athens.indymedia.org / samedi 5 octobre 2019
La mort est de retour, dans les lieux bien connus qui lui appartiennent; c’était dimanche après-midi dans le camp de rétention de Moria. Nous n’étions pas prêt.e.s, du coup nous n’avons pas réussi, nous n’avons pas pu retirer Feride de ses mains [le 29 septembre, un grand incendie se déclare dans le camp de rétention pour sans-papiers de Moria, sur l’île de Lesbos ; un enfant et Faride Tajik, femme afghane, meurent; dans ce camp, prévu pour « accueillir » 3000 personne, en étaient entassées 13000; NdAtt.]. Le visage de la mort nous aveuglait, à travers la vitre des casques des policiers anti-émeute. L’odeur de la mort nous a presque noyé.e.s, à travers les gaz lacrymogènes. Ali a découvert la pierre, Narges a découvert la flamme. Comme dans une tragédie antique, nous avons été plus humain.e.s que jamais. Aux journaux télés, ils n’admettront jamais que notre décision d’attaquer était notre tout dernier effort pour rester humain.e.s. Une fois de plus, les journalistes parleront de chiffres, ils continueront à parler de malentendus. Pour que les divisions ne s’arrêtent jamais… grâce aux manières rudement professionnelles des policiers anti-émeute, qui s’introduisent par effraction dans les maisons des pauvres à Athènes. Ils sont venus tard dans la nuit, avec leurs chefs politiques, attirés par l’odeur intense d’êtres humains. Ils ont soif de nos liquides vitaux…. nous sommes en train de nous dessécher, mais ici, les extincteurs ne suffisent pas.
Il y a des milliers d’années, non loin d’ici, il y avait nos grands-mères et nos grand-pères qui, sous les coups du fouet, construisaient les palais de leurs maîtres. La nuit, dans les camps de détention où étaient enfermés les esclaves, on pouvait entendre, parmi les soupirs, des histoires horribles. Maillons de la même chaîne, que les parents attachaient à leurs enfants. Une chaîne de malentendus, qui s’étend jusqu’à nos jours. On peut encore entendre les cris de désespoir venant des mêmes murs de béton et des barbelés tachés de sang. Voilà pourquoi les touristes ne visitent jamais les ghettos des villes modernes. Voilà pourquoi les violences les plus brutales des États sont toujours dirigées vers celles/ceux qui sont en cage, ceux/celles qui sont réprimé.e.s à cause de leur origine, celles/ceux qui sont dans les sous-sols de la pyramide sociale.
Nous sommes allongé.e.s Ici, pendant que nos frères et sœurs sont Là-bas, dans les appartements, à la recherche d’un terrain pour s’épanouir. A la recherche d’une maison à louer, mais leur argent s’épuise et ils/elles ont faim. A côté d’eux/elles, des étranger.e.s effrayé.e.s : elles/ils semblent tout juste sortir de la salle de torture. « Libres » et ruiné.e.s dans notre enfer local. Là-bas, dans le monde des plus chanceux.euses et des plus « capables », nos besoins sont joué à la roulette, jour après jour ; nos personnalités sont brisées par la machine du terrorisme d’État. Dans ce monde, si vous gagnez quelque chose, vous oubliez immédiatement. Vous oubliez parce que vous vous souvenez de la violence. La violence que vous avez vécu ou dont vous avez été témoins, même si vous êtes resté.e. silencieux.se. Des appartements des villes-monstres, jusqu’à Moria, le chemin est court. Et à vos côtés, plein de mercenaires d’État, pour vous rappeler que vous devez être reconnaissant.e d’être encore en vie.
Probablement, vous n’avez jamais rencontré Feride. Peut-être que nous n’apprendrons jamais rien sur son cas, comme nous ne l’avons jamais appris pour beaucoup d’autres morts « accidentelles ». Mais nous sommes sûrs qu’elle a été forcée de trouver un équilibre entre dignité et pauvreté. Entre rêves et chaînes. Comme tout.te prisonnier.e est obligé.e de faire, chaque jour. Parce que les endroits comme Moria sont le point zéro du Capitalisme et les marges de vos sociétés européennes. Nous sommes ici, prêt.e.s à prendre place dans un monde de pauvreté, dans les immeubles dégradés de vos villes modernes. Prêts à briser nos corps dans les camps de travail agricoles-industriels où l’on prépare déjà nos cellules de prison. Nous avons été forgé.e.s dans l’humiliation de la file pour le pain, des files pour les toilettes, des inspections et la bureaucratie. Nous étions géré.e.s par des mercenaires, les uns avec des fusils, les autres avec des stylos.
Quiconque ait pu être Feride, nous avons écrit son nom avec ceux de tous les pauvres diables qui meurent chaque jour dans les ghettos et les prisons que vous avez construit. Toutes ces morts « accidentelles » forgent notre rage. Parce que nous savons que derrière elles se cachent des choix politiques, qui élargissent le terrain contaminé de l’exploitation des vivants et des morts, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs.
Aucun.e de nous se concentre sur l’histoire de Feride. On ne cherche pas des héros, on a juste besoin de chaleur. Le feu qui l’a brûlée vive n’a jamais été éteint, malgré toutes les confirmations des pompiers. Nous le gardons en vie, pour qu’il puisse faire de la lumière sur toutes ces morts « accidentelles ». A côté de Faride, il y a tou.te.s celles/ceux qui sont mort.e.s à cause des basses températures ou de la surpopulation, à quelques mètres de là. Les centaines de personnes qui se sont noyées, juste avant d’atteindre les côtes, pendant que les navires de guerre négociaient pour leur corps.
Pour tous ces crimes ceux qui sont à blâmer sont des criminels de droit commun. Ils occupent certains postes et leur identités sont connues. Parmi eux, il y a les directions politiques des puissances impérialistes et leurs mandataires. A côté d’eux se trouvent les cadres et le personnel administratif qui appliquent leurs politiques. Ceux qui acceptent de placer leur travail au-dessus de la lutte pour la dignité, la survie, la reconnaissance sociale et la justice.
Près de Moria se trouvent Amidgaleza, Korydallos et Petrou Rali [Korydallos est la plus grande prison de Grèce, situé à Athènes, les autres trois sont des centres de rétention pour sans-papiers; NdAtt.].. Aucune condition humainement acceptable ne pourra jamais exister dans ces lieux. Diminuer le nombre de prisonnier.e.s enfermé.e.s à Moria ne suffit pas. Personne ne peut être sauvée grâce nouveaux colis de survie des organisations humanitaires. Dans une usine à but lucratif, il ne peut exister une place pour l’humain. Dans chaque mine, chaque bureau de multinationale, les humains n’ont pas leur place. Même si nous enveloppons Moria dans les flammes, nos problèmes ne seront pas résolus. Mais, au moins, personne ne pleurera. Il n’y a aucun doute là-dessus.
Ils n’arrêtent pas de demander, combien sont les morts ? Nous continuons à répondre : Qui comptez-vous ? Vous comptez les morts-vivants ? Les cages sont les mêmes pour tou.te.s, ce qui change, ce sont seulement nos limites. Aucun document officiel ne nous fera oublier nos frères et sœurs. Le fait que je n’oublie pas signifie que je n’arrête pas de résister. Faisons-nous face les uns les autres comme si nous n’avions plus rien à perdre.
COMBATTRE JUSQU’À LA FIN
Contre toute forme d’enfermement
Défendre nos vies et la solidarité
PAR TOUS LES MOYENS