reçu par mail (en italien) / mercredi 23 août 2023
Nous descendrons
depuis les noires forêts
sous les vents froids de la tramontane,
mille et mille encore,
les lutins,
pour sonner les trompettes de la révolte.
Elia Vatteroni
La crise vers laquelle se dirige de plus en plus rapidement l’organisme étatique et capitaliste porte avec soi un réajustement, une redéfinition globale de la façade démocratique des pays occidentaux. En ce sens, les poussées nationalistes de ces dernières années sont nécessaires parce que la menace de la guerre permanente devient de plus en plus concrète, même sur des fronts qui vantaient quatre-vingt ans de « paix » (c’est-à-dire de conflits guerriers continuels, mais combattus dans d’autres territoires, cela en plus, naturellement, de la guerre de classe contre les exploités, sans trêve, partout dans le monde). Il y a donc la nécessité d’un État plus fort, omniprésent, moins dépendant des structures de coordination supranationales (qu’on pense, à ce propos, au rôle prit ces dernière années par l’Union européenne), pour que l’actualisation hyper-technologique du capitalisme puisse permettre de résister aux revers.
Le capital n’a pas trouvé d’autre voie pour s’appuyer sur son système en faillite, si ce n’est par le biais de l’hyper-technologisation de toutes ses structures et ensuite de la réalité sociale dans son ensemble. Tandis qu’il injecte de la lymphe pourrie dans sa chaîne de production, il est lui-même la cause de crises ultérieures, c’est-à-dire de la destruction du monde tout entier à travers le pillage des ainsi-dites « ressources », ce qui signifie, dans les faits, l’accaparement de chaque recoin de terre, de mer et de ciel. Cela ne saurait marcher autrement. Et cette lucide folie dévastatrice n’a qu’un seul scénario possible, qu’une direction univoque : la guerre.
À la suite des développements de la télématique et de la linguistique informatique, pendant la deuxième moitié du XX siècle, c’est le brusque développement des « nouvelles technologies », des sciences convergentes – avec l’ingénierisation, la numérisation, l’ouverture du monde tout entier à la forme-laboratoire, dans sa nécessité intrinsèque d’agresser tout être vivant – qui a caractérisé le processus d’exclusion des masses prolétaires, leur empêchant même de comprendre les étapes de la chaîne productive. Un tel processus a trouvé son premier moment culminant pendant le cycle de luttes prolétaires qui a caractérisé l’affrontement révolutionnaire à partir des années 60. L’initiative révolutionnaire de cette époque-là s’est développée précisément au début de ce processus d’exclusion. C’est ainsi, grâce aux « nouvelles technologies », que s’est déclenchée l’ainsi-dite crise de la globalisation, qui, en tirant ses fondements idéologiques des nationalismes renaissants, a mené des grandes couches de la population, dans le pays ainsi-dits occidentaux, à faire face à un durcissement de leur condition de prolétariat ou, comme cela est arrivé à certains secteurs de la classe moyenne, à faire face à un processus grandissant de prolétarisation.
Le fait que le capital se retranche dans la dynamique qu’on vient d’esquisser comporte le développement d’une offensive répressive, historiquement déterminée, contre les révolutionnaires. Ces messieurs tremblent à l’idée que leurs plans scélérats puissent provoquer des révoltes, d’autant plus des révoltes généralisées (en ce qui concerne les moments insurrectionnels, on peut en compter des nombreux exemples, rien qu’en ces toutes dernières années), puis le développement de formes de conflictualité sociale radicale, sans structures de médiation, qui mettent en discussion leur existence même sur la planète.
La démocratie, dont ils se sont énormément vantés, l’exportant dans le monde entier à coup de massacres, comme elle a été enjolivée dans les écoles et par les médias de masse n’est plus un instrument adéquat. Le processus d’actualisation prévoit un État doté de structures plus robustes, d’armes plus puissantes, ainsi qu’un contrôle social de plus en plus envahissant. La répétition générale a eu lieu pendant les années de gestion de la pandémie de Covid-19. Et elle a bien marché. En des temps d’urgence, la tendance de la société dans son ensemble a été la docilité, voire la requête explicite d’une présence de l’État, comme si celui-ci pouvait être la seule et unique réponse possible.
Cette restructuration, mise en place pour soutenir l’édifice de l’État, a augmenté non pas tellement à cause des guerres infra-capitalistes que les patrons se déclarent réciproquement, mais plutôt pour contrôler et gérer l’immense masse d’exploités que le capital lui-même, par sa gestion, est en train d’inciter à la révolte. En ce contexte de « travaux en cours », vers un avenir proche de plus en plus terrifiant, les idées anarchistes révolutionnaires restent toujours un danger concret, parce qu’elles, s’attestant du côté de la vie sans demi-mesures, représentent le seul chemin que l’on puisse parcourir vers la libération, contre le régime de mort organisée de l’État et du capital. En ces temps de guerre qui sont les nôtres, la combinaison théorique-pratique de l’anarchisme peut être un possible, puissant coup de fouet, en exprimant toute sa consistance en termes révolutionnaires parce qu’elle a la possibilité de mettre l’accent de façon significative sur le défaitisme, la désertion, l’attaque directe contre les responsables.
Les opérations répressives qui visent à frapper les publications anarchistes évoluent donc dans ce sens. Il ne s’agit pas d’attaques contre la « liberté d’opinion ». Les révolutionnaires n’expriment pas d’opinions, ils ont des idées qui trouvent leur source dans les pratiques d’attaque et vice-versa. La liberté d’expression, de presse, ainsi que celle de mouvement, de marcher sur les pelouses, n’ont aucun sens : on abuse du mot liberté, on le déchiquette, on le morcelle, de façon qu’il soit possible de faire semblant de la distribuer comme des miettes aux pigeons. Cependant, la liberté est une et indivisible. Nous, les anarchistes, la considérons seulement comme une liberté intégrale. Encore moins, ces opérations répressives ne sont pas une nouveauté, de ces temps, ni une « dérive fasciste » de la démocratie et ainsi de suite. Dans chaque époque où les États se sont trouvés face au danger, concret ou partiel, d’insurrections, ils ont pris des mesures, en frappant de la même manière les individus et groupes subversifs et la propagande révolutionnaire. L’État a besoin que sa vérité reste seule sur le marché, toute autre, qui pourrait représenter un danger concret à sa survie, est rapidement éliminée, c’est comme ça depuis que l’État existe.
Dans le but de consolider la mise en garde répressive à l’encontre du mouvement, les organes de l’État ont développé la tendance à attribuer la réalisation d’actions, de la part des compagnons, à un travail préalable d’« incitation », de la part des publications anarchistes. Si cela est d’un côté une démonstration du peu de capacité qu’ont les forces répressives à « dénicher » ceux qui ont mené des actions (malgré la surveillance omniprésente qu’ils mettent en place), d’un autre côté cela est aussi le signe de nécessité pour eux de frapper les publications en tant que telles.
En ce sens, les récentes opérations répressives contre les publications anarchistes montrent des ressemblances avec ce qui se passait il y a cent ans. Les ainsi-dites lois anti-anarchistes, comme les « lois scélérates », promulguées en France à la fin du XIX siècle, ont des similitudes profondes avec les procédures récentes, avant tout avec celles qui ont touché KNO3, la dernière version de Croce Nera Anarchica, Vetriolo et, récemment, le bimensuel anarchiste internationaliste Bezmotivny.
L’opération répressive du 8 août 2023, appelée Scripta Scelera, est dirigée contre dix compagnons, accusés de participer à une association subversive avec la finalité de terrorisme et de subversion de l’ordre démocratique (par rapport à la Fédération Anarchiste Informelle) et de provocation aux crimes et aux délits, avec la circonstance aggravante de la finalité de terrorisme, pour la publication de Bezmotivny. Dans le cadre des enquêtes qui ont mené à cette opération, le procureur Manotti, de la Direction anti-mafia et antiterrorisme du district de Gênes, a demandé à deux reprises (en juillet 2022 et en mars 2023) dix placements en détention préventive. La deuxième de ces requêtes a porté à l’ordonnance du juge d’instruction qui abouti à l’opération du 8 août.
Dans l’enquête Scripta Scelera, le raisonnement de la police, partiellement copié sur ce qui était déjà énoncé dans la procédure contre Vetriolo, est en gros le suivant : tu publies ou tu soutiens un journal où sont relayés des textes de revendication et où sont déclarées les raisons de l’attaque – non épisodique, mais comprise au sein d’une optique stratégique, révolutionnaire, internationaliste – contre des structures et des figures de l’État et du capital ? Alors tu fais de la « propagande instigatrice », qui participe à garder en vie la FAI-FRI, et le journal lui-même serait un instrument par lequel celle-ci reste vivante. L’État, dans le but d’« éradiquer » les anarchistes, a besoin de « intensifier la lutte contre leur méthode de propagande ».
Alfredo Cospito, déjà condamné pour la publication de KNO3 et Croce Nera Anarchica, lors des procès Shadow, à Pérouse, et Scripta Manent, à Turin, et aussi récemment impliqué dans l’enquête Sibilla, a exposé clairement, lors du procès de Turin, la nature de la participation des compagnons aux journaux, en démantelant, par l’évidence de la réalité, ce que les forces répressives déclaraient, de façon intéressée :
« Aujourd’hui je me trouve dans un tribunal à faire face à vos représailles, votre mesquine tentative de mettre sur le banc des accusés Croce Nera, un journal historique du mouvement anarchiste, qui, avec ses hauts et ses bas, depuis les années soixante, accomplit son rôle d’appui aux prisonniers de guerre anarchistes.
Dans vos délires fascistoïdes, vous essayez de le faire passer comme l’organe de presse de la FAI-FRI. Même en 1969, dans le plein de la campagne anti-anarchiste, [les enquêteurs] n’étaient pas allés si loin. A cette époque, vos collègues, repus de chair humaine avec l’assassinat du fondateur de la Croce Nera italienne, Pinelli, se sont limités à l’incrimination de certains compagnons pour des faits spécifiques, tout le monde sait comment cette histoire a fini [à ce propos, voir le texte d’Alfredo « Aux origines de la victimisation » ; NdAtt.]. Aujourd’hui, faute de sang, vous ne vous contentez pas des accusations pour des actions précises, contre quatre compagnons, vous allez plus loin, jusqu’à criminaliser toute une partie du mouvement. Tous ceux qui ont participé à la rédaction de Croce Nera, qui y ont écrit, ou qui ont simplement été à ses présentations publiques, dans votre vision inquisitoriale, appartiennent tous à la FAI-FRI. Ma participation à la rédaction de Croce Nera et d’autres périodiques anarchistes, chose dont je suis fier, ne fait pas de ces journaux les organes de presse de la FAI-FRI. Ma participation est individuelle, chaque anarchiste est une monade, une île à part, sa contribution est toujours individuelle.
[…] Fourrez-vous le bien dans la tête: sans vouloir diminuer la contre-information, la FAI-FRI ne publie pas de journaux ou de blogs. Elle n’a pas besoin de spectateurs ou de supporteurs, ou de spécialistes de la contre-information, ça ne suffit pas de la regarder avec sympathie pour en faire partie, il faut se salir les mains avec les actions, risquer sa propre vie, la mettre en jeu, y croire vraiment. » (Alfredo Cospito, Déclaration lors du début du procès Scripta Manent à Turin, en visioconférence depuis la prison de Ferrara, 16 novembre 2017).
En ce sens, Bezmotivny – comme cela a été le cas pour la dernière version de Croce Nera Anarchica et pour Vetriolo – est obsessivement décrit comme clandestin, en suivant encore l’hypothèse éculée du « double niveau » (l’un manifeste, visible, l’autre clandestin, illégal). Sur la base de ce postulat, « derrière » le journal se cacherait l’expression d’une organisation bien précise, qui se dédie à la mise en place de cette « propagande instigatrice » qui préoccupe ces messieurs, car elle serait une expression des « concepts stratégiques de l’orientation et du mécanisme de la propagande instigatrice » qui guideraient notre action d’anarchistes. Or, nous n’avons pas du tout besoin de répondre aux accusations et aux conjectures de la police : nous ne reconnaissons pas l’État et ses apparats comme des interlocuteurs, nos réflexions à l’adresse des compagnons et du mouvement sont la prérogative du mouvement, non pas du matériau pour les juges. Ceci dit, il est clair que la réalisation d’actions de la part de compagnons – qu’ils agissent en groupe ou individuellement – ne peut pas être attribuée à cette « propagande instigatrice » imaginée par les parquets antiterroristes et par les agences de renseignement. Et il serait débile de devoir l’expliquer. De la même façon, c’est un fait que ces journaux – qui ne sont pas nôtres, mais qui sont des instruments pour le mouvement et pour l’approfondissement de l’affrontement révolutionnaire – ne sont de toute évidence pas clandestins, il sont diffusés publiquement lors d’éventements et dans des lieux, envoyés par la poste, parfois discutés lors de rencontres et de débats, etc. Cette observation ne doit cependant pas servir à une prise de position opportuniste, qui viserait à se défendre (de manière hypocrite) de l’accusation de publication d’un journal clandestin. L’intention explicite des forces répressives est de nous mettre en garde, de nous contraindre à nous cacher, de pousser les lieux et les publications à une sorte de « clandestinisation » forcée. Nous ne marchons pas. Nous ne déprécions pas la clandestinité, mais justement pour cette raison elle reste une possibilité, un choix, parfois même une nécessité individuelle imposée par la situation, certainement pas une condition provoquée par la plus large offensive répressive qui est en train de se déployer, ces dernières années, contre les minorités révolutionnaires.
En ce qui concerne plus précisément le journal, le juge d’instruction ne cache pas le fait qu’il pense que les mesures de surveillance sont nécessaires pour « empêcher toute l’activité de préparation de la publication de chaque numéro, ainsi que toutes les activités qui y sont reliées », en décrivant donc ces mesures aussi en termes de prévention, en suivant une tendance qui – loin d’appartenir à un seul juge – est avant tout l’expression de suggestions et de directives bien plus amples, disposées par la Direction nationale anti-mafia et antiterrorisme et issues de la tendance plus générale à détruire toute minorité révolutionnaire.
Pour rester sur le plan de la continuité historique, l’État, en plus de la répression, a toujours eu le besoin de se décrire dans une optique clairement mystificatrice ; il en est de même quand il veut écrire l’histoire des actions ou des individus révolutionnaires, dans ses moyens d’information et aussi dans les dossiers de tribunal. Le choix de présenter les anarchistes d’abord comme des « délinquants communs » et ensuite comme des mafieux est un choix bien précis, clairvoyant, qui a permis de réprimer la simple expression d’idées révolutionnaires sans mettre en danger le cache-misère de la « liberté d’expression » et aussi de faire passer le 41-bis comme instrument répressif contre des révolutionnaires.
Dans la même optique, aussi le fait de réaffirmer de manière illogique que Alfredo Cospito occupe un « rôle dirigeant et d’orientation » n’est pas un choix dû au hasard et à la petitesse intellectuelle des gris hommes de tribunal. Mystifier la réalité a le double but de pouvoir frapper plus facilement, avec les lois démocratiques qui sont disponibles, sans devoir faire des pieds et des mains pour les changer dans un sens ouvertement autoritaire, en plus de l’évidente volonté d’affaiblir l’action révolutionnaire.
La tentative de mystification et d’affaiblissement va donc au delà des limites de l’imagination, à un tel point que le procureur, avant de dormir, se raconte le conte des preux chevaliers du parquet qui, à force d’opérations répressives, ont fermé Croce Nera Anarchica et Vetriolo et qui réussiront dans cette courageuse entreprise aussi avec Bezmotivny. Il y a une chose que cet imbécile ne comprend pas : la morale des histoires est que les patrons « vécurent heureux », mais la réalité est différente. Les publications anarchistes qu’on vient de nommer n’ont pas du tout fermé ou, si le projet a été interrompu, ce n’est pas à cause de la répression.
Contre toute narration mystificatrice ou affaiblissante, aussi celles internes au mouvement, Bezmotivny porte en soi un double danger pour l’État : il a une claire perspective révolutionnaire et il soutient des actions d’attaque qui, sinon, seraient passées sous silence ou mystifiées. « Même si on ne peut pas prétendre que tous les compagnons soient d’accord sur les méthodes et les pratiques révolutionnaires (l’hégémonie ne nous appartient pas !), il serait évidemment plus difficile pour l’État de nous frapper si on défendait tous haut et fort les pratiques dont sont accusés les anarchistes emprisonnés (et aussi celles qui continuent à avoir lieu) […] Non seulement, en ces dernières années on a beaucoup parlé de redonner de la crédibilité à l’anarchisme. Eh bien, on ne pourra évidemment pas le faire en enlevant de la dignité à une action réalisée […]. Pourquoi donc dévaluer le courage destructif de qui se met en jeu ? Qu’est ce qu’on est en train de dire – et pour obtenir quel but – quand ont amoindrit les faits par le langage ? » (Luigi, « Affaiblissement de la propagande et de l’action anarchiste », Bezmotivny, II année, n°18, 26 septembre 2022).
Assumer la responsabilité de publier des revendications et des nouvelles sur des attaques contre les structures de l’État et du capital signifie laisser à qui les lit la possibilité de les interpréter sans préjugés, mais surtout réaffirmer – comme on l’a toujours fait, publiquement, dans les pages du journal – le bien-fondé, les raisons de l’attaque.
Depuis longtemps, les parquets antiterrorisme essayent de manière effrénée de « stopper » les anarchistes. Avec les enquêtes qui se sont suivies ces dernière années, contre des journaux, on nous « reproche », en substance, d’être ce que nous sommes. Les enquêteurs ont avancé rapidement dans leur travail, en faisant des découvertes mirobolantes : les anarchistes sont anarchistes, ils font vivre des lieux anarchistes, ils publient des journaux où l’on soutient les raisons de l’anarchisme, ils se solidarisent avec les exploités du monde entier, en plus qu’avec leurs compagnons enfermés.
Nous sommes sûrs que ces procédures judiciaires continueront, avec des nouvelles requêtes d’arrestation et des déclarations tonitruantes. Cependant – que les fauteurs zélés de la raison d’État s’y habituent – nous n’hésiterons pas à poursuivre la publication de journaux : du vitriol sur la conscience immaculée de l’ennemi de toujours, des mots qui, pour certains, sont sûrement sans raison, face aux milles raisons de continuer à lutter. De la même façon, nous continuerons à lutter pour rendre vaines les tentatives de criminaliser le principe théorique et pratique de la solidarité : celle internationaliste et révolutionnaire, avec les exploité du monde entier – contre chaque État (en commençant, ici, par l’État italien) et contre toute les guerres des patrons –, et celle avec les compagnons emprisonnés.
À propos de la solidarité avec les compagnons en prison : dans cette enquête, la réalisation d’initiatives dans le contexte du mouvement de solidarité internationale qui s’est développé avant et pendant la grève de la faim d’Alfredo Cospito contre le 41-bis et la peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée, est considérée comme une circonstance aggravante, de même que la publication, pendant les onze mois de mobilisation, de textes de revendication d’actions, d’information et d’analyse. Nous avons soutenu cette mobilisation et nous en revendiquons complètement les raisons et la perspective. Le mouvement de solidarité, avec la grande résistance du compagnon, a permis que l’État n’atteigne pas son but d’anéantissement total d’Alfredo, c’est-à-dire que, en plus du 41-bis, il soit condamné à une peine de perpétuité avec période de sûreté illimitée (étant donné que, jusqu’à la sentence de la cour constitutionnelle du 18 avril, une condamnation de la sorte était pratiquement chose sûre, car le « massacre politique » a comme peine fixe la réclusion à perpétuité). De plus, cette mobilisation a été une sérieuse épine dans le pied pour l’offensive répressive contre les anarchistes et les révolutionnaires. Ce mouvement de solidarité internationale – avec sa connotation radicalement révolutionnaire, même avec toutes les limites existants dans le mouvement anarchiste contemporain – a été un fort élément de perturbation de la paix sociale en ce pays.
Étant avéré que l’État, en tant qu’organisation structurée, a comme but primaire sa survie et que pour ce faire, surtout en période de guerre, il doit nécessairement éradiquer tout « ennemi intérieur », nous considérons comme allant de soi les opérations répressives contre la propagande anarchiste révolutionnaire. Nous nous y attendons, quand nous agissons, et nous continuerons donc à persévérer, sans renier la justesse de l’attaque et la nécessité d’en faire la propagande et de la propager. Face aux actes de révolte, aux actions révolutionnaires, l’État veut mettre en garde : le silence ou la condamnation. De notre côté, non, nous n’avons pas appris la leçon, et nous ne l’apprendrons jamais.
Les raisons de l’anarchisme ne proposent pas l’accommodement, la coexistence, la trêve. Elles ne sont pas celles de la déception, face à l’ennemi de toujours, de la résignation dédaigneuse, du sobre désintérêt. Elles sont des raisons qui interrogent, parce qu’elles n’ont pas l’intention de conserver la vie dans l’attente, mais de mélanger l’élan du rêve et le danger de l’action, la détermination de la volonté et la force de la nécessité. Et c’est comme ça que, au fil du temps, nous nous sommes posés des questions inéluctables. Des réponses souvent difficiles ont suivi, mais nous les avons affrontées avec la conscience du chemin parcouru, conscients que la destruction du vieux monde ne viendra jamais d’un quelque imperscrutable déterminisme de l’histoire, une force du destin aveugle ou souterraine, une minable prise de distance dictée par un encore plus minable but d’auto-conservation. Voilà pourquoi nous ne limitons pas nos aspirations à quelque « île heureuse », qu’elle soit un endroit précis ou une congrégation d’intellectuels, mais nous poursuivons toujours la réalisation de l’idée indicible, en désirant ardemment la destruction du monde dont nous sommes prisonniers. Voilà pourquoi nous ne resterons pas impassibles, impuissants face à l’abyme terrifiant du présent, mais nous continuerons toujours à lutter pour ce en quoi nous croyons. Et à qui, prudemment, continuera à soutenir que le jeu ne vaut pas la chandelle, à ceux qui voudront généraliser leur égarement, l’imposant comme une condition démocratiquement commune à tout le monde, nous répondrons toujours que – face à un ennemi qui ne fera jamais de pas en arrière s’il n’y est pas obligé – cela fait longtemps que nous avons renoncé au calcul. C’est pour cela que chaque adversité, chaque sentiment de désarroi n’est rien d’autre qu’un fantasme destiné à disparaître.
Veronica
Francesco
Carrare, 23 août 2023
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