Act for freedom now! / dimanche 13 avril 2025
Les jours les plus beaux, c’est quand il pleut…
Les manifestations du 28 février* ont laissé derrière elles une impression retentissante. Tout le monde (gouvernement, think tanks, partis, médias) voit la foule rassemblée en termes de statistiques et de votes, de « deuil national », d’« indignation » et d’« attente d’un État meilleur ». C’est une lecture confortable : il est sage d’homogénéiser l’insatisfaction sociale généralisée et la colère – non seulement pour le massacre de Tempé – comme cela a été le cas pour les « besoins nationaux » de l’époque de la pandémie, parce qu’elles sont dangereuses. Les faire rentrer dans les moules de la loyauté et de la « manifestation pacifique ». Donner une « présence » à la Constitution – comme s’il ne s’agissait pas d’une grève, mais d’un événement sur les réseaux sociaux. Faire de l’affaire de Tempé une énigme à résoudre par des « experts » et des « juges incultes ». Les personnes qui sont descendues dans la rue devaient en quelque sorte se conformer à un savoir-vivre défini par un « deuil commun » abstrait, se définir comme des victimes permanentes (le rôle favori de la gauche), qui ne cherchent qu’un peu de soin et d’affection de la part de l’État et non pas d’exprimer leur colère face à l’oppression qu’elles subissent sur de nombreux fronts. S’indigner de la « tentative de dissimulation », en oubliant quelque chose de fondamental : qu’il y a une « tentative de dissimulation » permanente et concrète : dans le monde de l’État, des patrons et du patriarcat, les « accidents » arrivent à des vies jetables. Il ne s’agit donc pas seulement de trains, mais de toute la vie quotidienne : des accidents sur les lieux de travail (45 mort.es déjà en 2025), des balles de la police « déviées » vers les corps des « indésirables », aux meurtres d’immigré.es aux frontières…
La foule qui est descendue dans la rue le 28 février n’était pas uniforme. Certain.es étaient là parce qu’elles/ils reconnaissaient dans cette affaire des éléments de leur propre vie, leur colère et leur tristesse. D’autres ont profité du deuil : les petits et grands patrons qui ont fait en sorte de montrer une sensibilité bon marché et de fermer leurs entreprises ce jour-là, un jour de grève générale. Certain.es manifestant.es ont participé à la grève en la déclarant dès les jours précédents, en créant ainsi une vague, une oscillation qui a ensuite été transmise à d’autres, qui ont été encouragé.es et ont pris la décision de participer. Ainsi, une grande partie des entreprises a été obligée de « rejoindre » la grève, d’une part pour que la participation importante de leurs employé.es ne soit pas révélée et qu’elle ne fonctionne pas comme un exemple, d’autre part c’était une façon de vendre de la sensibilité et de la « solidarité » aux victimes et à leurs proches.
Celui du 28 février à Athènes était toutefois un rendez-vous : pour toutes ces couches sociales d’en bas qui ont subi une asphyxie multiforme, au cours des cinq dernières années, des quarantaines sanitaires à la « crise de l’inflation ». Ces couches sociales qui subissent au quotidien ce que signifie être facilement remplaçable et dont la vie coûte peu. Et, bien sûr, ces couches sociales qui subissent depuis un certain temps leur propre asphyxie spécifique, avec un ciblage accru, la criminalisation et le contrôle dans les rues, les places et les stades : les jeunes et les supporters de foot. Et ce sont eux/elles tou.tes qui ont affronté pendant des heures les forces de répression. Bien sûr, ces couches opprimées, les migrant.es, qui, surtout ces dernières années, ont connu un régime généralisé de confinement, d’« accidents » et de morts massives, étaient absentes. Le « crime de Pýlos »**, avec des centaines de personnes noyées par les garde-côtes, a atteint l’échelle de la « valeur de la vie humaine » et de la « tentative de dissimulation » seulement en tant qu’écho.
La gauche de l’État et ses partis (de même que le reste des médias et la cloaque d’extrême droite) ont fait en sorte de jouer une fois de plus leur rôle habituel : consacrer l’icône de la sainte légitimité, avant et après le rassemblement de la grève. En même temps, bien sûr, ils ont parlé de « la chute du gouvernement » et de « la colère populaire qui va descendre dans la rue le 28 février » et d’autres formules pompeuses du même genre. Quelqu’un.e de moins naïf pourrait-elle/il demander : « comment les gouvernements tombent-ils réellement ? » et comment la colère s’exprime-t-elle dans la rue ? Avec des grimaces de mécontentement à l’encontre du Parlement ? Avec des stories colériques sur les réseaux sociaux ? En réalité, la provocation à propos des « incidents provoqués par la police » est le reflet de la peur de la gauche et des amis de la police, partout, face à la masse des subalternes, à leurs capacités, leur expérience et leur colère. Toutes des choses qui, lorsqu’elles apparaissent au premier plan de l’histoire, balayent la normalité.
…des pavés dans la rue
Thersitis (anarchiste, une lieu d’intrigues et de subversion, à Athènes)
Nestor et Evangelistrias, Ílion
thersitis.espiv.net
thersitis@espiv.net
Notes d’Attaque :
* le 28 février 2023, à Tempé, près de Larissa, il y a eu une collision entre un train de voyageur.euses et un train de marchandise, qui a provoqué la mort de 57 personne et des dizaines de blessé.es. Le 28 février dernier, à Athènes, la manifestation de deuil et de dénonciation de la politique du gouvernement, qui vise à dissimuler ses responsabilités dans cette affaire, a pris des proportions inédites depuis longtemps, avec des durs affrontements entre manifestant.es et flics.
** Dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, un bateau avec quelques 750 migrant.es a chaviré au large de Pýlos, sous les yeux des garde-côtes grecs, et plusieurs centaines de personnes sont mortes.





















































