Scenes from the Atlanta Forest / jeudi 5 octobre 2023
Tous les compromis pour défendre la Terre Mère : une critique anarchiste de la proposition de non-violence de Block Cop City
« Si vous pensez que c’est stupide, si vous pensez que c’est gauchiste,
vous n’êtes pas obligé.es de venir. »
Un.e présentateur.trice du « Weelaunee Worldwide :
tour de conférences pour une action de masse »
Il y a une proposition pour une journée, une seule, d’action non-violente, le 13 novembre, sur le chantier de construction de la Cop City, à Atlanta. Nous pensons que cette proposition est contre-révolutionnaire, mal planifiée et inutilement dangereuse pour les participant.es. Et aussi qu’elle est stupide et gauchiste [liberal, dans la terminologie politique nord-américaine ; NdAtt.].
Les titres des paragraphes et les citations qui suivent sont tous pris de la « Foire aux questions » [FAQ – Frequently asked questions, littéralement « questions fréquemment posées »; NdAtt.] du site Block Cop City (https://blockcopcity.org/faq). Si l’une de nos questions ci-dessous vous interpelle, nous espérons que vous en ferez vous aussi une question fréquemment posée.
POURQUOI LA NON-VIOLENCE ?
« Cette action utilisera des tactiques non-violentes non pas parce que nous acceptions la fausse dichotomie étatique entre une protestation légitime et une illégitime, mais plutôt parce que nous pensons qu’un engagement dans des tactiques non-violentes nous permettra de mieux se serrer les coudes et de surmonter la tentative de la police de nous isoler et nous diviser. »
C’est du double langage. Comment, au juste, des tactiques non-violentes pourraient surmonter les tentatives de la police de nous isoler et nous diviser, si ce n’est en acceptant et en renforçant leur dichotomie entre des typologies d’actions qui sont légitimes et d’autres qui ne le sont pas ? En faisant appel au type de gens qui croient précisément à cette dichotomie ? Les flics ont tué Tortuguita. Adopter une stratégie qui consisté à tendre l’autre joue est une réponse vraiment honteuse face à sa mort. Comment un.e radical.e qui a été témoin de l’insurrection provoquée par le meurtre de George Floyd peut-il/elle préconiser sans sourciller la non-violence et avoir encore du respect de soi en se regardant dans un miroir ?
Nous comprenons que cette proposition n’est pas idéologiquement pacifiste, mais « stratégiquement » pacifiste. Nous ne sommes pas d’accord avec cette approche. L’anarchie est masquée, mais, à travers le masque noir, notre vrai feu brille. Nous avons besoin du secret lors de nos opérations, de l’anonymat, d’être astucieux.ses et rusé.es. Mais nous sommes honnête.es par rapport à ce en quoi nous croyons. Si nous ne croyons pas en la non-violence, alors nous ne la préconisons pas. Faire autrement, c’est agir comme un politicien.
La « diversité des tactiques » est un principe d’activistes, pas un principe anarchiste. L’action directe est un principe anarchiste, mais les tactiques qui sont conçues pour séduire les médias ou le gouvernement sont par définition indirectes. Un principe fondamental de l’anarchie est que la manière dont nous faisons les choses est importante. En tant qu’anarchistes, nous voulons promouvoir une auto-organisation qui augmente le conflit contre l’État et les partisans de la reforme et de la récupération. Cela peut inclure une myriade d’activités différentes qui sont techniquement « non-violentes », mais n’inclut pas une stratégie délibérée de non-violence. Elle n’inclut pas les pétitions ou le fait de « dire la vérité face au pouvoir ». Elle n’inclut pas les accords à ne pas critiquer ni dénoncer l’attitude réformiste ou récupératrice. Historiquement, des anarchistes ont brisé le modèle activiste d’une diversité de tactiques soigneusement séparées, comme lors du sommet du G8 de Gênes, en 2001, ou lors de la convention du Parti républicain, à Minneapolis, en 2008 (https://conflictmn.blackblogs.org/wrecking-you-again-for-the-very-first-time/).
Nous ne pensons pas que cette action non-violente d’une journée sera efficace pour arrêter la Cop City ou pour défier la répression étatique. Mais même si cela devait être assez efficace pour provoquer quelque réforme ou une concession mineure, cette victoire de Pyrrhus conduira inévitablement les récupérateurs à demander que cette stratégie soit répétée encore et encore, dans toutes les situations, comme Earth Fist! l’a fait après sa victoire inexplicable a Warner Creek (victoire qu’ils/elles n’ont jamais été capables de reproduire à nouveau). Certaines stratégies sont par nature récupératrices, peu importe qui les réalise.
POURQUOI CETTE ACTION A-T-ELLE LIEU MAINTENANT ?
« Nous savons que la désobéissance civile de masse est une force indéniable aux mains du Pouvoir des Peuples et c’est seulement le pouvoir du peuple qui peut #StopCopCity. »
Le Pouvoir de la Forêt a toujours et indéniablement été la conflictualité de ses défenseur.es. Jusqu’ici, la défense de la forêt a inclus à la fois des actions « violentes » et des actions qui sont « non-violentes », mais les personnes qui ont réalisé des actions « non-violentes » (qui peuvent être ou pas les mêmes qui réalisent des actions violentes) n’ont pas étiqueté leur activité comme spécifiquement « non-violente ». La lutte s’est développée parce que les gens sont inspirés par son caractère conflictuel. Alors pourquoi opérer maintenant un virage vers une non-violence explicite ? La lutte se trouve certainement à une croisée des chemins, mais la voie qui est proposée ici est un désaveu de tout ce qui s’est passé avant, ainsi qu’une façon de briser notre force la plus importante. On doit continuer à mettre au point, honorer et encourager cet héritage de conflictualité.
QUEL EST LE PLAN DE L’ACTION ?
« Nous respecterons les accords collectifs qui ont été décidés à l’avance et nous serons bien préparé.es à nous serrer les coudes et à nous protéger les un.es les autres de la possible violence de la police. »
Comment, au juste, imposera-t-on ces accords ? Il y aura-t-il des shérifs de la protestation ? Cela a été demandé à un.e présentateur.trice et elle/il a répondu que les accords ne seront pas imposés et que les gens pourront se défendre. Si tel est le cas, pourquoi insister sur un accord collectif au sujet de la non-violence ? En effet, cela semble n’avoir pour but que de dissuader de participer quiconque critique l’idéologie de la non-violence, ce qui réduit le nombre des personnes qui sont effectivement prêtes à se se protéger mutuellement. Et s’ils/elles ne nous veulent pas là-bas, pourquoi font-elles/ils certaines de leurs présentations dans des lieux anarchistes ?
La « Foire aux questions » dit que « un conseils des porte-paroles des groupes d’affinité se réunira en prévision de l’action ». Quelle coordination significative pourrait être mise en place par un tel conseil des porte-paroles, si la décision d’annoncer l’action comme non-violente a déjà été prise ? Une action autonome conflictuelle est toujours possible (et si des compas veulent poursuivre dans cette voie, nous les soutenons), mais cette situation a été délibérément organisée de façon à y être la moins propice possible. Nous pensons qu’il serait plus tactique de frapper ailleurs.
QUELS SONT LES RISQUES ?
« Même si nous ne pouvons pas prédire avec certitude les actions de la police, un plan d’action bien conçu atténuera les effets de la répression et créera une situation dans laquelle davantage de violence policière, non provoquée, fera grandir le mouvement, au lieu de le faire taire. »
Qu’est-ce qu’une violence policière « non provoquée » ? Cette expression implique que la violence policière peut être légitime si provoquée par les actions illégitimes de manifestant.es violent.es. Tout cela n’est que de la politique de respectabilité.
L’idée que la non-violence provoquera davantage de violence policière, ainsi que des arrestations massives, de façon à faire grandir le mouvement plutôt qu’à le faire taire, est loin d’être quelque chose de certain. Ce qui est certain, c’est que si des gens sont arrêtés en masse à cause du choix de poursuivre une stratégie de non-violence, cela portera à plus encore d’affaires judiciaires, alors que la lutte fait déjà face à des dizaines d’inculpations pour « terrorisme interne » et au nom de la lois sur les « organisations motivées par le racket et la corruption » [RICO]. Vraiment, nous ne voyons pas en quoi d’autres arrestations encore aideraient les personnes déjà inculpées. Il est vrai que les cinq membres du clergé qui se sont enchaînés à un bulldozer ont été accusés seulement de violation de propriété privée, mais il n’y a pas la moindre garantie qu’une foule plus importante, qui inclurait des personnes venant d’autres endroits qu’Atlanta, serait traitée de la même manière.
Il y a aussi la possibilité que toute personne participant à cette action soit arrêtée, en masse, et accusée de terrorisme interne et en vertu de la loi RICO. Il est théoriquement possible qu’une utilisation trop vaste de ces chefs d’inculpation finisse par affaiblir les procédures dans les tribunaux ; néanmoins, il n’y a aucune raison de le supposer, quand des personnes accusées de délits qui ne comportent pas de violence ont déjà fait l’objet de ces chefs d’inculpations. En outre, la lutte pour détruire la Cop City et toutes les formes de maintient de l’ordre ne sera pas gagné automatiquement, juste parce que ces accusations finiraient par tomber.
Un.e présentateur.trice a décrit cette stratégie comme « un pari ». Mais parier sur la non-violence et faire appel aux gauchistes [liberals] est un jeu de dupes.
« Il est beaucoup plus difficile pour la police d’arrêter, d’accuser de chefs d’inculpation de nature politique ou d’infliger des violences à une foule qui reste unie. »
La suggestion que, dans le contexte d’une action non-violente, la présence d’une large foule pourrait dissuader la police d’être violente est une affirmation extrêmement dangereuse. Si quelqu’un.e va adopter la stratégie de la non-violence (à laquelle, nous l’avons déjà dit, nous nous opposons par principe), elle/il ne peut pas le faire à moitié. Ils/elles doivent être prêt.es au martyre chrétien ou pacifiste, non pas espérer que le nombre des personnes non-violentes puisse dissuader les flics de les attaquer brutalement. Les gens doivent savoir dans quoi ils s’embarquent et les vagues insinuations des organisateur.trices, selon lesquelles cette action est en quelque sorte moins risquée que les précédentes Semaines d’action sont vraiment irresponsables.
« Et, bien sûr, nous reconnaissons que le risque d’inaction est beaucoup plus grand. »
Il y a beaucoup de possibilités d’agir, il n’y a pas que cette proposition de non-violence. Prétendre le contraire est malhonnête. N’importe qui peut jeter un coup d’œil au site internet Scenes from the Atlanta Forest et voir que des gens ont continué à agir de manière autonome, même après que le campement [qui occupait le secteur de la forêt où les travaux devaient commencer ; NdAtt.] est fini, et qu’ils ont présenté leurs propres propositions. La rhétorique du groupe Block Cop City essaye d’effacer ce fait, dans le but de manipuler émotionnellement les gens pour qu’ils adhérent à leur seule proposition d’action. C’est la duperie la plus écoulée de l’activisme et nous ne tomberons pas dans le panneau.
QUI EST IMPLIQUÉ DANS LA PLANIFICATION DE L’ACTION ?
Celle-ci n’est pas une critique sectaire. Nous ne sommes pas d’accord avec cette proposition, peu importe qui la préconise. Néanmoins, nous aurions tort de ne pas inclure ici l’avertissement de quelqu’un.e qui est sorti des milieux appelistes, qui ont fortement promu cette stratégie : « La raisons pour laquelle nous ne mettons pas en garde les jeunes femmes sur les gars à éviter est liée à la raison pour laquelle nous essayons de convaincre des nouvelles personnes que l’action directe non-violente est une stratégie viable. Nous savons bien que c’est n’est pas le cas, mais nous nous fichons de celles/ceux qui seront blessé.es (https://anarchistnews.org/content/jumping-ship-or-why-im-defecting-terrible-community). »
Le texte anonyme français de 2004 « Appel », d’où ces milieux sociaux ont historiquement tiré leur inspiration, critique ouvertement la logique de l’activisme : « en marge de cette paralysie, le “il faut bien faire quelque chose, n’importe quoi” des activistes. […] Incontestablement, l’activiste se bouge. Mais jamais il ne se donne les moyens de penser comment faire ». Les appelistes américain.es qui, en 2023, promeuvent l’activisme non-violent sont soit amnésiques, soit cyniques (la personne qui les a quitté.es met en garde en ce sens), soit les deux.
Nous espérons sincèrement que personne ne manquera tellement d’éthique, au point de tromper délibérément des gens pour mettre en œuvre une stratégie qu’il/elle ne pense pas réellement viable, mais des décennies d’expérience nous amènent à inciter les lecteur.trices à garder un œil sur le cynisme opportuniste. Regardez si les personnes qui parlent le plus de cette proposition finissent pour mettre leurs propres vies et libertés en jeu, après avoir incité d’autres à le faire, et tirez vos propres conclusions de ce que vous voyez. Ne vous laissez pas utiliser comme des pions sacrifiables à merci, dans la stratégie politique de quelqu’un.e d’autre.
QU’EST-CE QU’UN GROUPE D’AFFINITÉ ? COMMENT SERONT-ILS ORGANISÉS ?
Nous sommes d’accord avec Block Cop City sur le fait qu’il faut former des groupes d’affinité, construire de la confiance mutuelle et se coordonner avec d’autres groupes d’affinité. Mais une action non-violente de masse est loin d’être le seul endroit où cela peut être fait et en réalité un tel cadre est extrêmement limitant pour explorer les profondeurs de l’affinité et de la confiance, ce que nous considérons comme important. Nous incitons à expérimenter continuellement des manières de passer à l’offensive, où que vous soyez, que ce soit par vous-mêmes, avec vos groupes d’affinité ou avec deux ou plusieurs autres groupes d’affinité. Nous suggérons aussi d’expérimenter des cibles plus précises et plus imaginatives.
La proposition de Block Cop City essaie de recruter un grand nombre de nouvelles personnes, en partant de l’hypothèse que la non-violence est « plus sûre ». Mais l’idée des groupes d’affinité (qui trouvent leurs racines dans les expropriateurs et les pistoleros espagnols du début du XX siècle, dans le groupe Up Against the Wall Motherfuckers et dans d’autres prédécesseurs qui n’étaient absolument pas non-violents) est fondée sur la qualité des relations. Comment pouvons-nous être dangereux.ses ensemble ?
Nous proposons l’action directe décentralisée, maintenant et aussi le 13 novembre, afin de montrer que d’autres stratégies sont possibles. Ces actions ne doivent pas nécessairement être « violentes », ni même illégales. Mais elles devraient faire augmenter la conflictualité contre la police et les réformistes, elles devraient être généralisables et devraient contribuer à l’esprit de ce qui est sauvage [wildness ; NdAtt.] et de la dignité, plutôt que canaliser l’énergie dans les cages et les compromis de la non-violence.
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