Red Side / mercredi 2 octobre 2019
Si cette lettre vous parvient, c’est que nous sommes entre les mains de la justice de classe française, depuis plus d’un mois déjà. Ce texte vient encore de l’un des « trois de l’autoroute » [le 21 août, quelques jours avant le début du G7 de Biarritz, trois ressortissants allemands sont contrôlés par la police française sur une autoroute du Sud, pendant qu’ils vont en Espagne; le fait qu’ils soient fichés « ultragauche » par les Services allemands leur vaut une condamnation à de la prison ferme : trois mois pour deux d’entre eux, deux mois pour le troisième; NdAtt.]. Malheureusement, seulement d’un seul, puisqu’on nous refuse toujours le contact entre nous. Notre cas fait partie d’une série d’arrestations et de condamnations, en France et en Europe, censées légitimer l’offensive juridique fascistoïde et réactionnaire des dirigeants. Nous pouvons considérer cette offensive législative et violente comme une réponse au fait que, ces dernières années, partout en Europe des personnes ont uni leurs forces pour donner bataille à ce système de pouvoir insensé. Elles le font à différents niveaux et par différents moyens. En sont un exemple les manifestations de masse contre les expulsions d’habitations en Espagne, les Gilets jaunes et le mouvement « Loi travail » en France, les manifestations contre le sommet du G20 ou les manifestations contre les « lois sur les missions de police » en Allemagne, la résistance contre les gouvernements fascistoïdes en Autriche et en Italie ou la résistance actuelle contre l’offensive réactionnaire à Exarcheia, Athènes. Toute cette germination de résistance, de luttes sociales et de moments insurrectionnels a montré aux dirigeants un aperçu de ce que nous devenons capables de faire si sommes uni.e.s et déterminé.e.s. Et ils ont immédiatement adopté une attitude défensive et maintenant ils essaient de se protéger en aggravant les conditions catastrophiques existantes. Mais nous ne tolérerons pas un nouveau fascisme, comme c’est (à mon avis) la menace dans certaines parties du monde ! Tous ensemble contre le fascisme !
Ils peuvent nous enfermer dans leurs prisons – peu importe si coupables ou pas.
Ils peuvent essayer de nous intimider, ils peuvent essayer de nous briser, mais ils ne pourront jamais nous enlever notre désir de liberté sans réserve et nos idées d’une société meilleure et libre !
Mais maintenant je voudrais décrire quel effet me fait le système pénitentiaire français et comment la prison est structurée à l’intérieur.
Tout d’abord, il s’agit d’une perception personnelle et, à ce que j’ai entendu dire, les prisons françaises sont structurées de manière assez différente les unes des autres. La prison dans laquelle je me trouve est divisée en plusieurs parties. Tout arrivant (seuls les hommes sont détenus ici) qui n’a pas un niveau de sécurité particulièrement élevé, passe les 10 premiers jours de son séjour dans la « section d’évaluation ». Là, lors de ces 10 premiers jours, le comportement et la conduite du détenu sont analysés et documentés. Pendant ces 10 jours, il doit avoir lieu un entretien avec un.e travailleur.euse social et avec le/la chef.fe du service. La volonté de coopérer et la conduite sont également évaluées au cours de ces entretiens. A la fin, cette analyse et cette documentation déterminent où se passera la suite de la détention. Il y a deux possibilités. La détention « ordinaire », dans laquelle on est enfermé toute la journée et on ne peut laisser la cellule que une ou deux heures pour la promenade. D’ailleurs, le même système prévaut dans la « sections d’accueil ». Je me trouve en régime de détention assouplie, que je vais décrire et critiquer par la suite. Pour aller dans cette section, on doit écrire une demande et dans la « section d’accueil » on obtient une brochure aux allures de publicité à son propos. Je suis ici à cause de mon jeune âge, parce que je suis le plus jeune prisonnier de la taule. Cette partie est vantée sous le nom de « Respecto », où devrait être possible une « convivialité respectueuse dans une atmosphère agréable ». La réalité est que la vie dépend de règles et de normes de conduite des plus strictes et que la plupart des prisonniers ont toujours peur de violer les règles de la bourgeoisie. Plus loin, je reviendrai plus en détail sur ces règles. En principe, ici vaut ce qu’on appelle un système à cinq points. Chaque point représente une infraction des règles, et si on perd le dernier point, il y a le transfert immédiat vers la détention « ordinaire ». Une infraction aux règles est déjà quelque chose de complètement ridicule. Il existe un catalogue de règles pour cela. Voici quelques exemples :
– si le lit n’est pas fait lors de la vérification quotidienne des cellules, on perd un point,
– si les matons voient du linge sécher sur les barreaux des fenêtres, on perd un point,
– si on jette une cigarette par terre, on perd un point.
Il s’agit donc d’« infractions » vraiment ridicules et de la tentative d’imposer une culture bourgeoise.
Dans le cas d’ « infractions graves » comme la possession de drogue, la violence ou la possession d’un téléphone, il y a une expulsion immédiate de cette section. Bien sûr, tout cela est entre les mains des matons, de façon arbitraire. Ce qui est l’avantage dans cette section, par contre, c’est qu’on peut se déplacer « librement », à l’intérieur de cette aile de la prison, entre 7h et 12h et entre 13h et 18h. Par exemple, il y a une salle de sport, une bibliothèque et quelques tables de ping-pong. A l’extérieur, il y a deux cours avec des bancs, des barres de traction et des tables de ping-pong. Chaque millimètre à l’extérieur des cellules est bien entendu surveillé par des caméras. Ensuite, preuve supplémentaire que l’objectif est, si possible, de pousser les prisonniers de cette section vers une vie qui suive la culture bourgeoise, on doit faire preuve d’un « plan d’activité », avec au moins 30 heures d’emploi par semaine. Après son établissement, ce plan est vérifié par le chef de service, puis par les matons. Comme il est strictement interdit de dormir pendant la journée, les matons procèdent à deux ou trois contrôles des cellules et enlèvent des points à ceux qui dorment. Si on se trouve encore dans la cellule alors qu’on devrait être en train de faire activité, il y a une double déduction de points. La « convivialité respectueuse dans une atmosphère agréable », devrait, après mon court exposé, être réfuté aussi par les derniers qui croient encore dans l’« État constitutionnel » bourgeois.
Dans ce qui suit, je vais donner quelques informations générales sur les matons, la nourriture et la prison elle-même. D’abord le comportement des matons.
Il faut souligner que j’ai remarqué que leur comportement n’est pas toujours le même. Il y a toujours des groupes qui travaillent ensemble. Parmi eux, il y a des groupes qui essaient de se présenter comme des « amis » et des gardes « sympa », ainsi que des groupes de matons aux muscles gonflés, arrogants et la tête replie de gel, qui nous considèrent assez ouvertement comme des déchets. Il y a bien sûr des contre-exemples dans chacun des deux groupes, mais aussi les ennemis qui font mine de se comporter de manière « sympa », sont, selon mon expérience, très hypocrites et dès qu’ils savent qu’ils ont affaire à un « sale gauchiste », ils sont encore plus hostiles. C’est ce qu’ils laissent transparaître à travers leurs harcèlements. Par exemple, cela a été montré par les affectations en cellules. Bien qu’il aurait été évidemment possible de me mettre dans une cellule avec une personne anglophone, ils m’ont emprisonné avec quelqu’un avec qui je ne peux pas du tout communiquer. Aussi dans la vie de tous les jours l’hostilité de chaque maton se manifeste par exemple par les distributions des repas. Un bon exemple pour passer à mon prochain argument, la nourriture. Il y a la même nourriture pour toute la prison. Elle est servie deux fois par jour (à midi et le soir), sur un plateau. Pourquoi il n’y a pas de petit déjeuner, j’y reviendrai plus tard. La qualité de la nourriture correspond à celle de la prison en général.
En tout cas, on a pas des exigences très élevées, mais, à ce que j’ai entendu dire à ce propos, il y a des pays en Europe où la nourriture en prison est carrément dégoûtante. La raison pour laquelle il n’y a que deux repas par jour, c’est que l’administration prison veut que les gens dépendent le plus possible de l’argent et qu’ils soient obligés d’aller travailler aussi vite que possible pour pouvoir se financer. Par exemple, on ne peut pas boire l’eau du robinet (elle sent trop fort le chlore). Il faut donc acheter de l’eau potable. Cela m’amène à mon dernier point, pour l’instant : la prison elle-même.
Autant que je sache, la prison où je me trouve est privée [au fait, aucune taule en France est privée ; ça se peut par contre que celle-ci, comme bon nombre, soit gérée en Partenariat public-privé ; NdAtt.]. Comme beaucoup d’autres prisons, celle-ci est aussi une usine, avec des centaines de semi-esclaves, qui peuvent être exploités sans merci. Au total, il y a 800 détenus dans cette prison, je ne sais pas combien d’entre eux travaillent, mais ils sont nombreux. Le principal employeur est une usine de confiture et de Nutella, à l’intérieur des murs. Bien sûr, toutes les autres tâches (nettoyage, cantine, blanchisserie, bibliothèque, etc.) sont effectuées par les détenus. Dès que l’on arrive ici, tous les instances officiels essaient de nous assigner du travail, le plus rapidement possible, bien sûr toujours sur la base du fait que cela a des bonnes conséquences en vue d’une libération anticipée. En tout cas, la prison fait toujours de très bonnes affaires, d’autant plus que l’État français raque bien, pour chaque prisonnier, et que l’exploitation des détenus est alors extrêmement rentable.
J’espère que cette deuxième lettre ouverte [on pourra lire la première ici; NdAtt.] vous a donné, à travers mon regard, une impression de la situation et que vous avez eu un petit aperçu de la vie quotidienne derrière barreaux et barbelés. Mais, avec ce texte, je voudrais aussi remercier tou.te.s celles/ceux qui nous soutiennent, nous et tou.te.s les prisonnier.e.s dans les taules de ce système insensé, et qui donnent aux gens derrière les murs la force de continuer, ainsi qu’une perspective au bout du tunnel. Je ne peux parler que pour moi et pour mes codétenus. Tout le courrier qui nous parvient et la solidarité qui vient de partout nous enflamment les cœurs et nous donnent, même dans les jours les plus sombres, la force nécessaire pour utiliser notre haine de façon sensée et de continuer à lutter !
Que ce soit derrière les murs ou à l’extérieur, guerre au système de domination, personne ne sera libre tant qu’un.e seul.e sera enfermée.
Nous ne pleurnicherons pas, nous ne mendierons pas ; simplement ils sont nos ennemis et ils nous traitent en conséquence.
Coupables ou innocents du point de vue de l’État bourgeois, c’est pareil ; mort aux taules et aussi à la grande prison du dehors.
Vive la société libérée !
Vive l’anarchie !
Liberté pour les 3 de la Parkbank !
Liberté pour tous les prisonnier.e.s !