Budapest Antifascist Solidarity Committee / mardi 1er octobre 2024
Un texte de salutation de le part de Maja, à l’occasion de la manifestation du 28 septembre, à Jena
Je veux être honnêt.e avec vous : j’oscille entre le désespoir et la gaieté extrême, entre le chagrin et la colère, enchaîné.e par les craintes, les doutes et les désirs. Je me balance tout en haut, je tombe tout bas, je suis euphorique et ensuite de nouveau proche du désespoir, de grandes pensées succèdent à une acceptation mesquine. Cette acceptation, associée à l’impuissance, m’a rongé.e de plus en plus, au cours des derniers mois ; d’abord la prison en Allemagne, la discrimination systématique autour de moi, la répression constante, les histoires de vies qui s’enfoncent sans pitié, parce que très peu de prisonnier.es possèdent un réseau assez fort pour tout prendre en charge. Il est d’autant plus important de comprendre la prison comme un lieu où on est avec d’autres, mais on m’a enlevé cela aussi.
Ensuite est venu le trajet en hélicoptère, pendant la nuit, et un premier jour dans l’inconnu, au début j’étais choqué.e, horrifié.e par la brutalité et les conditions misérables qui règnent ici, maintenant je ne le suis plus que rarement, la force me manque. L’isolement, seul.e pendant presque 24 heures par jour, une caméra qui enregistre tous mes mouvements. Tous les jours enchaîné.e et fouillé.e de la tête aux pieds, des fonctionnaires qui ne font que nous gérer, le manque de contact avec les gens, la liste est longue… C’est un poison qui se répand lentement dans le corps, il le paralyse, il dit qu’il n’y a pas d’alternative à l’acception, à la participation à cette procédure déshumanisante de répression et d’emprisonnement. Il sème des doutes, des doutes qui sont presque devenus si grands, en moi, que je ne voulais pas commencer à écrire ces lignes. Je me disais que cela ne servait à rien, que je n’avais pas la force de dire ce qu’il fallait, pour arriver à quelque chose dont, souvent, l’idée précise me manque. L’espoir apporte-t-il de la confiance ? Ou simplement de la compassion et de la solidarité ? Je ne veux pas faire des prêches, ni mendier, ni surtout me vautrer dans la souffrance. Je voudrais tout de même dire quelque chose, ce n’est pas le moment de me taire. Eh bien, je voudrais dire sincèrement : « merci », trouver les mots, comme vous le faites, vous, pour que je ne me laisse pas abattre.
Je veux aussi me débarrasser de cela, je vais rester critique et vigilant.e, solidaire et toujours avec un cœur plein de confiance, malgré l’obscurité. Je n’ai pas besoin de vous l’expliquer : trois semaines se sont écoulées depuis les élections régionales [en Saxe, en Thuringe et plus tard dans le Brandebourg, qui ont vu une forte avancée de l’extrême droite ; NdAtt.], trois semaines depuis Solingen [tuerie au couteau, perpétrée par un islamiste ; NdAtt.], des semaines de chagrin, de colère et d’impuissance permanente, car nous avons tou.tes vécu cette merde assez longtemps, nous avons tou.tes dû voir la façon dont l’indicible devient dicible, dont les mots sont suivis d’actes violents et qui excluent, la façon dont une politique qui a peur d’une société libre déroule le tapis rouge à ses ennemis. Le poison insidieux, l’acceptation.
C’est probablement ce qui m’a poussé.e à tenir ce discours : l’orgueil, l’admiration pour toutes ces personnes qui ne permettent pas tout cela, mais qui, au contraire, chaque jour, rendent visible une société queer, inclusive, antifasciste, féministe, critique, antiraciste, ouverte et solidaire, dans les grandes et les petites choses. Quand le ciel s’assombrit, regardons-nous les un.es les autres : comment l’humanité pourraient-elle se limiter à cela ?
Je voudrais vous encourager à dire et à montrer combien de force réside en vous et combien de choses vous accomplissez chaque jour, à grande ou à petite échelle. Malgré le poison de la société, de la répression autoritaire jusqu’au populisme le plus fou, vous vous unissez, restez fermes et faites plus que crier des mots creux. Votre solidarité arrive à son but, soyez-en sûr.es, soyez motivé.es et continuez à lutter, vous parviendrez à changer les choses.
Oui, mon extradition n’a pas pu être empêchée, bien que les autorités sachent parfaitement à quel point la situation est inhumaine, ici, à quel point, en Hongrie, l’État de droit a disparu et à quel point, dans ce pays, les directives de l’UE ne valent rien. C’était un calcul aveugle, aveugle seulement pour les victimes qu’il provoque, ils voulaient briser et épuiser des gens, les procédures de l’État de droit sont depuis longtemps une épine dans le pied du LKA [la police judiciaire, ici celle du Land de Saxe ; NdAtt.] et de ses procureurs.
Le nombre de personnes qui refusent d’accepter tout cela me donne de l’espoir et j’en ai besoin, tout comme de confiance et de courage, c’est à nous tou.tes de faire en sorte qu’une telle extradition ne se reproduise pas, il faut que nous tou.tes gardons les yeux ouverts pour que ce qui nous paraît trop souvent évident ne s’éteigne pas. Il est déprimant de devoir toujours défendre ce qui a été acquis de haute lutte, ce qui était autrefois un consensus démocratique, des rouleaux compresseurs des réactionnaires, cela me décourage et me fait souvent secouer la tête, horrifié.e. Quand j’entends des gens tourner le dos à la Thuringe et se croire supérieurs, j’ai une envie désespérée de demander : « Mais pourquoi, au fait ? ». Mais je peux difficilement les blâmer, surtout ceux/celles qui sont quotidiennement exposé.es à la haine et aux campagnes de dénigrement, ou celles/ceux qui manquent de soutien pratique. Ce que les derniers mois en prison m’ont montré est que la survie dans le faux est possible, voire nécessaire, pour prendre conscience du besoin intérieur de changement et de justice. Il n’y a vraiment qu’une fine ligne entre les beaux mots et l’acceptation sans courage. Souvent, le chemin entre les deux m’a semblé plein de brouillard, impraticable, mais oser quand même, c’est ce qui fait la force.
Et, par cela, je veux revenir à la raison pour laquelle j’ai choisi d’écrire ces lignes ; cela peut sembler pathétique, mais il a toujours été pour moi source de force, de faire ces pas difficiles sans avoir à craindre d’être seul.e. Cela m’a toujours incité.e à ne jamais emprunter un chemin insensible, sans amour, dont le sol est gorgé de mépris. C’est vous qui, ces derniers mois, m’avez ôté la peur et m’avez silencieusement exhorté.e à ne pas accepter, peu importe à quel point certains jours semblent désespérés.
N’arrêtons pas de contredire ceux qui nous combattent avec un tel acharnement, qui essaient de nous ridiculiser, de nous dénigrer et de nous enlever au cours de la nuit. Ils savent qu’ils commettent une injustice, leur dureté est donc un symptôme de peur. Au lieu de cela, faisons preuve de force par l’amitié, le soutien et la joie, toujours avec une porte ouverte pour celles/ceux qui osent s’interroger de manière critique.
Je reste avec des pensées solidaires,
Maja