensuite interrogée au poste de police par un procureur argocien mais au nom du Parquet de Hambourg et selon le questionnaire établi par celui-ci.

Dès la deuxième question, l’interrogatoire est interrompu. L’accusé refuse de parler. Étant donné qu’aucune procédure pénale n’a été lancée en Suisse contre l’accusé et que les autorités n’extradent aucun ressortissant du pays*, l’accusé est autorisé à repartir en liberté, malgré le mandat d’arrêt allemand.

On peut supposer qu’un mandat d’arrêt européen, sinon international, a été émis – force et solidarité à l’accusé !

 

Notes :
[1] Dans le droit allemand : « schwerer Landfriedensbruch in Tateinheit mit Brandstiftung« .

P.-S. : Article paru le 30 juillet 2019 en allemand sur le site suisse-allemand barrikade.info

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